RSOC Vol. 20 No. 30 2023 pp 42-44. Publié en ligne 28 novembre 2023.

Comment réaliser une énucléation en cas de rétinoblastome

Swathi Kaliki

Directrice du Operation Eyesight Universal Institute for Eye Cancer, LV Prasad Eye Institute, Hyderabad, Inde.


Préparation de l’oeil avant l’opération. INDE © Swathi Kaliki
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En dépit de nombreuses avancées thérapeutiques, l’ablation de l’oeil est parfois inévitable et peut se heurter à la résistance des parents. Lorsque l’on réalise sans danger une énucléation et la mise en place d’un implant, suivie d’une prothèse bien ajustée, ceci peut encourager d’autres parents à accepter une intervention qui peut sauver la vie de leur enfant.

La prise en charge du rétinoblastome a trois principaux objectifs : sauver la vie de l’enfant, garder l’oeil et préserver la vision. Les avancées récentes dans le traitement du rétinoblastome, en particulier l’introduction de la chimiothérapie, ont fait que le recours à l’énucléation est beaucoup moins fréquent. Toutefois, l’énucléation reste le traitement de choix en cas de rétinoblastome intraoculaire à un stade avancé ou lorsque l’on n’a pas réussi à sauver le globe.

Bien que les principes de base du traitement chirurgical demeurent identiques1, une étude récente portant sur 58 chirurgiens dans 32 pays a montré de grandes variations en pratique dans les techniques d’énucléation et mise en place d’un implant en cas de rétinoblastome2. Dans le présent article, nous décrirons les étapes chirurgicales de la technique myo-conjonctivale d’énucléation et mise en place d’un implant, dans la prise en charge du rétinoblastome.

Indications de l’énucléation

L’énucléation en première intention est le traitement de choix lorsque l’oeil présente un rétinoblastome intraoculaire unilatéral et à un stade avancé ; ceci correspond au groupe E dans la Classification internationale du rétinoblastome intraoculaire (voir Tableau 2 page 13).

L’énucléation en deuxième intention est réalisée dans les cas suivants : a. Yeux pour lesquels les stratégies de traitement conservateur ont échoué. b. Yeux présentant une atrophie du globe après une chimiothérapie à forte dose (voir article sur le traitement du rétinoblastome extraoculaire, en page 40).

Évaluation préopératoire

Avant de réaliser une énucléation chez un patient atteint de rétinoblastome, il est important de vérifier dans la mesure du possible qu’il n’y a pas de métastases. Il est recommandé de tester la moelle épinière et le liquide céphalorachidien en cas de rétinoblastome avancé. Si possible, ayez recours à un scanner ou à une IRM de l’orbite avant de réaliser une énucléation, ceci afin d’exclure un envahissement extrascléral ou un envahissement du nerf optique (qui se présente comme un épaississement du nerf optique).

Dans les cas où l’on observe de manière évidente un épaississement du nerf optique ou un envahissement extrascléral, une chimiothérapie systémique est recommandée en traitement de première intention ; l’énucléation sera réalisée en deuxième intention, une fois que la tumeur extraoculaire aura régressé.

Dans la mesure où une énucléation est réalisée sous anesthésie générale, il faut également effectuer les tests préliminaires de rigueur. De préférence, il faut que le taux sanguin d’hémoglobine soit au minimum de 10 mg/dl, que le taux de leucocytes soit < 15 000/mm3, et que le taux de plaquettes soit > 100 000/mm3 de sang.

Technique myo-conjonctivale d’énucléation et mise en place d’un implant

Durant l’intervention, évitez le plus possible de manipuler le globe oculaire. Évitez également de perforer ce dernier et conservez une longueur suffisante de nerf optique (> 15 mm).

Figure 1 (A à U) Prise en charge du rétinoblastome : étapes chirurgicales de l’énucléation et mise en place d’un implant

A Instruments et sutures nécessaires pour l’énucléation et la mise en place d’un implant
B Confirmation par ophtalmoscopie indirecte de l’oeil qui doit être opéré
C Réalisation d’une péritomie conjonctivale au limbe sur 360 degrés
D Dissection de la face antérieure de la capsule de Tenon dans les quatre quadrants
E Repérage d’un muscle droit à l’aide d’un crochet à strabisme
F Mise en place d’un fil de traction à l’insertion du muscle et d’une suture de repérage à 4 à 5 mm du fil de traction
G Désinsertion d’un muscle droit. La procédure est répétée jusqu’à désinsertion des quatre muscles droits
J Basculement du globe hors de la cavité orbitaire, à l’aide des fils de traction
K Section d’une longueur suffisante de nerf optique
L Inspection du globe oculaire et mesure de la longueur du nerf optique
M Identification de la face postérieure de la capsule de Tenon et de l’espace intra-conique. Mise en place d’un implant de taille adéquate
N Suture de la face postérieure de la capsule de Tenon
O, P Extériorisation des deux extrémités des sutures de repérage attachées aux muscles droits, par les culs-de-sac conjonctivaux correspondants
Q Suture de la face antérieure de la capsule de Tenon
R Suture de la conjonctive
S Les sutures musculaires repérées sont nouées entre elles
T Mise en place d’un conformateur de taille adéquate
U Réalisation d’une tarsorraphie

Nous décrivons ci-après la technique pratiquée dans notre centre, qui permet de réduire au maximum les manipulations du globe oculaire et de garder une longueur suffisante de nerf optique.

  1. Réalisez une ophtalmoscopie indirecte avant de commencer l’opération, afin de vérifier que vous allez opérer sur le bon oeil.
  2. Mettez délicatement en place un blépharostat métallique.
  3. Si le globe oculaire a augmenté de volume ou si l’orbite est petite ou étroite, effectuez une canthotomie externe pour augmenter votre champ de manoeuvre.
  4. Utilisez des ciseaux mousses pour réaliser une péritomie conjonctivale au limbe sur 360 degrés (tout autour de l’oeil). Prenez bien soin de préserver la conjonctive ; manipulez-la avec soin pour minimiser les cicatrices conjonctivales postopératoires.
  5. Réalisez une ténotomie dans les quatre quadrants du globe avec des ciseaux courbes à ténotomie. Prolongez la dissection jusqu’à l’équateur du globe afin de faciliter la sortie du globe aux étapes ultérieures de l’opération.
  6. Placez délicatement un crochet à strabisme sous chacun des quatre muscles droits, puis mettez en place un fil de traction à 2 à 3 mm de l’insertion de chaque muscle droit. Lorsque vous introduisez l’aiguille dans le muscle, faites très attention à ne pas perforer le globe oculaire.
  7. L’ordre à observer pour le repérage et la section des muscles droits est basé sur leur distance au limbe : commencez par le droit médial, puis le droit inférieur, puis le droit latéral et enfin le droit supérieur. Insérez dans les muscles droits des sutures de repérage avec du fil résorbable (pour identifier chaque muscle), à 4 à 5 mm du fil de traction. À l’aide de ciseaux mousses, sectionnez les muscles droits entre le fil de traction et la suture de repérage.
  8. Maintenant identifiez et sectionnez les muscles obliques supérieur et inférieur. Il est préférable de les cautériser avant de les sectionner, pour minimiser les saignements durant l’intervention.
  9. Une fois que vous avez sectionné les six muscles extraoculaires, utilisez les quatre fils de traction pour tirer doucement sur le globe et faciliter le basculement de ce dernier. Cette étape est importante pour obtenir par la suite une longueur suffisante de nerf optique. Si la sortie du globe s’avère difficile, cela peut s’expliquer par divers facteurs. Si le blépharostat est trop serré, remplacez-le par le blépharostat qui convient. Si le champ chirurgical est trop étroit (en raison d’une orbite trop petite), réalisez une petite canthotomie externe ou réalisez une incision conjonctivale latérale pour relâcher le champ chirurgical. La raison peut également être que vous n’avez pas complètement sectionné les muscles extraoculaires, donc vérifiez que la section a bien été faite.
  10. Insérez des ciseaux courbes à ténotomie par la voie d’abord latérale et identifiez le nerf optique près du sommet orbitaire.
  11. Sectionnez le nerf optique juste au-dessus du sommet de l’orbite, pour éviter d’endommager des structures importantes. Ceci vous permettra d’avoir une bonne longueur de nerf optique (> 15 mm). Pour minimiser les saignements pendant cette étape de l’opération, administrez une anesthésie hypotensive et/ou placez le patient en position de Trendelenburg inversée (la tête est 15 à 30 degrés plus haut que les pieds).
  12. Remplissez immédiatement l’orbite avec de la gaze, et maintenez cette dernière en place pendant 5 minutes pour arrêter les saignements et éviter la formation d’un hématome.
  13. Inspectez le globe énucléé pour vérifier qu’il n’y a pas extension extraoculaire de la tumeur. Mesurez la longueur du nerf optique avec un compas.
  14. Envoyez le globe au service d’histopathologie pour une analyse détaillée.
  15. Une fois que vous avez arrêté les saignements, identifiez la partie postérieure de la capsule de Tenon. Placez un implant de taille adéquate dans l’espace intra-conique. Maintenez l’implant en place en le suturant à la partie postérieure de la capsule de Tenon avec des sutures résorbables. L’auteur de cet article préfère utiliser des prothèses oculaires non intégrées dans la capsule de Tenon.
  16. Les sutures de repérage attachées à l’extrémité sectionnée des muscles droits sont ensuite sorties à l’extérieur par les culs-de-sac conjonctivaux.
  17. La face antérieure de la capsule de Tenon et la conjonctive sont ensuite refermées en deux couches avec du fil de suture résorbable.
  18. Les sutures étiquetées sont ensuite nouées l’une à l’autre, ce qui est la dernière étape de la technique d’énucléation myo-conjonctivale.
  19. Placez alors dans la cavité orbitaire un conformateur comportant des trous pour permettre le drainage (conformateur neutre ou sur lequel un iris est peint). Vous pouvez fixer le conformateur avec une tarsorraphie centrale.
  20. Le patient doit porter un pansement compressif pendant 24 heures.

Soins postopératoires

  • Enlevez le pansement compressif après 24 heures.
  • Administrez au patient des antibiotiques par voie orale pendant une semaine.
  • Prescrivez des antibiotiques locaux pendant deux semaines, ainsi que des corticostéroïdes pendant six semaines (en diminuant progressivement la dose).
  • Enlevez les sutures de la tarsorraphie au bout d’une semaine.
  • Les résultats de l’analyse histopathologique peuvent indiquer qu’il faut poursuivre le traitement. La présence de facteurs histopathologiques indiquant un risque élevé peut être une indication de chimiothérapie à haute dose en traitement adjuvant.
  • Six semaines après l’énucléation, prescrivez au patient une prothèse oculaire adaptée.

Références

1 Shields JA, et al. Enucleation technique for children with retinoblastoma. J Pediatr Ophthalmol Strabismus 1992;29(4):213-5.

2 Mourits DL, et al. Worldwide enucleation techniques and materials for treatment of retinoblastoma: an international survey. PLoS One 2015;10(3):e0121292.