L’ophtalmologie pendant la pandémie de COVID-19 : quels patients voir en consultation, et quand le faire
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Nous offrons ici des suggestions pour communiquer avec les patients durant la pandémie de COVID-19, réduire le travail de routine et assurer néanmoins un service pour les patients présentant des affections nécessitant des soins de première ou extrême urgence.
Les services ophtalmologiques doivent être reconfigurés en cas d’épidémie ou de pandémie, comme c’est le cas en ce moment. Il s’agit notamment de décider quels patients doivent être vus en consultation et quels sont les rendez-vous qui doivent être reportés. Nous devons trouver un équilibre entre, d’une part, les besoins à court et long termes de nos patients en matière de santé oculaire et, d’autre part, le risque de survenue de complications de la COVID-19 menaçant leur santé et leur pronostic vital. Dans de nombreux pays, ce sont les gouvernements qui prennent ces décisions et élaborent les directives nationales ; il est important que nous nous y conformions tout en faisant de notre mieux pour limiter les conséquences négatives pour nos patients.
Reporter les soins courants
Une fois que la COVID-19 est présente dans un pays, il est conseillé de reporter les soins courants non urgents pour aider à stopper la propagation de l’infection1–4. De nombreux utilisateurs des services de soins oculaires sont âgés ou présentent des pathologies sous-jacentes telles que le diabète. Ces personnes courent donc un risque accru de complications graves liées à la COVID-19 si elles contractent le SARS-CoV-2 (virus responsable de la COVID-19) au centre de santé ou durant leur trajet. La déprogrammation de certains soins ophtalmologiques courants protège ces patients et permet aux personnels de santé oculaire de soutenir d’autres services de soins de santé pendant la pandémie.
Communiquer avec les patients et avec la communauté durant la pandémie
Durant la pandémie, la population continuera à avoir besoin de soins oculaires et il est important qu’elle ne se sente pas abandonnée par le personnel de santé oculaire.
Restez en contact avec les patients qui ont besoin de soins oculaires à long terme ou d’une prise en charge postopératoire. Vérifiez que ces patients ont les médicaments nécessaires, qu’ils savent comment les prendre correctement et à la bonne fréquence ; expliquez-leur également les signes et symptômes à repérer qui pourraient signaler une aggravation éventuelle de leur maladie et doivent donc faire l’objet d’une prise en charge médicale.
Informez les membres de la communauté des services de soins oculaires disponibles et expliquez-leur quand ils doivent contacter ces services (par exemple en cas de traumatisme oculaire et/ou d’œil rouge et douloureux, ou en cas de perte de vision soudaine). Expliquez-leur la marche à suivre et le lieu où ils doivent se rendre.
Il faut que chacun se sente pleinement rassuré et sache qu’il ou elle peut, en cas de besoin, se rendre au centre de soins oculaires en toute sécurité. Beaucoup de pays ont signalé une diminution du nombre de patients se rendant aux urgences, en partie parce qu’ils craignaient d’être contaminés en milieu hospitalier. Beaucoup de praticiens redoutent maintenant une augmentation de la mortalité et des problèmes de santé à l’avenir.
Expliquez aux patients comment contacter le centre de soins oculaires s’ils ont quelque inquiétude ou s’ils ont besoin de conseils. Certains services d’ophtalmologie ont mis en place une ligne ou un centre téléphonique spécial pour répondre à ce type d’appels ; pour éviter les frustrations, néanmoins, il faut que le personnel formé participe en nombre suffisant pour répondre aux appels dans un délai raisonnable.
Comment sensibiliser la communauté
Vous pouvez communiquer ces messages importants de différentes façons : par le biais d’annonces à la radio, en diffusant les informations sur un site Internet ou sur les réseaux sociaux, en envoyant des messages téléphoniques ou des courriers directement aux patients eux-mêmes, en collaborant avec les leaders de la communauté ou les organisations locales, et en plaçant des panneaux à l’extérieur des centres de santé et hôpitaux. Pour réduire le risque de contamination et éviter le coût du déplacement, il est préférable de communiquer ces informations aux patients quand ils sont chez eux, avant qu’ils n’entament un long trajet vers l’hôpital.
S’il existe un système de prise de rendez-vous dans votre établissement, reportez les rendez-vous déjà pris par message téléphonique, par lettre ou par un autre moyen, en fonction des disponibilités. L’idéal serait d’envoyer aux patients des informations écrites sur les rendezvous reportés, les conseils à suivre et la manière dont ils pourront obtenir un nouveau rendez-vous une fois que les directives auront changé.
Reporter les interventions de chirurgie oculaire
Reportez les interventions chirurgicales si possible jusqu’à ce que la transmission de la COVID-19 ait été maîtrisée dans la région. Il est préférable que les patients passent le test de dépistage de la COVID-19 dans les 24 à 48 heures précédant leur opération, mais cela n’est pas toujours possible. L’anesthésie générale est une « intervention médicale générant des aérosols » (IMGA) qui augmente le risque de transmission du virus ; c’est pourquoi les opérations d’urgence devraient idéalement être réalisées sous anesthésie locale, si possible, tout en utilisant les équipements de protection individuelle (EPI) nécessaires. Même une intervention chirurgicale sous anesthésie locale peut impliquer une exposition importante pour le personnel médical et les patients et donc être considérée comme un risque appréciable.
Effectuer le triage des patients qui arrivent à l’unité de soins oculaires
Il est important que chaque établissement de soins oculaires planifie la gestion et l’orientation des patients et des proches arrivant dans l’établissement.
- Affichez des informations et des instructions claires à l’entrée ou avant l’entrée de l’établissement.
- Désignez des personnels de santé dont le rôle sera de renseigner ou de clarifier les informations ; ils devront porter des EPI conformément aux directives locales. Vous devrez également appliquer des mesures de distanciation sociale ; de nombreux établissements de soins utilisent des écrans transparents en plexiglas ou des rideaux en plastique pour protéger les membres du personnel.
- Effectuez un premier triage le plus tôt possible, qui comprendra une discussion avec le patient concernant la présence éventuelle de symptômes de la COVID-19 et la vérification de sa température ; ce premier triage peut se faire à l’extérieur sous un abri ou dans une tente ouverte à l’extérieur de l’hôpital, par exemple. Ce triage doit suivre une procédure normalisée.
- Demandez aux patients souffrant d’affections oculaires non urgentes de rentrer chez eux. Dites-leur où ils peuvent trouver des informations pertinentes, à quel moment ils doivent revenir (par exemple si leurs symptômes s’aggravent) et comment ils peuvent prendre un autre rendez-vous.
- Mettez en œuvre un mécanisme pour prendre en charge les patients qui doivent être examinés d’urgence, mais présentent des symptômes de COVID-19 ou sont plus à risque d’avoir la COVID-19.
- À mesure que la pandémie ralentira, le nombre de patients ne présentant pas de signes de COVID-19 augmentera et le nombre de patients présentant des signes de COVID-19 diminuera. Des mécanismes d’aiguillage et des salles d’examen différents pour les deux groupes doivent être maintenus en place pour éviter que l’établissement de soins ophtalmologiques ne devienne un « point chaud », c’est-à-dire une source d’infections par le SARS-CoV-2.
Quels patients doit-on voir en consultation ?
La décision de voir ou non un patient pour une évaluation et un traitement éventuel dépend de plusieurs facteurs :
- La maladie oculaire
- Le patient
- L’établissement de soins oculaires
- La situation sanitaire concernant la pandémie de COVID-19 dans le pays ou la région. Il est important que les directives nationales soient comprises et suivies. Une consultation par téléphone ou par vidéoconférence peut être utile pour donner des conseils ou pour décider si un examen est nécessaire5,6 (Figure 2).
Patients nécessitant des soins de première ou extrême urgence
Il est important de mettre en place des mécanismes de prise en charge pour que les patients puissent continuer à. recevoir des soins de première ou d’extrême urgence, sans lesquels ils subiraient une perte de vision grave et irréversible.
Les patients dont les affections nécessitent des soins oculaires de première ou d’extrême urgence sont généralement des patients présentant un traumatisme oculaire, un œil rouge douloureux et/ou une perte de vision subite. Un praticien expérimenté doit être désigné pour détecter ces cas (avant l’examen du patient) et décider du degré d’urgence de la consultation.
Généralement, ces patients présentent les diagnostics suivants1,3,7 :
- Brûlures oculaires chimiques
- Glaucome aigu par fermeture de l’angle ou glaucome néovasculaire
- Suspicion de pression intraoculaire élevée ou de glaucome évoluant rapidement
- Dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) exsudative active
- Maladie rétinovasculaire menaçant le pronostic visuel (rétinopathie diabétique proliférante, forme ischémique d’une occlusion de la veine centrale de la rétine)
- Décollement aigu de la rétine (maculaire ou non, consulter avant moins de 4 semaines)
- Uvéite grave et active
- Tumeurs malignes touchant l’œil et ses annexes – lésions tumorales actives, agressives, non contrôlées ou non traitées
- Rétinopathie des prématurés (dépistage et traitement)
- Traumatisme menaçant le pronostic visuel
- Affection orbitaire menaçant le pronostic visuel (par exemple cellulite orbitaire ou forme grave d’ophtalmopathie thyroïdienne)
- Artérite giganto-cellulaire affectant la vision.
Il convient d’évaluer le risque d’exposition du patient à la COVID-19 par rapport au risque de préjudice en cas de retard de traitement. Par exemple, si le patient ne voit que d’un œil, ceci sera un facteurclé en faveur d’une consultation. Si possible, les patients doivent éviter de se rendre dans des services de soins oculaires s’ils ont plus de 70 ans, s’ils ont de graves problèmes de santé préexistants ou s’ils sont immunodéprimés. Des lignes directrices ont été suggérées pour les différentes spécialités telles que la rétine et le glaucome, et elles devront être adaptées au contexte local1.
Les consultations par téléphone ou par vidéoconférence peuvent permettre de donner des conseils ou de décider si un examen en personne est nécessaire5,6.
Triage et mesures de protection
Le Tableau 1 présente les recommandations de l’Académie Américaine d’Ophtalmologie concernant le triage des patients et les précautions à prendre en fonction de la situation. Il faut toutefois noter que le lieu où les patients sont examinés, la procédure ainsi que le type d’équipement de protection individuelle (EPI) utilisé dépendront des politiques locales et de la disponibilité des EPI.
Tableau 1Recommandations provisoires de l’American Academy of Ophthalmology concernant le triage des patients et les précautions à prendre
Situation clinique | Prise en charge du patient / Précautions à prendre |
---|---|
1. Problèmes ophtalmologiques courants et rendez-vous préalablement fixés |
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2. Rendez-vous d’urgence en ophtalmologie pour un patient ne présentant aucun symptôme de maladie respiratoire, aucune fièvre et aucun facteur de risque d’exposition à la COVID-19 |
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3. Problème ophtalmologique urgent chez un patient présentant des symptômes de maladie respiratoire, mais sans fièvre ni facteur de risque d’exposition à la COVID-19 |
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4. Problème ophtalmologique urgent chez un patient à haut risque d’exposition à la COVID-19 |
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5. Problème ophtalmologique urgent chez un cas confirmé de COVID-19 (ou chez une personne sous investigation) |
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Lire les recommandations de l’American College of Surgeons concernant les interventions de chirurgie oculaire en cas de COVID-19 confirmée |
* Précautions standard (universelles) : précautions minimales en matière de prévention des infections qui s’appliquent à tous les soins aux patients, quel que soit le statut infectieux soupçonné ou confirmé du patient, dans tout établissement de soins de santé (par exemple hygiène des mains, règles d’hygiène en cas de toux, utilisation d’EPI, et nettoyage et désinfection des surfaces présentes dans l’environnement). Voir CDC: Standard Precautions.
** Si les stocks le permettent, il est préférable d’utiliser des lunettes de protection oculaire bien ajustées plutôt que des écrans faciaux.
† On constate actuellement une pénurie d’EPI à l’échelle nationale ou internationale, dans certains cas, ce qui mérite réflexion. Une utilisation excessive d’EPI peut appauvrir les stocks d’équipements qui deviendront cruciaux pour la prise en charge des cas de COVID-19 au fur et à mesure que l’épidémie s’aggravera. Il faut donc envisager l’utilisation des EPI au cas par cas dans chaque établissement ou institution ; leur usage systématique pour tous les patients n’est pas recommandé.
‡ Précautions contre la transmission : ces précautions sont le deuxième niveau dans la lutte de base contre les infections ; elles sont utilisées en plus des « précautions standard » lorsqu’un patient présente une maladie qui peut se propager par contact, par gouttelettes ou par voie aérienne, et qui nécessite que l’on prenne des précautions spécifiques selon les circonstances particulières au cas. Des précautions contre la transmission sont requises dans les cas de suspicion de COVID-19. Voir CDC: Transmission-Based Precautions.
Conjonctivite et lentilles de contact
La COVID-19 peut entraîner une conjonctivite et il est parfois possible de détecter des particules virales dans les sécrétions oculaires, ce qui a donné lieu à des inquiétudes quant à la contamination des personnels de santé oculaire8. Toutefois, l’une des plus importantes études réalisées à ce jour a montré que la conjonctivite n’était pas communément observée chez les patients à la COVID-19 confirmée9. Les particules virales sont généralement détectées dans les larmes chez les patients présentant une conjonctivite cliniquement apparente, et cette dernière semble être une manifestation tardive dans les cas de maladie grave systémique10,11. Une conjonctive isolée n’est pas en elle-même un cas de première ou d’extrême urgence et sa prise en charge peut souvent être reportée. Dans le cas où les patients sont vus en consultation, il faut observer les mêmes précautions que pour les personnes susceptibles d’avoir la COVID-19. Il n’y a à l’heure actuelle aucun cas de patient ayant contracté la COVID-19 par le port de lentilles de contact ; il n’y a pas non plus de raison de recommander aux porteurs asymptomatiques de cesser de porter des lentilles de contact12. Il faut par contre comme toujours recommander aux porteurs de lentille de pratiquer les bons gestes d’hygiène et de nettoyer leurs lentilles.
Reprise des soins ophtalmologiques non urgents
Lorsque le nombre de cas de COVID-19 commencera à diminuer, il faudra se demander à quel moment et dans quelles conditions les soins de routine et la chirurgie non urgente pourront reprendre. Vous devez suivre les directives nationales à ce sujet ; vous pouvez aussi prendre en considération les recommandations publiées par le Royal College of Ophthalmologists et par l’American Academy of Ophthalmology (AAO)13,14.
- Réintroduisez progressivement les services en commençant avec un nombre réduit de patients pour aider à assurer la distanciation sociale.
- Donnez la priorité aux patients les plus susceptibles de subir un préjudice en l’absence de soins oculaires, tout en essayant d’éviter les consultations en personne pour les personnes fortement à risque de développer des complications graves liées à la COVID-19.
- Gardez en place les mesures relatives au port d’EPI et à la lutte contre les infections, y compris les modifications apportées au flux de patients ou aux infrastructures.
Les progrès dans la recherche de vaccins, les tests d’immunité et les interventions préventives devraient à l’avenir permettre d’améliorer l’accès aux soins oculaires.
Références
- Royal College of Ophthalmologists COVID-19 Clinical Guidelines. https://www.rcophth.ac.uk/about/rcophth-guidance-on-restoring-ophthalmology-services/rcophth-covid-19-response/
- American Academy of Ophthalmologists. Coronavirus and Eye Care. https://www.aao.org/coronavirus
- All India Ophthalmological Society. Operational Guidelines for Ophthalmic Practice during COVID 19 outbreak. https://aios.org/pdf/AIOS-Operational-Guidelines-COVID19.pdf
- Ophthalmological Society of Nigeria Advisory on COVID-19. http://www.icoph.org/downloads/Ophthalmological-Society-of-Nigeria-COVID-19-Advisory.pdf
- RCOphth UK. Overview of Digital Transformation and Telemedicine during COVID19. https://www.rcophth.ac.uk/wp-content/uploads/2020/04/Overview-of-digital-technology-and-telemedicine-for-covid-090420-V3.pdf
- AAO. Telehealth resources. https://www.aao.org/practice-management/telehealth
- AAO. List of urgent and emergent ophthalmic procedures. https://www.aao.org/headline/list-of-urgent-emergent-ophthalmic-procedures
- Liang L, Wu P. There may be virus in conjunctival secretion of patients with COVID-19. Acta Ophthalmol 2020.
- Guan WJ, Ni ZY, Hu Y, et al. Clinical Characteristics of Coronavirus Disease 2019 in China. N Engl J Med 2020.
- Xia J, Tong J, Liu M, Shen Y, Guo D. Evaluation of coronavirus in tears and conjunctival secretions of patients with SARS-CoV-2 infection. Journal of medical virology 2020.
- Hu K, Patel J, Patel BC. Ophthalmic Manifestations Of Coronavirus (COVID-19). StatPearls. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing LLC.; 2020.
- Jones L, Walsh K, Willcox M, Morgan P, Nichols J. The COVID-19 pandemic: Important considerations for contact lens practitioners. Cont Lens Anterior Eye 2020.
- RCOphth guidance on restoring ophthalmology services. https://www.rcophth.ac.uk/about/rcophth-covid-19-response/rcophth-guidance-on-restoring-ophthalmology-services/
- AAO Coronvirus updates. https://www.aao.org/headline/alert-important-coronavirus-context