RSOC Vol. 17 No. 24 2020 pp 28-31. Publié en ligne 14 décembre 2020.

Comment adapter votre service de soins oculaires durant la pandémie de COVID-19

Fatima Kyari

Professeur adjoint, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene & Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni ; Ophtalmologiste chef de clinique, College of Health Sciences, University of Abuja, Nigeria.


Eleanor Watts

Médecin stagiaire et étudiante de Master, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene & Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.


Écran de protection pour lampe à fente, fabriqué à partir d’une chemise de rangement en plastique. NIGERIA © Fatima Kyari
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Les services de soins oculaires doivent s’adapter pour prévenir la transmission du SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19.

À l’heure qu’il est, la situation des services d’ophtalmologie varie en fonction des directives nationales : certains assurent tous les soins ophtalmologiques habituels, d’autres déprogramment les soins non urgents ou encore reprennent des soins qui avaient été déprogrammés. Dans cet article, nous abordons les aspects pratiques à prendre en compte pour faire face à la pandémie de COVID-19, quelle que soit la situation dans votre pays.

Zones d’attente et flux de patients

Afin de réduire la transmission entre les personnes qui fréquentent le centre de soins oculaires, il faut :

  1. Limiter le nombre de personnes présentes au même moment dans le centre de soins
  2. Maintenir les personnes à bonne distance les unes des autres (1 à 2 mètres)
  3. Réduire les possibilités de transmission indirecte (par exemple lorsque des personnes touchent des objets que d’autres ont touchés avant elles)
  4. Assurer une bonne ventilation, ce qui peut être fait en ouvrant simplement les portes et les fenêtres

Note : Les patients atteints de COVID-19 ou qui en présentent les symptômes doivent être identifiés rapidement et examinés dans une zone distincte. Certains hôpitaux prévoient une « zone rouge » pour les patients chez qui la COVID-19 est confirmée ou suspectée, et une « zone verte » pour les autres patients.

Réduire le nombre de personnes dans le centre de soins

  • Réorganisez les différentes consultations ophtalmologiques (glaucome, cataracte, etc.) afin qu’il y en ait le moins possible le même jour ou à la même heure. Il peut également être utile de programmer les rendez-vous des patients à des horaires précis. Si cela s’avère difficile, explorez des moyens novateurs tels que l’envoi de SMS à l’avance. On peut également réduire le nombre de patients en reportant certains soins courants.
  • Demandez aux patients de limiter au strict minimum le nombre de personnes qui les accompagnent et même, si possible, de ne pas se faire accompagner du tout. Dans certains contextes, accompagner une personne âgée à l’hôpital est un signe de respect et d’attention. L’avantage de limiter le nombre de personnes doit donc être expliqué au moment de la prise de rendez-vous ou à l’arrivée dans l’unité de soins. Il est évident que des accompagnants seront nécessaires dans certaines situations, par exemple dans le cas d’un enfant ou d’une personne présentant une déficience visuelle importante. On peut aussi envisager d’empêcher les accompagnants trop nombreux d’entrer dans la salle d’attente et dans la salle de consultation.
Figure 1 Pour empêcher que les patients ne s’assoient côte à côte, on a placé sur les sièges du milieu un ruban de marquage et une affichette. La couleur du ruban et le contraste élevé de l’affichette (croix noire épaisse sur fond blanc) facilitent leur repérage par les personnes présentant une déficience visuelle, y compris une basse vision. INDE © Dipankar Datta

Maintenir une bonne distance entre les personnes

  • Réaménagez les sièges pour assurer une séparation adéquate entre les personnes (Figure 1).
  • Lorsqu’il faut faire la queue, créez des « cases de distanciation » en collant du ruban adhésif sur le sol pour indiquer l’endroit où chaque personne doit se placer.
  • Mettez en place un système de circulation à sens unique pour que les personnes qui entrent ou qui sortent du centre de soins n’aient pas à se croiser dans des couloirs étroits. Indiquez le sens de circulation des patients par des flèches directionnelles sur le sol. Utilisez des couleurs contrastées pour que les personnes malvoyantes puissent voir clairement ces flèches, par exemple des flèches blanches délimitées par du ruban adhésif noir.

Réduire les possibilités de transmission indirecte

  • Retirez des salles d’attente les objets susceptibles d’être manipulés par plusieurs personnes, tels que les magazines.
  • Nettoyez les chaises et les accoudoirs à intervalles réguliers.
  • Évitez, dans la mesure du possible, d’utiliser une même salle à des fins différentes. Par exemple, évitez d’utiliser une même salle pour les membres du personnel et les patients à différents moments de la journée (salle de séminaire, etc.). Si cela n’est pas possible, nettoyez soigneusement cette salle entre chaque utilisation.
  • Dans la mesure du possible, gardez les portes ouvertes afin que les patients n’aient pas à toucher les poignées de porte. Si cela n’est pas possible, prévoyez un désinfectant pour les mains ou des installations de lavage des mains à l’intérieur du centre de soins afin d’éviter la propagation de l’infection. Nettoyez toutes les poignées de porte à intervalles réguliers.

Encourager une bonne hygiène respiratoire et des mains

Nous devons tous changer notre façon de vivre, de travailler et d’interagir avec les autres afin de réduire la propagation du SARS-CoV-2. En parlant, en toussant, en éternuant, en nous frottant les yeux, en nous touchant le visage et en touchant des surfaces ou objets, nous pouvons favoriser la transmission du virus.

  • Mettez à disposition du désinfectant pour les mains et des installations de lavage des mains. Les installations de lavage des mains pour les patients doivent se situer dans un endroit visible et facilement accessible à l’extérieur de l’entrée principale du centre de soins ; il faut également des installations de lavage des mains (ou des distributeurs de désinfectant pour les mains) à l’intérieur de l’établissement si nécessaire.
  • Consultez les directives nationales sur le port du masque par les patients et les autres personnes qui se rendent dans un établissement de soins. Lorsque le port du masque est recommandé, conseillez les personnes sur le type de masque à utiliser (les masques en tissu, par exemple) et assurez-vous qu’elles comprennent comment l’utiliser et en prendre soin. Le masque est un objet personnel qui ne doit en aucun cas être partagé, et un masque en tissu doit être lavé après chaque utilisation.
  • Des patients mieux informés agiront de manière plus responsable et contribueront à réduire la transmission du virus. Placez des affiches et des panneaux d’information sur la COVID-19 à des endroits où ils seront bien en évidence. Utilisez des images claires et compréhensibles pour rendre l’information accessible aux personnes qui ne savent pas lire ou qui présentent une basse vision. Parmi les messages importants, il faut citer le lavage fréquent des mains et la bonne façon de tousser. On peut citer comme exemple l’affiche sur la prévention de la COVID-19 produite par le Centre nigérian de lutte contre les maladies (Figure 2).(COVID-19 Prevention Poster © NIGERIA Nigerian Centre for Disease Control).
  • Lorsque des écrans sont disponibles, utilisez-les pour transmettre des messages audiovisuels aux patients et à leurs accompagnants.

Offrir des consultations en toute sécurité

Plus de 1 000 professionnels de la santé sont morts des suites de la COVID-19 à travers le monde1. Il est important de réduire au minimum le risque pour les personnels de santé, car cela permet non seulement de protéger ces personnels contre la maladie, mais aussi d’éviter qu’ils ne transmettent le virus à d’autres patients. En plus de l’utilisation correcte des équipements de protection individuelle (EPI), nous recommandons également les mesures suivantes:

  • Évitez les poignées de mains, et évitez autant que possible tout autre contact avec le patient.
  • Utilisez des équipements de protection, par exemple un écran de protection de grande taille pour les lampes à fentes (Figure 3). Vous pouvez les acheter ou, dans certains cas, les obtenir gratuitement auprès des fabricants de lampes à fente. Fabriquez votre écran de protection en utilisant un matériau plastique lisse (Figure 3), transparent et facile à nettoyer. Utilisez un gabarit, comme ceux produits par certains fabricants de lampes à fente, ou utilisez du papier pour fabriquer votre propre gabarit en traçant le contour de l’oculaire de la lampe à fente.
  • Recommandez aux patients et aux personnel de santé d’éviter de parler lors de l’utilisation de la lampe à fente (ou de parler le moins possible) et de garder une distance d’un ou deux mètres aux autres moments.
  • Ajoutez un écran de protection fait maison aux lampes à fente portables (Figure 3) et aux ophtalmoscopes indirects (Figure 4). Évitez d’utiliser des ophtalmoscopes directs.
  • Nettoyez et désinfectez soigneusement les écrans de protection et le matériel ophtalmologique (lampe à fente, tonomètre, montures d’essai, lentilles, etc.) entre chaque patient. Utilisez des gants jetables et une solution d’eau de Javel (1,5 cuillerée à soupe par litre d’eau) ou des solutions alcooliques contenant au moins 70 % d’éthanol ou d’isopropanol.
  • Nettoyez et désinfectez les surfaces et tous les objets touchés par les patients et les personnels de santé, notamment les sièges, les poignées de porte, les téléphones, les claviers, les crayons et les commandes ou boutons de la lampe à fente. Utilisez les mêmes solutions que pour le nettoyage du matériel ophtalmologique.
  • Limitez au maximum le temps de contact avec le patient en consultant son dossier au préalable. On peut choisir de placer le patient dans une pièce et le praticien dans une autre, puis de leur permettre de communiquer par l’intermédiaire d’un téléphone ou d’une tablette. Le praticien entre alors dans la pièce où se trouve le patient et procède à un examen rapide en parlant le moins possible, avant de sortir et de poursuivre la conversation comme précédemment. Une autre option consiste à suspendre un écran de protection en plastique entre le patient et le praticien lorsque cela est possible.
  • Limitez autant que possible les examens tels que l’exploration du champ visuel ou la tomographie en cohérence optique.
  • Limitez l’utilisation d’argent liquide et évitez de partager des objets personnels tels que téléphones portables, porte-clés et stylos.
Figure 3 Écran de protection pour lampe à fente portable. ROYAUME-UNI © Archana Kulkarni
Figure 4 Écran de protection pour ophtalmoscope indirect portable. ROYAUME-UNI © Archana Kulkarni

Les membres du personnel présentant des symptômes de COVID-19 doivent s’isoler chez eux, conformément aux directives nationales. Les membres du personnel qui risquent de développer de graves complications en cas de COVID-19, notamment les personnes présentant des comorbidités ou les personnes d’un certain âge, doivent se retirer du travail de première ligne, conformément aux directives nationales et locales.

Solutions désinfectantes

  • 1,5 cuillères à soupe (22,5 ml) d’eau de Javel (hypochlorite de sodium) par litre d’eau
  • Solution alcoolique contenant au moins 70 % d’éthanol ou d’isopropanol

Téléconsultations

Les consultations téléphoniques peuvent s’avérer utiles, car elles réduisent la nécessité de rencontrer les patients en personne. L’utilisation de la vidéoconférence, lorsque cela peut se faire, est une alternative. Elle permet aux praticiens de voir les patients, ce qui peut être très utile.

De nombreux logiciels de télémédecine sont maintenant disponibles et ont été utilisés avec succès dans certaines régions de l’Inde. La télémédecine continuera de jouer un rôle important à l’avenir, en particulier pour les personnes les plus vulnérables aux complications graves de la COVID-19. Elle permet également de s’assurer que les patients ne se sentent pas abandonnés pendant la période où les consultations en personne ne sont pas disponibles.

Il est important de préserver la confidentialité des patients et de suivre les directives nationales en matière de protection des données.

Gouvernance

  • Mettez en place une équipe chargée de recueillir des informations locales et nationales actualisées (par exemple des bilans de situation quotidiens) afin de vous tenir au courant de la définition de ce qui constitue un cas de COVID-19, des symptômes prédominants dans votre contexte local et des canaux de déclaration de cas, de manière à ce que les cas suspectés puissent être pris en charge correctement.
  • Étant donné que les institutions et les pays se retrouvent confrontés à leurs propres défis liés à leurs systèmes de santé, élaborez vos propres protocoles écrits détaillant les changements que vous mettez en œuvre pour lutter contre la COVID-19. Ces protocoles doivent s’aligner sur les directives et recommandations locales et nationales
  • En ce qui concerne l’utilisation des EPI, tenez compte de leur disponibilité et de l’affectation des ressources, ainsi que de la protection de l’environnement. Visez à réduire la quantité de déchets que vous produisez, mais sans compromettre la lutte contre l’infection.
  • De plus en plus de réunions cliniques et de tutoriels sont organisés sous forme de webinaires ; de ce fait, intervenez auprès des organismes médicaux de réglementation pour les encourager à revoir leurs règles et à prendre en compte la formation médicale continue en ligne dans la reconnaissance professionnelle.

Orientations futures

Les prestataires de soins oculaires ne peuvent pas attendre indéfiniment que la pandémie de COVID-19 se résorbe d’ellemême. Comme nous le savons, la COVID-19 se transmet facilement et rapidement, mais il nous faut néanmoins traiter certaines maladies oculaires non urgentes. Nous devons relever ce défi, reconnaître et gérer les attentes sur le plan scientifique, et définir une nouvelle norme dans la pratique de l’ophtalmologie. Nous reconnaissons que les maladies oculaires et les principales causes de cécité n’ont pas changé et que le traitement de ces maladies reste le même. Par conséquent, nous devons adapter nos prestations de soins oculaires, redéfinir l’intervention clinique et mettre au point des systèmes de soins sûrs pour prévenir la transmission sur notre lieu de travail.

Il faut espérer que des traitements efficaces seront bientôt disponibles. En attendant, de nombreuses unités de soins sont maintenant confrontées au défi de savoir quand et comment redémarrer les soins non urgents. Plus les soins sont reportés, plus on attend avant de traiter les maladies oculaires, et plus le risque de perte de vision et de cécité évitable est grand.

Tests, prévention et traitement de l’infection par le SARS-CoV-2

Notre compréhension de l’épidémiologie et du tableau clinique de la COVID-19 continue d’évoluer et des essais cliniques sont en cours, mais il est plus sûr de supposer que la maladie ne peut pas être traitée. À l’heure actuelle, nous n’avons pas les ressources nécessaires pour un dépistage universel. Néanmoins, nous espérons que les options suivantes pourront être disponibles dans un avenir proche :

a. Des tests de dépistage d’anticorps pour les praticiens, les membres du personnel et les patients. Il s’agirait d’un test simple, fiable, abordable et rapide destiné à tout le monde et qui permettrait d’identifier les personnes qui sont ou ont été infectées afin de les isoler et/ou de retrouver les personnes avec qui elles ont été en contact. Des tests préopératoires par écouvillonnage de la gorge. Ceci est important pour les interventions considérées comme

b. génératrices d’aérosols, comme la phacoémulsification, et pour les interventions nécessitant une anesthésie générale. D’autres options existent, notamment la tomodensitométrie pulmonaire pour examiner le parenchyme pulmonaire à la recherche d’une pneumonie ou d’une fibrose, ainsi que la formule sanguine complète et le dosage des marqueurs inflammatoires (la protéine C-réactive, par exemple).

c. La vaccination. Des recherches sont en cours, mais la mise à disposition d’un vaccin contre le SARS-CoV-2 n’est pas encore d’actualité.

Formation médicale

À moyen et long termes, les unités et les infrastructures de soins oculaires, soutenues par leurs associations et groupes professionnels, devront inclure la gestion des catastrophes et la simulation de crise dans la formation médicale, ce afin de minimiser à l’avenir les interruptions de service que l’on connaît depuis le début de la pandémie.

Recherche

On a beaucoup spéculé sur la conjonctivite et la COVID-19, et on a avancé que le film lacrymal pourrait abriter le SARS-CoV-2 et donc transmettre le virus lors de l’examen ophtalmologique à différents stades de l’infection. Il est important de rassembler des preuves par le biais de recherches en population générale sur l’épidémiologie, la transmissibilité, la symptomatologie et les caractéristiques cliniques oculaires de la COVID-19. Ceci contribuera à la fourniture de soins plus appropriés aux patients.

Conclusion

Malheureusement, les systèmes de santé fragiles reprendront le cours normal des activités de soins de manière moins unifiée ou organisée. Là où il n’y a pas de régime de protection sociale, la réponse sera plus lente et encore plus difficile. Les services ophtalmologiques doivent néanmoins trouver un équilibre entre le comportement et la sécurité des patients. d’une part, et les responsabilités des prestataires, d’autre part, afin de fournir des soins médicaux appropriés plus rapidement et dans un environnement sûr.

Ressources

  1. Directives et informations fournies par les sociétés membres du International Council of Ophthalmology (ICO) http://www.icoph.org/news/news_detail/602/ICO-Global-COVID-19-Resource-Center.html
  2. Parke DW. Ophthalmology after coronavirus disease 2019 (COVID-19): Transition back to patient care. JAMA Ophthalmology. https://doi.org/10.1001/jamaophthalmol.2020.2004
  3. Directives sur la COVID-19 du Centre nigérian de lutte contre les maladies https://covid19.ncdc.gov.ng/guideline/
  4. Exemple de gabarit d’écran de protection pour lampe à fente https://www.haag-streit.com/fileadmin/Haag-Streit_Diagnostics/slitlamps/Divers/Template_for_Extended_Breath_Protecting_Shield.pdf
  5. Consignes pour l’utilisation de la technologie en télémédecine https://www.rcophth.ac.uk/wp-content/uploads/2020/05/Overview-of-digital-technology-and-telemedicine-for-covid-060520-1.docx

Référence

1. In Memoriam: Workers Who Have Died of COVID-19. Medscape 1 Apr 2020 (updated 13 May 2020). www.medscape.com/viewarticle/927976