Le virus Ebola et l’oeil
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Les survivants au virus Ebola peuvent développer tardivement tout un éventail de manifestations oculaires, allant de petites lésions cicatricielles sur la rétine à une cécité bilatérale totale causée par un décollement de rétine par traction, une cataracte ou un glaucome secondaire à l’inflammation intraoculaire.
Lorsqu’un infectiologue a frôlé la mort en 2014 durant l’épidémie de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest, son cas s’est révélé instructif pour les ophtalmologistes1. Lorsqu’il est tombé gravement malade, présentant des signes de maladie à virus Ebola (MVE), ce médecin a été évacué dans un service d’isolement aux États-Unis, où il a fini par se rétablir. Quelques semaines plus tard, il a développé une vision trouble, ainsi qu’une rougeur et une douleur oculaire dans un oeil et on a diagnostiqué une uvéite. Un échantillon de vitré prélevé dans l’oeil affecté a été analysé par PCR (réaction en chaîne par polymérase), ce qui a permis de démontrer la présence de virus Ebola répliquant.
Ebolavirus et autres virus entraînant une uvéite
Le genre Ebolavirus (EBOV) est subdivisé en six espèces virales ; quatre d’entre elles infectent l’Homme et entraînent une fièvre hémorragique aiguë associée à une très haute mortalité. La présence de virus répliquant dans l’humeur aqueuse n’est pas surprenante : plusieurs années auparavant, on avait pu isoler le virus Marburg dans le liquide intraoculaire de personnes infectées2 et ce virus est lui aussi membre de famille des filoviridés (virions enveloppés d’aspect filamenteux, à ARN simple brin de polarité négative). De plus, lors de flambées précédentes, on avait noté que le virus Ebola déclenchait des uvéites chez une minorité de survivants3. Enfin, les flaviviridés comme le virus Zika, le virus de la dengue et le virus du Nil Occidental, ainsi que les togaviridés comme le virus du chikungunya, entraînent eux aussi une inflammation oculaire4.
Complications oculaires de la maladie à virus Ebola
Les complications oculaires font partie du syndrome post-Ebola, qui se traduit également par des douleurs articulaires et musculaires et parfois aussi par des problèmes neurologiques.
Une étude longitudinale menée au Libéria a montré que l’incidence d’uvéite parmi les survivants à la MVE était nettement plus élevée que dans un groupe témoin constitué de personnes avec qui les survivants avaient été en contact étroit4. L’uvéite est la complication oculaire la plus courante de la MVE ; elle affecte presque un tiers des personnes qui se rétablissent de la MVE.
Tout un éventail de signes peuvent être observés, notamment : uvéite antérieure non granulomateuse, synéchies postérieures, atrophie irienne, inflammation du vitré, lésions cicatricielles choriorétiniennes, panuvéite et neuropathie optique. Ces observations sont attribuables à une invasion directe du milieu intraoculaire par le virus, en dépit du privilège immunitaire dont jouit habituellement l’oeil. Le degré d’inflammation varie, allant de léger à grave, et cette inflammation peut entraîner une élévation de la pression intraoculaire, une cataracte (Figure 1), un décollement de rétine par traction et une phtisie ; elle peut affecter les deux yeux et entraîner une déficience visuelle ou une cécité totale5.
Les survivants peuvent présenter tout un ensemble de lésions choriorétiniennes, comme la présence sur la rétine de lésions cicatricielles pigmentées entourées d’un halo hypopigmenté (Figure 2)6. Une étude de 50 survivants n’a pas mis en évidence de persistance du virus dans l’oeil après un délai médian de 19 mois après diagnostic ; ceci indique qu’une opération de la cataracte pourrait alors être réalisée en toute sécurité7,8.
Prise en charge de l’uvéite résultant de l’infection par le virus Ebola
Les options thérapeutiques incluent des hypotenseurs oculaires locaux ou systémiques, des agents cycloplégiques et mydriatiques pour l’analgésie et pour prévenir la formation de synéchies, ainsi que des corticoïdes locaux.
Des études sont actuellement en cours pour évaluer l’effet des médicaments antiviraux sur l’élimination de l’infection intraoculaire par le virus Ebola.
Conséquences
Le fait que certains survivants au virus Ebola présentent des affections oculaires traitables pouvant entraîner une déficience visuelle a deux conséquences pour les organisations offrant des soins de santé aux survivants. Il leur faut donc :
1. Proposer un examen ophtalmologique de suivi à tous les survivants au virus Ebola
Le personnel de santé oculaire doit être prêt à évaluer l’oeil, notamment à :
- Évaluer la vision
- Examiner le fond d’oeil
- Mesurer la pression intraoculaire.
Le personnel de santé peut utiliser une application smartphone pour évaluer la vision, puis ajouter un objectif à clipser pour visualiser le fond d’oeil9. Avec une formation appropriée, il est possible de mesurer la pression intraoculaire avec des instruments portables.
2. Développer un parcours de traitement et d’orientation
Il faut mettre en place un parcours de traitement et d’orientation du patient, potentiellement en utilisant des images de la rétine pour permettre la téléconsultation par un ophtalmologiste.
Heureusement, l’infectiologue qui avait contracté une uvéite après infection par le virus Ebola a retrouvé partiellement la vue ; d’autres n’ont pas eu cette chance.
Les épidémies récentes d’Ebola ont eu pour effet inattendu de révéler le manque criant de services de santé oculaires disponibles dans les communautés affectées, ainsi que le manque de préparation à faire face aux conséquences oculaires de l’épidémie. À titre d’exemple, certains cliniciens hésitaient à traiter les survivants présentant une cataracte, car ils craignaient à tort que l’infection persiste chez ces patients. Ceci ne fait qu’ajouter au fardeau déjà écrasant qui accable les services de santé des pays faisant face aux conséquences dévastatrices de l’épidémie.
Références
1 Varkey JB et al. New Engl J Med 2015 ; 372(25) : 2423–2427.
2 Gear JS et al. Brit Med J 1975 ; 4 : 489–493.
3 Kibadi K et al. J Infect Dis 1999 ; 179 : S13–S14.
4 Merle H et al. J Fr Ophtalmol 2018 ; 41 : e235–e243.
5 Prevail III Study Group. New Engl J Med 2019 ; 380 (10) : 924–34.
6 Yeh S et al. Ocul Immunol Inflamm 2018 ; 26 : 1128–1134.
7 Steptoe PJ et al. Emerg Infect Dis 2017 ; 23 (7) : 1102–1109.
8 Shantha JG et al. EBioMedicine 2018 ; 30 : 217–224.
9 Bastawrous A et al. JAMA Ophthalmol 2015 ; 133 (8) : 930–937.