Le VIH et l’oeil
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Quand l’infection par le VIH est mal prise en charge, les patients sont plus à risque de développer des problèmes oculaires, comme des kératites microbiennes, des réactions indésirables aux médicaments et des tumeurs oculaires.
Les principales manifestations oculaires de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) résultent de l’immunodépression et de la diminution de l’immunosurveillance anti-tumorale chez les patients infectés. Le VIH affaiblit l’immunité à médiation cellulaire et augmente donc le risque d’infection par :
- des bactéries (par ex. celles responsables de la tuberculose ou de la syphilis)
- des champignons (par ex. champignons du genre Candida ou cryptocoques)
- des virus (par ex. virus varicelle-zona, papillomavirus humain, herpèsvirus humain responsable du sarcome de Kaposi, cytomégalovirus et virus d’Epstein-Barr).
Les personnes présentant un faible taux de CD4 sont plus à risque de développer des problèmes oculaires1 ; toutefois, la prise en charge de l’infection par traitement antirétroviral a modifié l’épidémiologie de ses manifestations oculaires et des variations dans le sous-type de VIH dominant dans une région peuvent également entraîner des variations géographiques dans les affections oculaires développées par les personnes séropositives pour le VIH.
Lésions antérieures
Zona ophtalmique
Le zona ophtalmique est causé par la réactivation du virus varicelle-zona qui demeurait à l’état latent dans le ganglion trigéminal ; ceci est abordé en détail dans l’article à la page 33 de ce numéro. Dans le contexte d’une infection par le VIH, le zona se présente sous une forme plus grave, avec une éruption cutanée douloureuse de vésicules qui suivent la distribution du dermatome de la branche ophtalmique du nerf trijumeau ; cette éruption est strictement localisée sur une moitié du visage et ne dépasse pas la ligne médiane. La phase aiguë s’accompagne généralement d’un oedème des paupières. L’extension de l’éruption cutanée le long de l’aile du nez, indiquant une atteinte de la branche naso-ciliaire (signe de Hutchinson), est souvent associée à une inflammation intraoculaire et à une dénervation cornéenne. Ceci peut entraîner une ulcération de cornée et une iritis (Figure 1). La résolution de l’atteinte cutanée laisse des cicatrices et peut se compliquer par une névralgie post-zostérienne. La diminution de sensibilité cornéenne à la suite d’un zona ophtalmique augmente le risque de kératite neurotrophique, de lésions épithéliales persistantes, de kératite microbienne et, pour finir, de taies cornéennes.
Le diagnostic se base généralement sur les signes cliniques. Le Tableau 1 (page 40) présente des directives thérapeutiques.
Molluscum contagiosum
Le molluscum contagiosum est causé par un virus de la famille des poxvirus. Il entraîne la formation de nodules cutanés ombiliqués qui peuvent être répandus chez les patients séropositifs pour le VIH (Figure 2). Le diagnostic est clinique et l’affection est traitée par curetage avec ou sans cryothérapie.
Kératoconjonctivite sèche (sécheresse oculaire)
La prévalence de la sécheresse de la surface oculaire (lorsqu’elle n’est pas causée par un syndrome de Gougerot- Sjögren) parmi les personnes vivant avec le VIH/SIDA se situe entre 11 et 50 %, selon les études. On considère que les principaux facteurs contribuant à cette sécheresse oculaire sont l’utilisation prolongée d’antirétroviraux et de vitamine A2. Les lubrifiants oculaires peuvent aider à soulager les symptômes.
Sarcome de Kaposi
Le sarcome de Kaposi se caractérise par la présence de tumeurs vasculaires de couleur rouge violine sur la conjonctive ou le bord palpébral (Figure 3). Son incidence a diminué avec l’utilisation de traitements antirétroviraux. Plusieurs traitements du sarcome de Kaposi ont été recommandés, notamment l’excision locale, la radiothérapie focale, le traitement des lésions à la vinblastine, l’interféron alpha ou la daunorubicine liposomale.
Néoplasies squameuses de la surface oculaire
Les néoplasies squameuses de la surface oculaire (OSSN, de l’anglais « ocular surface squamous neoplasia ») sont un ensemble de tumeurs allant de la néoplasie intraépithéliale au carcinome épidermoïde conjonctival. En Afrique et en Asie, la plupart des patients sont jeunes (moins de 40 ans). Après le début de la pandémie de VIH, l’incidence des néoplasies squameuses de la surface oculaire a augmenté de manière spectaculaire en Afrique. L’infection par le VIH est le principal facteur de risque, particulièrement chez les individus qui ne sont pas sous traitement antirétroviral. Les autres facteurs de risque incluent l’exposition au rayonnement ultraviolet, l’infection par le papillomavirus humain, l’albinisme, le xeroderma pigmentosum, la conjonctivite allergique et peut-être également le tabagisme. L’analyse histopathologique permet d’établir un diagnostic définitif. La coloration vitale au bleu de toluidine à 1 % est utile pour apprécier l’étendue de la tumeur et délimiter la zone d’excision ; cette coloration est également utile pour la détection précoce des récidives après traitement3 (Figures 4a et 4b).
Le traitement repose avant tout sur l’excision. Les traitements adjuvants incluent la cryothérapie, les anti-métabolites (5FU4 et mitomycine C) et la radiothérapie. Lorsque l’orbite est atteinte, on peut envisager la radiothérapie externe et/ou l’éviscération oculaire. L’utilisation d’anti-métabolites et d’interférons en traitement de première intention est de plus en plus répandue mais elle n’est pas à l’heure actuelle étayée par des preuves cliniques solides.
Kératite microbienne
La cause d’une kératite microbienne peut être une bactérie, un virus, un protozoaire ou un champignon. Cette kératite se caractérise par une douleur oculaire, une hyperhémie conjonctivale et une ulcération de cornée avec infiltrat inflammatoire cellulaire au niveau du stroma. Les patients séropositifs pour le VIH présentent un risque plus élevé de développer une kératite microbienne et cette dernière se caractérise généralement par une évolution rapide, une réponse thérapeutique lente et de mauvais résultats5. La prise en charge comprend essentiellement l’identification de l’agent responsable et la prescription d’un traitement antimicrobien efficace. La prise en charge des kératites microbiennes a été décrite en détail dans des numéros antérieurs de la Revue6. Pour une kératite fongique, on recommande actuellement la natamicyine à 5 % en cas d’infection par un champignon filamenteux et l’amphotéricine B en cas de candidose. Pour une kératite bactérienne, les antibiotiques locaux demeurent le meilleur traitement ; en fonction de la sensibilité locale aux agents antimicrobiens, on obtient de bons résultats avec les fluoroquinolones, les aminoglycosides ou les céphalosporines.
Uvéite, y compris uvéite de reconstitution immunitaire
Chez les patients séropositifs pour le VIH, l’uvéite a souvent une étiologie infectieuse, les causes les plus fréquentes étant le virus herpès simplex et les bactéries responsables de la tuberculose et de la syphilis. La prise en charge comprend : corticoïdes (traitement local ou injection sous-ténonienne ou intra-vitréenne), collyre cycloplégique et traitement antimicrobien pour traiter l’infection sous-jacente.
L’uvéite de reconstitution immunitaire se caractérise par une inflammation du vitré (hyalite), un oedème cystoïde de la macula, la présence de membranes épirétiniennes, une vascularite, une papillite, et une néovascularisation. Elle a été décrite pour la première fois chez des patients atteints du SIDA présentant une rétinite à CMV et dont le taux de CD4 était passé de ≥ 50 cellules/μl à ≥ 100 cellules/μl après avoir entamé un traitement rétroviral hautement actif (TAHA). Ce type d’uvéite n’est pas courant en l’absence d’infection par le CMV et peut être dû au fait que l’infection par le CMV rompt la barrière hémato-oculaire et expose l’antigène du CMV à une plus forte réponse immunitaire à médiation cellulaire (lymphocytes T). Le traitement de l’uvéite de reconstitution immunitaire comprend l’injection intravitréenne de corticoïdes et un traitement contre le CMV.
Cataracte
La cataracte apparaît plus tôt chez les patients infectés par le VIH, peut-être parce que le VIH entraîne un vieillissement biologique précoce7. Le traitement chirurgical de la cataracte est efficace et sans risque chez ces patients.
Lésions du segment postérieur
Rétinopathie à VIH
Cette microvasculopathie se caractérise par des exsudats rétiniens blancs et elle n’entraîne pas de perte visuelle. Elle ne nécessite aucun traitement.
Rétinite à CMV (cytomégalovirus) Voir article en page 35 de ce numéro.
Nécrose rétinienne externe progressive
Il s’agit d’une affection nécrosante de la rétine, particulièrement agressive, qui peut être causée par le virus varicelle-zona, le virus de l’herpès simplex (HSV 1 ou HSV 2), ou le cytomégalovirus. Cette maladie est associée à une immunodépression très importante (taux de CD4 < 50 cellules/ml). Se référer au Tableau 1 pour la prise en charge.
Toxoplasmose
La rétinochoroïdite toxoplasmique se présente de manière atypique chez les patients séropositifs pour le VIH, sous forme plus grave : on observe des lésions multifocales, plus d’inflammation du vitré (apparence de « phares dans le brouillard »), une affection bilatérale, une cellulite orbitaire, une neurorétinite, et une association avec une atteinte du système nerveux central, particulièrement en cas de lésions près de la papille optique. La prise en charge de la toxoplasmose oculaire doit se faire en consultation avec un médecin généraliste dans le cadre d’une prise en charge systémique de l’infection par le VIH. Les traitements possibles sont :
- Pyriméthamine (à éviter pendant la grossesse et l’allaitement) et acide folinique (pour réduire la toxicité médullaire de la pyriméthamine), en association avec de la sulfadiazine (ou clindamycine).
- Le traitement à l’azithromycine est une alternative au traitement précédent.
- La prednisolone peut être envisagée une fois que l’infection est maîtrisée.
Troubles neuro-ophtalmologiques
Les personnes vivant avec le VIH peuvent présenter diverses pathologies neuro-ophtalmologiques, y compris des troubles de la motilité oculaire et des paralysies, des déficits du champ visuel et une neuropathie optique. Elles peuvent également développer un oedème papillaire secondairement à une méningite à cryptocoque, une méningite tuberculeuse, une toxoplasmose cérébrale ou une neurosyphilis. Une étude américaine a décrit un type d’affection neuro-rétinienne unique en son genre, caractérisé par une diminution de la sensibilité au contraste, une périmétrie anomale, une perte de la couche des fibres nerveuses et associé à une augmentation de la mortalité8.
Réactions indésirables aux médicaments
Le syndrome de Stevens-Johnson et la nécrolyse épidermique toxique ou syndrome de Lyell (syndromes de Stevens-Johnson/Lyell) est une réaction inflammatoire aiguë caractérisée par une éruption vésiculobulleuse au niveau de la peau et des muqueuses, associée à une injection conjonctivale importante et bilatérale, un écoulement, un chémosis et un symblépharon. On dirait que le patient a subi des brûlures. La physiopathologie exacte de cette réaction reste obscure. En Afrique, un pourcentage élevé de patients présentant ces syndromes de Stevens-Johnson/Lyell sont également séropositifs pour le VIH ; la majorité d’entre eux développent ensuite des complications oculaires chroniques de type symblépharon, trichiasis, fibrose sous-conjonctivale, taie cornéenne et néovascularisation. Il se peut que les syndromes de Stevens- Johnson/Lyell soient déclenchés par des médicaments (par ex. sulfamides et autres antibiotiques, antiépileptiques, isoniazide et – ce qui est particulièrement important dans le contexte du VIH – médicaments antirétroviraux).
Prendre en charge avec des corticoïdes topiques, et ajouter des mesures de soutien de type lubrifiants oculaires et analgésiques. Si nécessaire, et si cela s’avère possible, envisager des immunoglobulines G par voie intraveineuse et une plasmaphérèse thérapeutique. On peut utiliser des lentilles sclérales pour prévenir un symblépharon et des greffes de muqueuses peuvent être nécessaires.
Conclusion
Bien que les traitements antirétroviraux et la prophylaxie par le cotrimoxazole soient subventionnés partout dans le monde, les affections oculaires liées à l’infection par le VIH demeurent une cause importante de déficience visuelle.
Tableau 1 Recommandations pour le traitement des affections oculaires associées à l’infection par le VIH mentionnées dans le présent article
Affection | Traitement – La prise en charge ophtalmologique doit s’inscrire dans une stratégie pluridisciplinaire incluant des infectiologues ou spécialistes du VIH, particulièrement pour le traitement systémique, y compris le traitement antirétroviral |
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Zona ophtalmique |
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Rétinite à CMV |
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Nécrose rétinienne externe progressive |
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Toxoplasmose |
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Syndromes de Stevens-Johnson/Lyell |
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Références
1 Bekele S et al. Ocular manifestation of HIV/ AIDS and correlation with CD4+ cells count among adult HIV/AIDS patients in Jimma town, Ethiopia: a cross sectional study. BMC Ophthalmol 2013 ; 13(1) : 20.
2 Schaftenaar E et al. HIV-infected individuals on long-term antiretroviral therapy are at higher risk for ocular disease. Epidemiol Infect 2017 ; (12) : 2520–9.
3 Gichuhi S et al. Toluidine Blue 0.05% Vital Staining for the Diagnosis of Ocular Surface Squamous Neoplasia in Kenya. JAMA Ophthalmol 2015; 133(11) : 1314–21.
4 Gichuhi S et al. Topical fluorouracil after surgery for ocular surface squamous neoplasia in Kenya: a randomised, double-blind, placebo-controlled trial. Lancet Glob Health 2016 ; 4(6) : e378–e85.
5 Arunga S et al. Bilateral Candida keratitis in an HIV patient with asymptomatic genitourinary candidiasis in Uganda. Medical Mycol Case Rep 2018 ; 22 : 14–7.
6 Arunga S and Burton M. Emergency management: microbial keratitis. Community Eye Health 2018; 31(103) : 66.
7 Pathai S et al. Increased ocular lens density in HIV-infected individuals with low nadir CD4 counts in South Africa: evidence of accelerated aging. J Acq Imm Def 1999 ; 63(3) : 307–14.
8 Jabs DA et al. Incidence and long-term outcomes of the human immunodeficiency virus neuroretinal disorder in patients with AIDS. Ophthalmology 2015; 122(4) : 760–8.