RSOC Vol. 01 No. 01 2004 pp 06 - 10. Publié en ligne 01 août 2004.

Données mondiales sur la cécité

B. Thylefors

Docteur en médecine #


A.-D. Négrel

Docteur en médecine*


R. Pararajasegaram

Docteur en médecine*


K.Y. Dadzie

Docteur en médecine*


# Chargé de programme. (Merci d’adresser toute demande de duplicata au Coordonnateur)
* Ophtalmologistes Programme for the Prevention of Blindness, World Health Organization, 1211 Geneva 27, Suisse

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Reproduction, avec l’autorisation de l’OMS, de : Global data on blindness. Thylefors B., Négrel A.-D., Pararajasegaram R., Dadzie K.Y. Bulletin de l’Organisation Mondiale de la Santé 1995. 73 (1) 115-121


On estime la population mondiale d’aveugles à 38 millions de personnes. De plus, 110 millions souffrent de déficience visuelle et courent un grand risque de perdre la vue. Les causes principales de cécité et de basse vision sont la cataracte, le trachome, le glaucome, l’onchocercose et la xérophtalmie. Cependant, les données trop peu nombreuses concernant les autres causes de la cécité, comme la rétinopathie diabétique et la dégénérescence maculaire due à l’âge, interdisent toute estimation spécifique de leur prévalence à l’échelle mondiale.

La prévalence par âge des principales causes de cécité associées à l’âge indique que la tendance va aller en augmentant dans les décennies à venir, à moins que des efforts soutenus ne soient réalisés pour endiguer ces problèmes. Davantage de données recueillies grâce à des méthodes normalisées, et utilisant des définitions acceptées internationalement (CIM-10), sont nécessaires. Il serait utile, pour calculer avec plus de précision les tendances à venir, de disposer de données sur l’incidence de la cécité provoquée par des facteurs courants.

Avant une opération de la cataracte en Somalie. Murray McGavin
Avant une opération de la cataracte en Somalie. Murray McGavin

Introduction

Le nombre d’aveugles sur la planète n’est pas connu avec précision, mais il a été évalué à plusieurs reprises par l’OMS. En 1972, l’ensemble des non-voyants était estimé entre 10 et 15 millions. La même année, un groupe de travail de l’OMS se réunissait autour de la prévention de la cécité et reconnaissait que ces chiffres étaient en dessous de la réalité, bien que basés sur des informations provenant d’États membres.1 En proposant une définition uniforme de la cécité et de la déficience visuelle, ce groupe de travail a apporté une importante contribution à la future collecte d’informations sur la cécité. Ces définitions ont été incluses dans la Dixième révision de la Classification statistique Internationale des Maladies et des problèmes de santé connexes (ICD-10 ou CIM-10 en français).

Lors du lancement du Programme pour la Prévention de la Cécité de l’OMS (Prevention of Blindness, PBL) en 1978, sa priorité était d’affiner ses connaissances concernant la cécité et ses causes à travers le monde. Un groupe d’étude sur les données concernant la cécité fut donc mis en place, et a développé un modèle épidémiologique pour estimer la cécité en fonction du stade de développement des pays.2

Dès le début, le programme a établi, à partir d’estimations populationnelles, une méthodologie d’évaluation simplifiée de la perte visuelle et de ses causes.3 Il en ressortit un formulaire et une méthode standardisée pour de petites enquêtes de terrain peu onéreuses et pouvant être réalisées en grande partie par du personnel non spécialisé. L’application de cette méthodologie dans un nombre croissant de pays a permis d’accumuler peu à peu des données épidémiologiques fiables.

Conjointement à la Banque de Données Mondiale sur la Cécité (Bank on Blindness, BDB) de l’OMS, destinée à collecter et à disséminer les informations épidémiologiques et les estimations de tendances, on commença en 1993, en collaboration avec la Banque Mondiale, à mesurer l’étendue de la cécité. A cet effet, le PBL fournit des estimations de la prévalence et de l’incidence des pathologies suivantes conduisant à la cécité : cataracte, glaucome, trachome, et onchocercose. L’étude du poids de la maladie sur la population mondiale combine le décès prématuré et les années d’incapacité à cause d’une déficience. Ce poids se mesure en unités de vie ajustées sur l’incapacité (disability-adjusted life years, DALY).4

Ce rapport présente et discute les informations disponibles sur la prévalence, la répartition et les causes de la cécité dans le monde. On y décrit également les tendances de la prévalence de la cécité au cours des deux dernières décennies. L’attention est notamment mise sur les hypothèses et problèmes méthodologiques entrant en compte dans le calcul des données. Enfin, les domaines requérant davantage de recherches sont identifiés.

Œil droit : glaucome absolu, œil gauche : cataracte avancée. Murray McGavin
Œil droit : glaucome absolu, œil gauche : cataracte avancée. Murray McGavin

Méthodes

Définitions

Les définitions de la cécité et de la déficience visuelle utilisées dans cet article suivent celles de la CIM-10.

La cécité est définie comme une acuité visuelle de moins de 0,05 (3/60), ou une perte correspondante du champ visuel du meilleur œil avec la meilleure correction possible (catégories de déficience visuelle 3, 4 et 5 de la CIM-10). Cela correspond à la perte de la vision permettant de se déplacer.

La déficience visuelle correspond à une acuité visuelle de moins de 0,3 (6/18) mais au moins égale à 0,05 (3/60) pour le meilleur œil avec la meilleure correction possible (catégories de déficience visuelle 1 et 2 de la CIM-10).

Recueil de données

Cet article a été rédigé à partir d’informations provenant d’une sélection de données épidémiologiques fiables sur la cécité et les déficiences visuelles. Deux sources principales ont permis d’identifier les informations les plus pertinentes :

  • Une recherche informatisée régulière d’informations pertinentes, réalisée en marge de la mise à jour permanente de la BDB, et impliquant trois étapes. Tout d’abord, tous les résumés sont numérisés afin d’identifier les questions relatives au sujet et présentant un intérêt. Ensuite, toutes les données pertinentes sont examinées de près, et ne sont conservées que celles répondant à des critères d’éligibilité bien définis. Enfin, l’intégration des nouvelles données dans la banque est acceptée par consensus lors d’une discussion en interne.

Dans ce but, les critères d’éligibilité suivants ont été définis :

  • Définitions claires et univoques de la cécité et de la déficience visuelle (de préférence en concordance avec la catégorisation de la CIM-10).
  • Etude transversale (enquête de prévalence) garantissant une description claire de l’échantillonnage et de son plan ; une allocation aléatoire des unités échantillonnées ; un échantillon assez grand pour atteindre le degré souhaité de précision ; et une estimation fiable des erreurs non dues à l’échantillonnage, ainsi qu’une description des mesures de contrôle qualité employées.
  • La banque de données reçoit également des informations non publiées provenant de sources nationales : un processus de révision similaire à celui décrit ci-dessus est appliqué afin de déterminer sa conformité à l’intégration dans la base.

Pour pallier le manque de données sur la cécité dans de nombreux pays, une série de consultations a été organisée par l’OMS, permettant d’aboutir à un consensus : l’extrapolation des données déjà disponibles à des régions ou des pays voisins, partageant un environnement socioculturel, économique et épidémiologique similaire. Lorsque plusieurs sources d’informations se prêtaient à une telle extrapolation, il a été conclu que les plus appropriées seraient utilisées comme modèle pour une région ou un pays donné, ou pour des groupes à risque.

Évaluation de l’amplitude du problème

Cinq modèles/algorithmes ont été spécifiquement mis au point pour évaluer l’ampleur de la cécité et des déficiences visuelles graves, ainsi que des causes principales de cécité, c’est-à-dire la cataracte, le glaucome, le trachome et l’onchocercose.

En ce qui concerne les « autres causes », sans rapport avec les précédentes, la rareté des données existantes, en particulier pour la rétinopathie diabétique et la dégénérescence maculaire liée à l’âge, empêchait toute estimation directe de la prévalence de telles cécités.

Bien qu’ayant une structure spécifique, chacun de ces cinq modèles partage un même cadre. Ils permettent de réaliser des estimations pour des régions bien définies, fondées sur les évaluations de prévalence par âge, sexe et, si indiquée, race.

En premier lieu, à l’instigation du Rapport sur le développement dans le monde de 1993 (World development report), les 229 pays, territoires, ou économies enregistrés à travers le monde ont été regroupés en huit régions économiques (tableau 1). Ensuite, la structure démographique de 1990 a été prise comme population de base pour chaque pays et tranche d’âge définie.5 Les totaux régionaux furent également calculés pour ces tranches d’âge et pour les deux sexes.

Tableau 1. Répartition des pays en fonction de la région économique a

Région Nb de pays ou d’économies Population (x 103 )
Pays industrialisés riches 35 797 788
Economies de l’ex-bloc socialiste 14 346 237
Inde 1 849 515
Chine 1 1 133 698
Autres pays d’Asie et îles 49 682 533
Afrique subsaharienne 49 510 271
Amérique latine et Caraïbes 46 444 297
Croissant du Moyen-Orient 34 503 075
Total 229 5 267 414

a The World Bank. World development report, 1993. Investing in health. New York, Oxford University Press, 1993.


Les paramètres retenus par le processus de révision furent appliqués aux cinq tranches d’âge (0-4, 5-14, 15-44, 45-59, = 60). Lorsque cela s’y prête, le sexe, la répartition raciale (pour le glaucome par ex.), et le lieu de résidence (pour le trachome et l’onchocercose par ex.) sont pris en compte, tout comme les disparités entre milieux urbain et rural. Les projections du nombre régional de non-voyants sont réalisées en appliquant à la structure démographique de 1990 les taux par âge, sexe et race.

Dix-sept études en population générale ont été réalisées pour estimer l’ampleur de la déficience visuelle, telle que définie dans la CIM-10 (catégories 1 et 2). L’estimation de la cécité a permis d’évaluer grossièrement l’étendue de la déficience visuelle après pondération par un facteur correctif.

Le travail considérable déjà fourni en matière de traitement de l’onchocercose, et les nouvelles initiatives pour distribuer l’ivermectine ont permis au programme de lutte contre l’onchocercose et aux rapports de comités d’experts de l’OMS d’utiliser ces données. Elles sont discutées cidessous.

Cicatrisation de la cornée après une carence en vitamine A. John DC Anderson
Cicatrisation de la cornée après une carence en vitamine A. John DC Anderson
Kératite sclérosante d’onchocercose. Pak Sang Lee
Kératite sclérosante d’onchocercose. Pak Sang Lee

Résultats

Ampleur de la cécité et de la malvoyance à l’échelle planétaire

D’après l’algorithme établi, on dénombrait en 1990 environ 38 millions d’aveugles dans le monde (tableau 2). La prévalence mondiale de la cécité était de 0,7 %, allant de 0,3 % dans les pays riches et dans les anciennes économies socialistes européennes, à 1,4 % en Afrique subsaharienne.

Le tableau 3 s’appuie sur les enquêtes menées dans 17 pays pour mettre en lumière le lien existant entre la cécité et la déficience visuelle. Si l’on applique, comme dans la définition de la CIM-10, un facteur de 2,9 au nombre d’aveugles, on atteint un nombre de malvoyants d’environ 110 millions. Le nombre total d’handicapés visuels (personnes aveugles ou souffrant d’une déficience visuelle importante) aurait donc été de 148 millions en 1990.

Tableau 2. Répartition mondiale de la cécité par régions économiques

Région Population de référence (x 103 ) Nb de non-voyants (x 103 ) Prévalence de la cécité (%)
Pays industrialisés riches 797 788 2 400 0,3
Economies de l’ex-bloc socialiste 346 237 1 100 0,3
Inde 849 515 8 900 1,0
Chine 1 133 698 6 700 0,6
Autres pays d’Asie et îles 682 533 5 800 0,8
Afrique subsaharienne 510 271 7 100 1,4
Amérique latine et Caraïbes 444 297 2 300 0,5
Croissant du Moyen-Orient 503 075 3 600 0,7
Total 5 267 414 37 900 0,7

Tableau 3. Estimation de la relation entre cécité et déficience visuelle (définitions de la CIM-10) a

Région Taux de cécité (%) Taux de déficience visuelle (%) Facteur de multiplication
Afrique (subsaharienne) (9 pays) 0,3 / 1,3 1,4 / 3,6 2,0 / 7,0
Croissant du Moyen-Orient (6 pays) 0,4 / 1,5 1,3 / 7,8 2,5 / 5,2
Pays industrialisés riches (1 pays) 0,5 1,3 3,3
Autres pays d’Asie et îles (1 pays) 0,8 1,9 2,3
Total (17 pays)     2,9 b

a Données disponibles dans la Banque de Données sur la Cécité de l’OMS/PBL issues des enquêtes démographiques

b Moyenne géométrique


Répartition et poids régionaux de la cécité

Pour aborder ce problème et fournir un moyen simple de comparaison, a été défini le ratio entre la proportion du nombre d’aveugles d’une région donnée par rapport au nombre mondial d’aveugles, et la proportion de la population régionale par rapport à la population mondiale ; ce ratio correspond au poids régional de la cécité (Regional Burden of Blindness, RBB) (tableau 4). Ainsi, si une région détient 0,1 (10 %) de la cécité mondiale et 0,2 (20 %) de la population mondiale, le RBB sera de 0,5. Si la région est caractérisée par une proportion « équitable » d’aveugles par rapport à sa population, son RBB sera égale à un. Tout RBB supérieur à l’unité permet de repérer les régions où il est urgent, sur le plan mondial, de traiter la cécité en priorité.

Les « régions » suivantes présentent un RBB supérieur à l’unité : l’Afrique subsaharienne (1,93), l’Inde (1,46) et les autres pays d’Asie et îles (1,18).

Tableau 4. Poids régional de la cécité (RBB)

Région % de la population mondiale (A) % du poids mondial de la cécité (B) RBB (B/A)
Pays industrialisés riches 15,1 6,3 0,41
Economies de l’ex-bloc socialiste 6,6 2,9 0,44
Inde 16,1 23,5 1,46
Chine 21,4 17,6 0,82
Autres pays d’Asie et îles 13,0 15,3 1,18
Afrique subsaharienne 9,7 18,8 1,93
Amérique latine et Caraïbes 8,4 6,1 0,72
Croissant du Moyen-Orient 9,6 9,5 0,99

Répartition de la cécité par tranches d’âge

Le tableau 5 montre une déterioration des chiffres de la cécité par tranches d’âge dans le monde. Un total de 58 % (22 millions) ont 60 ans et plus, tandis qu’à l’autre extrême, la cécité touche 1430 000 des 0-14 ans, soit seulement 3,8 % du total mondial. Parmi les 45-59 ans, la cécité affecte 12 millions de personnes, soit environ un tiers de la population mondiale d’aveugles.

Le tableau 6 compare la prévalence de la cécité parmi les personnes de 60 ans et plus dans les pays développés et en développement. Les pays industrialisés riches et les pays européens de l’ex-bloc socialiste ne pèsent que 11,2 % de la cécité mondiale pour 41,5 % de la population mondiale des 60 ans et plus (RBB = 0,27). Les pays à forte croissance démographique, totalisant 58,5 % de la population mondiale des 60 ans et plus, comptent 88,8 % des aveugles de cette tranche d’âge (RBB = 1,51).

Tableau 5. Répartition mondiale de la cécité par tranche d’âge

Age (années) Population de référence (x 103 ) Nb d’aveugles (x 103 ) Prévalence
0-14 1 710 000 1 430 (3,8)a 8 pour 10 000
15-44 2 445 000 2 470 (6,5) 1 pour 1 000
45-59 623 000 12 000 (31,7) 1,9 %
≥ 60 488 000 22 000 (58,0) 4,4 %
Total 5 267 000 37 900 (100) 0,7 %

a Les chiffres entre parenthèses sont des pourcentages


Tableau 6. Répartition de la cécité parmi les soixante ans et plus par région économique

Région Population totale (x 103) 60 ans et plus (x 103) Nb de non-voyants 60 ans et plus (x 103) Prévalence(%)
Pays industrialisés riches et économies de l’ex-bloc socialiste 1 144 027 (21,7)a 202 470 (41,5) 2 450 (11,2) 1,2
Pays à forte croissance démographique 4 123 385 (78,3) 285 602 (58,5) 19 550 (88,8) 6,8
Total 5 267 414 488 072 22 000 4,4

a Les chiffres entre parenthèses sont des pourcentages


Répartition de la cécité par cause

Le tableau 7 détaille les estimations régionales des causes principales de cécité pour lesquelles des modèles spécifiques ont été appliqués.

  • La cataracte est à l’origine de 41,8 % de la cécité mondiale (15 829 000 personnes), probablement causée en très grande partie par une cataracte opérable ou curable.
  • Le trachome (15,5 %), dans les pays en développement, et les différents types de glaucomes, à travers le monde (13,5% de la cécité), sont deux facteurs provoquant une grande partie de la cécité.
  • L’onchocercose a été réévaluée par un comité d’experts de l’OMS en 1993. Elle serait à l’origine de 360 000 cas de cécité, dont ceux dus à un champ visuel restreint, ainsi que les nouveaux foyers de la maladie en Afrique.6

Dans l’ensemble des régions en développement, la cataracte est la première cause de cécité, tandis que les autres causes (diabète, dégénérescence maculaire, etc.) prévalent largement dans les pays industrialisés riches et dans les pays de l’ex-bloc socialiste d’Europe de l’Est.

Tableau 7. Répartition mondiale de la cécité par grande cause et région

Région Nb de non-voyants (x 103 ) par : Cataracte Nb de non-voyants (x 103 ) par : Trachome Nb de non-voyants (x 103 ) par : Glaucome Nb de non-voyants (x 103 ) par : Onchocercose Nb de non-voyants (x 103 ) par : Autres Nb de non-voyants (x 103 ) par : Total
Pays industrialisés riches 84 180 2 136 2 400
Economies de l’ex-bloc socialiste 91 74 935 1 100
Inde 5 120 865 1 141 1 774 8 900
Chine 2 166 1 174 1 514 1 846 6 700
Autres pays d’Asie et îles 2 314 1 362 973 1 151 5 800
Afrique subsaharienne 3 101 1 380 853 358,5 1 407,5 7 100
Amérique latine et Caraïbes 1 326 158 183 1,5 631,5 2 300
Croissant du Moyen-Orient 1 627 927 205 841 3 600
Total 15 829
(41,8)a
5 866
(15,5)
5 123
(13,5)
360
(0,9)
10 722
(28,3)
37 900
(100)

a Les chiffres entre parenthèses sont des pourcentages


Discussion

Les projections/estimations de la cécité mondiale sont fondées sur une quantité croissante de données épidémiologiques provenant des différentes parties du globe. Cependant, le bât blesse dans la mesure où les données que nous fournissent les populations, sur la prévalence de la cécité, et qui permettent de mettre au point les modèles pour les estimations de la maladie, notamment dans les économies de marché et dans les pays socialistes de l’ex-Europe de l’Est, en Amérique latine et dans les Caraïbes, sont trop peu nombreuses.

Les estimations présentées ici mettent en lumière les tendances entre les huit régions économiques. Bien que l’on ait tenté de standardiser les informations disponibles, il n’a pas toujours été possible de le faire entre toutes les régions. Cela provient principalement de la variation dans les procédures de recueil des informations dans les études dont on dispose. C’est la raison pour laquelle le poids régional de la cécité (RBB) a été instauré.

L’application de la méthode d’évaluation simplifiée de l’OMS pour la cécité dans plus de trente pays a peu à peu permis d’accumuler des données fiables, qui ont pu à leur tour servir de base pour réviser la Banque de Données sur la Cécité comprenant la population mondiale de 1984. Cette année là, le nombre d’aveugles était estimé à 31,2 millions, sur une population mondiale de 4 760 millions. (Available data on blindness (Update 1987). WHO/PBL/87.14.)

Rétinopathie diabétique.  ICEH
Rétinopathie diabétique. ICEH

Les estimations du nombre total de nonvoyants en 1978 (28 millions), 1984 (31millions) et 1990 (38 millions), ne sont pas directement comparables dans la mesure où elles ont été obtenues grâce à trois méthodes différentes. Entre 1978 et 1990, le nombre d’aveugles semble avoir augmenté de 10 millions. La dernière évaluation se fonde sur un plus grand nombre de données, et peut donc être considérée comme la plus précise.

L’estimation de 1990 indique que la cécité risque de connaître une croissance accrue, à moins que les moyens nécessaires ne soient mis en œuvre pour sa prévention. Cette croissance s’est produite presque exclusivement en Afrique et en Asie : 75 % de la cécité mondiale est aujourd’hui à déplorer sur ces deux continents, où la forte croissance démographique et le vieillissement important de la population contribuent à l’accentuation de la tendance, encore plus marquée dans les pays où les services d’ophtalmologie sont particulièrement rares.

Il est nécessaire d’accorder une plus grande importance au problème de la déficience visuelle, car c’est une source importante de handicaps alors qu’il existe des mesures pour y remédier. Comme il est indiqué dans cet article, les données disponibles nous montrent que pour chaque personne aveugle, trois autres souffrent de déficience visuelle. Le problème, d’ordre socio-économique et de santé publique, est capital, et doit appeler au recueil de davantage d’informations concernant la déficience visuelle et ses causes, afin d’organiser un programme national digne de ce nom.

Les trois causes principales de cécité dans le monde, que sont la cataracte, le trachome et le glaucome, comptent à eux trois pour plus des deux tiers (71%) de l’ensemble des non-voyants. L’importance relative de chacune de ces trois maladies varie grandement par région à cause des différences de structure démographique, de l’incidence de chaque maladie, et de la disponibilité/accessibilité des services de soins ophtalmologiques.

  • La cataracte demeure la cause principale de cécité (15,83 millions de personnes). Le nombre de cataractes non-opérées a augmenté depuis l’estimation de 1990 lors de la consultation de l’OMS (13,6 millions).7 Il est possible que cette augmentation soit due à des données plus nombreuses et plus fiables que lors de la dernière projection du poids de la cataracte, qui prennent désormais en compte les effets du vieillissement dans les pays en développement.
  • Tenu responsable de près de 15 % de la cécité mondiale, le trachome reste une cause majeure de cécité. Selon plusieurs pays, il commencerait à être maîtrisé,8 mais d’importantes poches de résistance demeurent dans la plupart des pays les moins développés. Le nombre toujours trop élevé de cécité par trachome doit être considéré au regard des populations rurales défavorisées de ces pays où la pauvreté rend la maîtrise de la maladie difficile.
  • Les dernières estimations n’ont fait que vaguement allusion au glaucome, mais un examen détaillé des données et des projections de 1993 relatives à la maladie a montré que le problème était plus sérieux qu’on ne le pensait.9,10 Il est assez difficile d’intervenir efficacement pour prévenir la cécité par glaucome, en particulier dans les pays en voie de développement où son dépistage précoce et son suivi posent de sérieux problèmes. Le scénario à venir est probablement que la cécité par glaucome continuera de se répandre sur la planète, en raison du vieillissement des populations et du manque de ressources ophtalmologiques qui pourraient permettre une intervention efficace contre la maladie.

Les carences en vitamine A (xérophtalmie) représentent toujours la cause principale de cécité chez l’enfant. Une étude récente a ainsi montré que sur 500 000 enfants perdant la vue chaque année, la xérophtalmie était responsable d’environ 70 % des cas,11 ce qui correspond grossièrement à une prévalence d’un million d’enfants aveugles, et ce sans compter la forte mortalité chez ces enfants atteints. Le manque de données épidémiologiques pertinentes empêche toutes statistiques spécifiques pour de nombreuses autres causes de cécité bien connues comme la rétinopathie diabétique – généralement reconnue comme la cause majeure de cécité parmi les personnes en âge de travailler des pays développés, et en forte croissance dans les zones urbaines du monde en développement – et la dégénérescence maculaire liée à l’âge, dont la prévalence va aller croissante avec le vieillissement de la population mondiale. Les autres sources de cécité comprennent les traumatismes oculaires, tenus pour responsable de près de 500 000 cas,12 et la lèpre oculaire (250 000 cas).13

La population âgée est communément désignée comme « les 60 ans et plus ». Le tableau 8 résume l’évolution (depuis 1980) et les tendances à venir pour cette tranche d’âge jusqu’en 2020. Àce jour, le vieillissement de la population est un problème de taille dans les pays industrialisés riches et dans les pays européens de l’ex-bloc communiste, où l’on estime que l’accroissement prévu des plus de soixante ans sera de 186 % entre 1980 et 2020. Mais le vieillissement de la population a également lieu dans les pays en développement, et les changements démographiques ont été – et risquent de rester – plus rapides dans ces pays. Ainsi, dans ces pays, l’accroissement prévu pour la même tranche d’âge doit être de 356 % entre 1980 et 2020 (tableau 8).

En raison de la très forte corrélation entre le vieillissement et l’incidence de la cécité, les services d’ophtalmologie doivent prendre en main les causes de cécité liées à l’âge. En appliquant les prévalences de cécité par âge aux personnes âgées qui sont dans le tableau 6 – 1,2 % pour les pays les plus développés contre 6,8 % dans le reste du monde – et en supposant qu’aucun autre moyen ne permettra de réduire la cécité prévue chez les personnes âgées, on s’attend à environ 54 millions de non-voyants de soixante ans et plus d’ici 2020, dont plus de 50 millions dans les pays en voie de développement. (Available data on blindness (Update 1994). WHO/PBL/94.38.)

Tableau 8. Croissance démographique et vieillissement dans les pays développés et en voie de développement entre 1980 et 2020

Région 1980a Population totale (x 103 ) 1980a Population ≥ 60 ans 1990<b Population totale (x 103 ) 1990<b Population ≥ 60 ans 2020c Population totale (x 103 ) 2020c Population ≥ 60 ans
Pays industrialisés riches et économies de l’ex-bloc socialiste 1 136 668 173 325
(15,2)d
1 144 027 202 470
(17,7)
1 376 686 321 930
(23,4)
Autres 3 312 899 207 880
(6,2)
4 123 385 285 602 (6,9) 6 445 507 739 710
(11,5)
Total 4 449 567 381 205
(8,6)
5 267 412 488 072
(9,3)
7 822 193 1 061 640
(13,6)

a Global estimates and projections of population by sex and age: the 1984 assessment. Document des Nations Unies non publié ST/ESA/SER.R/70, 1987

b Banque Mondiale. World development report, 1993. Investing in health. New York, Oxford University Press, 1993.

c Ministère américain de l’Economie., 1991

d Les chiffres entre parenthèses sont des pourcentages


Références

1 The prevention of blindness. Report of a WHO Study Group. Geneva, World Health Organization, 1973 (WHO Technical Report Series, No. 518).

2 Data on blindness throughout the world. WHO Chronicle; 1979; 33:275-283.

3 Thylefors B. A simplified methodology for the assessment of blindness and its main causes. World health statistics quarterly, 1987; 40(2):129-141.

4 The World Bank. World development report, 1993. Investing in health. New York, Oxford University Press, 1993.

5 Bos E et al. World population projections 1992-1993. Estimates and projections with related demographic statistics. Baltimore, MD, Johns Hopkins University Press, 1992.

6 Onchocerciasis control. Report of a WHO Expert Committee. Geneva, World Health Organization, 1994.

7 Use of intraocular lenses in cataract surgery in developing countries. Memorandum from a WHO meeting. Bull WHO, 1991; 69:657-666.

8 Thylefors B, Négrel A-D, Pararajasegaram R. La surveillance épidémiologique du trachome: bilan et perspective. Revue internationale du trachome. 1992; 107-114.

9 Négrel A-D. Cécité et glaucome. In: Pression oculaire et glaucome debutant: question d’actualité – attitudes pratiques. Symposium de Paris, October 1992. Paris, Comité de Lutte contre le Glaucome, 1992; 17-27.

10 Thylefors B, Négrel A-D. The global impact of glaucoma. Bull WHO 1994; 72:323-326.

11 The prevention of childhood blindness. Geneva, World Health Organization, 1992.

12 Anderson JDC, Foster A. Ocular trauma. Tropical Doctor, 1989; 19:35-40.

13 Courtright P, Johnson G. Prevention of blindness in leprosy. London, International Centre for Eye Health, 1988.