RSOC Vol. 01 No. 01 2004 pp 01 - 03. Publié en ligne 01 août 2004.

Une initiative mondiale pour l’élimination de la cécité évitable

Bjorn Thylefors MD

Docteur en Médecine, Directeur du Programme pour la, Prévention de la Cécité et de la Surdité, Organisation Mondiale de la Santé, CH-1211 Geneva 27, Suisse

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Lunettes aphatiques pour un patient monoculaire en Ouganda. Murray McGavin
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En dépit des efforts considérables fournis par de nombreux pays en développement et leurs programmes nationaux de prévention de la cécité, le nombre mondial d’aveugles et de malvoyants semble continuer à croître, principalement à cause de l’augmentation de la population et de son vieillissement. Ainsi, l’estimation la plus récente (1997) de la cécité mondiale était de quelques 45 millions d’aveugles, et 135 millions de déficients visuels (« malvoyants »). Environ 80 % des cécités peuvent être évitées (évitables ou curables), et neuf aveugles sur dix sur la planète vivent dans les pays en développement.

Du fait de cette situation alarmante, avec un nombre d’aveugles dans le monde pouvant potentiellement doubler d’ici 2020, une série de rencontres se sont tenues en 1996 et 1997 entre les responsables du Programme de l’OMS et les représentants des Organisations Non Gouvernementales (ONG), afin d’établir un programme mondial d’action commune contre la cécité évitable. Le résultat attendu sera un renforcement et une accélération de la prévention de la cécité, en particulier dans les pays en développement.

A la suite de ces rencontres, l’Initiative Mondiale pour l’Elimination de la Cécité Evitable se concentre sur quelques axes prioritaires, et sur la définition des actions à mener d’ici 2020 :

  • maîtrise de la maladie ;
  • développement des ressources humaines ;
  • renforcement des infrastructures et développement approprié des technologies servant aux soins oculaires.

Maîtrise de la maladie

La cataracte représente la première priorité parmi les causes majeures de cécité avec une estimation actuelle de 16 à 20 millions de cas non-opérés. Le nombre d’opérations de la cataracte par million d’habitants et par an est un moyen utile pour comparer le volume de soins ophtalmologiques dans des environnements variés, et les différences sont éloquentes :

Opérations/Millions de personnes/An

  • Afrique : Environ 200
  • Amérique latine : 500-1 500
  • Inde : Environ 2 000
  • Europe : Environ 3 000
  • Etats-unis : Environ 5 000

Il est donc nécessaire d’augmenter de manière très importante le nombre d’opérations de la cataracte dans les pays en développement. On estime aujourd’hui qu’environ sept millions d’opérations ont été effectuées dans le monde en 1995, et que 12 millions d’opérations seront nécessaires en 2000 si l’on veut prévenir l’augmentation du retard de chirurgie. De la même manière, d’ici 2010, 20 millions d’opérations devront être réalisées, pour atteindre le nombre impressionnant de 32 millions d’opérations de la cataracte nécessaires en 2020. Conjointement à cette augmentation du nombre d’opérations à effectuer, il devra y avoir une évolution technologique avec l’utilisation d’implantation de lentilles intraoculaires (LIO) comme méthode standard, ainsi qu’un suivi spécifique de la qualité des opérations. Pour cela, une meilleure gestion ainsi qu’un meilleur suivi des services et du degré de satisfaction des patients, seront nécessaires.

Le trachome, responsable de près de 5,6 millions d’aveugles et d’environ 146 millions de cas de maladie en phase active en attente de traitement, demeure la plus fréquente cause de cécité évitable dans le monde. Une stratégie appropriée, appelée « SAFE » (Surgery, Antibiotics, Facial Cleanliness and Environmental Hygiene, dont l’équivalent français est la stratégie « CHANCE » pour Chirurgie, Antibiothérapie, Nettoyage du visage et Changement de l’Environnement) a été mise au point et est de plus en plus utilisée dans les pays endémiques. L’Alliance pour l’Élimination Mondiale du Trachome, récemment mise en place par l’OMS (1997), va faciliter la collaboration entre les parties intéressées, parmi lesquelles 46 pays endémiques touchés par le trachome cécitant. Les actions envisagées dans cette Initiative Mondiale comprennent la réalisation d’environ cinq millions d’opérations du trichiasis entre 2000 et 2010, et le traitement, au cours de la même période, d’au moins 60 millions de personnes atteintes par la maladie active. D’ici 2020, la cécité due au trachome devrait être définitivement éradiquée de la planète.

L’onchocercose sera maîtrisée d’ici 2010 si les actions en cours dans les pays endémiques sont menées à bien. La mise au point récente du Traitement à l’Ivermectine, en doses annuelles, sous Directives Communautaires (TIDC) permettra d’éliminer cette maladie cécitante des pays d’Afrique et d’Amérique latine.

La cécité de l’enfant est principalement causée par la carence en vitamine A, la rougeole, la conjonctivite du nouveau-né, la cataracte congénitale et la rétinopathie du prématuré. L’élimination de la xérophtalmie et de la rougeole a rapidement progressé grâce aux actions du programme « Survie de l’enfant » soutenu par de nombreux organismes dont les Nations Unies.Cependant, il reste beaucoup à faire pour les détecter, le plus tôt possible, et prendre en charge de façon optimale les autres causes de cécité de l’enfant.

Les défauts de réfraction et la malvoyance font également partie des priorités en terme de déficience visuelle ; à l’échelle mondiale, le besoin en lunettes et appareils de correction de la malvoyance est considérable. L’Initiative Mondiale se concentrera sur l’intégration des services d’optométrie (lunetterie) dans les soins de santé primaire et scolaires, et sur la promotion d’une production locale de lunettes et d’appareils d’optométrie à prix modique.

Développement des ressources humaines

En matière de développement des ressources humaines, l’accent sera mis sur la prévention de la cécité en tant que soin de santé primaire. Cela implique un soutien continu à la formation en soins ophtalmologiques primaires dans chaque pays. De plus, des efforts supplémentaires seront fournis pour former davantage d’ophtalmologistes, afin de passer du nombre actuel d’un ophtalmologiste pour 500 000 personnes en Afrique à 1 pour 250 000 d’ici 2020. En Asie, cela reviendra à passer de 1: 200 000 aujourd’hui à 1: 50 000 en 2020. De la même manière, la formation d’un plus grand nombre d’assistants et d’infirmières en ophtalmologie devrait permettre d’atteindre des ratio de 1: 100 000 ou 1: 50 000 en 2020, contre 1: 400 000 actuellement en Afrique et 1: 200 000 en Asie. D’ici 2020, il est également prévu que la formation en soins oculaires de base soit couverte à 100 % par les écoles de médecine. L’Initiative Mondiale prévoit enfin de former d’autres catégories professionnelles comme les optométristes, les dirigeants de programmes nationaux, régionaux, et de grandes cliniques, et les techniciens chargés du matériel.

Infrastructure et technologie appropriée

Le développement d’infrastructures et de technologies appropriées constitue le troisième grand volet de l’Initiative Mondiale. Des normes régissant la disponibilité de lits d’hôpitaux en ophtalmologie, de services d’optométrie, de médicaments essentiels, etc. seront mises en place, afin de s’assurer que disponibilité, accessibilité, utilisation et couverture des soins ophtalmologiques de base concerneront au moins 90 % de l’ensemble de la population en 2020.

En ce qui concerne le développement de technologies appropriées, l’accent va être mis sur une utilisation durable des technologies modernes, en employant, dans la mesure du possible, la production locale des pays en développement. Les domaines concernés sont les instruments et autre matériel nécessaires lors de l’opération de la cataracte, des examens oculaires de base et de la chirurgie du trichiasis, les lunettes et autres appareils de correction, ainsi que les ordinateurs et les autres systèmes de communication permettant une organisation et une coordination efficaces du travail.

L’Initiative Mondiale ne fait que débuter, mais il est clairement admis qu’une campagne mondiale de sensibilisation portant sur le rationel et l’important bénéfice de la prévention de la cécité est nécessaire auprès des décideurs et des prestataires de soins de santé . D’un point de vue humanitaire, le futur scénario d’un doublement de la population mondiale d’aveugles d’ici 2020 – à moins que plus de prévention ne soit réalisée – est inacceptable, et aurait des conséquences socio-économiques et de croissance d’une portée considérable. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de renforcer le partenariat entre tous les acteurs de la prévention de la cécité, afin d’optimiser l’utilisation des ressources d’aujourd’hui et de demain.

Note : Cet article a été précédemment publié dans Community Eye Health, No 25, Vol 11, 1998