RSOC Vol. 17 No. 23 2020 pp 18-19. Publié en ligne 28 avril 2020.

Soins de santé : que faire quand quelque chose tourne mal ?

David Yorston

Ophtalmologiste chef de clinique, Tennent Institute of Ophthalmology, Gartnavel Hospital, Glasgow, Écosse, Royaume-Uni.


Le personnel de santé mis en cause dans une erreur médicale aura besoin du soutien de la hiérarchie. © Drazen Zigic / ISTOCK
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En tant que professionnels de la santé, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir à nos patients les meilleurs résultats visuels et cliniques possibles. Que faire si quelque chose tourne mal ?

Les soins de santé sont par nature une activité dangereuse. Nous administrons des médicaments qui peuvent être toxiques et nous introduisons dans l’oeil des instruments tranchants. Parfois, ces activités ont des conséquences néfastes. Quelle est la conduite à suivre lorsqu’une personne est victime de quelque chose que nous avons fait ou omis de faire ?

L’Ordre des médecins britannique, l’organe qui fixe les normes éthiques pour les médecins au Royaume-Uni, fournit des directives1 qui mettent l’accent sur le devoir de franchise, le devoir d’être ouvert et sincère avec nos patients. Si quelque chose tourne mal, nous devons le dire à nos patients, leur donner une explication complète et présenter nos excuses.

Les directives soulignent que l’explication et les excuses doivent être fournies par un clinicien suffisamment haut placé dans la hiérarchie du service. Cette personne n’est peut-être pas fautive, mais elle est responsable des soins administrés au patient. Un clinicien de plus haut niveau est également plus susceptible d’avoir les connaissances et l’expérience nécessaires pour répondre aux questions du patient.

Si les excuses et l’explication doivent être fournies par un clinicien de haut niveau, les membres de l’équipe ont alors le devoir d’informer leur supérieur hiérarchique de l’erreur. Ces moments peuvent être pénibles et embarrassants ; par conséquent, le personnel de haut niveau a le devoir d’encourager une culture de signalement des erreurs sans crainte de représailles. Dans un environnement de ce genre, la plupart des erreurs seront considérées comme une défaillance du système provoquée par un concours de circonstances. De temps en temps, la cause principale de l’événement sera une erreur commise par un individu. Dans les deux cas, la règle devrait être d’enquêter sur la cause de l’erreur et de fournir une formation si nécessaire, plutôt que de prendre des mesures disciplinaires. Les mesures disciplinaires doivent être réservées aux très rares cas où un professionnel de la santé s’est montré délibérément négligent.

Quand informer le patient

Parfois, le patient ne sait pas que quelque chose s’est mal passé (par exemple, lorsqu’une complication est survenue pendant que le patient était sous anesthésie). Dans ce cas, vous pourriez estimer qu’il n’est pas utile d’informer le patient de l’incident. Cependant, ne pas informer le patient serait malhonnête. La complication pourrait être révélée si le patient se fait examiner par un autre médecin, auquel cas votre erreur initiale serait aggravée par votre manque d’honnêteté.

On pourrait également être tenté d’attendre jusqu’à ce que le résultat final de l’incident soit connu. Cependant, nous avons le devoir de fournir une explication complète dès que possible, même s’il faudra engager plus tard des conversations plus difficiles lorsque l’étendue du préjudice se précisera. Au Royaume-Uni et ailleurs, les assureurs sont très clairs sur l’importance de donner aux patients une explication aussi complète que possible et le plus tôt possible (c’est ce qu’on appelle la « divulgation »), car il a été démontré que cela réduit le risque de demande d’indemnisation. Cependant, de nombreux professionnels de la santé oculaire ne sont pas conscients de l’importance de la divulgation. C’est un aspect qui devrait être souligné durant leur formation.

Que faut-il dire ?

Vous devez toujours commencer par vous excuser. Les professionnels de la santé peuvent hésiter à s’excuser, car ils craignent qu’en présentant des excuses ils ne soient considérés comme fautifs. Cependant, dans la plupart des pays, il a été établi que le fait de présenter des excuses ne signifie pas que vous acceptez la responsabilité légale d’un préjudice subi. Des excuses rapides et sincères aideront le patient à accepter l’événement indésirable et à se rétablir au mieux.

Vous devez être sensible aux besoins du patient. Il faut prévoir suffisamment de temps pour une discussion complète et avoir cette conversation dans un lieu privé. Ce n’est pas une conversation que l’on peut avoir dans un couloir. Il peut être souhaitable que d’autres membres de la famille soient présents.

Les patients attendent généralement trois choses des excuses qu’on leur présente :

  1. Une explication de l’incident et de la façon dont il s’est produit. Cette explication doit être donnée de manière à ce que le patient puisse comprendre, en évitant autant que possible le jargon médical. Souvent, nous ne savons pas exactement ce qui a mal tourné ; l’événement peut avoir été le résultat d’une chaîne complexe d’erreurs. Si vous ne savez pas exactement comment cela s’est passé, rassurez le patient en lui disant que vous allez personnellement enquêter sur ce qui s’est passé et que vous l’informerez des résultats de votre enquête lorsqu’elle sera terminée.
  2. Un plan pour minimiser ou rectifier les dommages causés et, si possible, une idée de l’issue probable. Si le patient a été facturé pour le traitement, vous devez lui assurer que tout traitement supplémentaire requis à la suite de l’événement indésirable sera gratuit.
  3. Ce que vous comptez faire pour que personne d’autre ne subisse le même préjudice à l’avenir.

Pourquoi est-ce si important ?

À l’échelle mondiale, les indemnisations pour erreurs médicales s’élèvent à plusieurs millions de dollars chaque année. Cet argent serait bien mieux dépensé pour traiter des patients et payer ou former des professionnels de la santé. Des excuses sincères accompagnées d’une explication complète réduisent le risque d’une demande d’indemnisation. Cependant, il y a deux autres raisons bien plus importantes :

  1. Il ne faut pas oublier qu’une personne, le patient, a subi un préjudice. Notre devoir éthique est de minimiser ce préjudice et de soulager l’anxiété et la détresse dont souffre la personne. S’excuser et expliquer ce qui s’est passé est une première étape essentielle pour aider votre patient à se rétablir.
  2. Lorsqu’on aborde ouvertement les erreurs, il est plus facile d’apprendre de celles-ci et de permettre à d’autres personnes de les éviter à l’avenir. On dit que l’homme sage apprend de ses erreurs, ce à quoi j’ajouterais : même les personnes les plus intelligentes apprennent des erreurs des autres.

Étude de cas n°1 : le chirurgien de la cataracte

Un chirurgien effectue une opération simple de la cataracte. Au moment où il extrait le matériel cristallinien, l’oeil se durcit brusquement et le reflet rétinien disparaît. Le chirurgien réalise qu’il s’est produit une hémorragie choroïdienne importante, arrête immédiatement l’opération et referme la plaie. Le lendemain, l’oeil ne perçoit que les mouvements de la main (l’acuité visuelle préopératoire était de 1/10e) et le patient n’est pas content.

Le chirurgien ayant opéré a le devoir de s’excuser auprès du patient et de lui fournir une explication complète. La complication n’était pas de sa faute, puisqu’une hémorragie choroïdienne survient en général spontanément. Sa gestion de la complication a été correcte et il n’a rien fait de mal, mais il a le devoir d’expliquer au patient ce qui a mal tourné et de s’excuser d’avoir aggravé la vision.

Le chirurgien doit parler au patient le plus rapidement possible après l’opération. Si l’opération a été effectuée sous anesthésie locale, le patient saura que quelque chose s’est mal passé, car il aura entendu les échanges entre le chirurgien et les infirmiers. Il se peut que le patient s’imagine que ce qui s’est passé était encore plus grave qu’une hémorragie choroïdienne ; de ce fait, plus vite le chirurgien fournira une explication, plus vite le patient sera rassuré. Expliquez au patient quelle sera la future prise en charge et rassurez-le en lui disant qu’il a de bonnes chances de recouvrer la vue une fois l’hémorragie maîtrisée.

Étude de cas n°2 : l’infirmier spécialisé en ophtalmologie

Une femme atteinte d’un glaucome précoce et léger traité par un collyre est opérée de la cataracte. Un mois plus tard, elle se présente pour un examen postopératoire et est vue par un infirmier spécialisé en ophtalmologie. Sa vision est de 7/10e et elle est ravie. En quittant la clinique, elle demande si elle doit continuer à utiliser les gouttes pour les yeux. Croyant qu’elle parlait du médicament contre le glaucome, l’infirmier dit : « Oui, vous devez continuer et les utiliser indéfiniment. » Lorsque la patiente revient pour son rendez-vous de suivi du glaucome six mois plus tard, sa vision est tombée à 3/10e, la pression intraoculaire est de 42 mmHg, et il y a un élargissement important de l’excavation papillaire. L’infirmier découvre que pendant les six derniers mois la patiente a continué à utiliser le collyre à base de corticoïdes qu’on lui avait donné après l’opération de la cataracte, parce qu’on lui avait dit de « continuer les gouttes indéfiniment ».

L’infirmier pourrait se dire : « Pourquoi devrais-je m’excuser ? C’est la patiente qui a commis l’erreur de continuer à utiliser le collyre alors qu’elle aurait dû arrêter ». Cependant, c’est lui l’expert, pas le patient. Il était de sa responsabilité de s’assurer qu’elle avait bien compris les consignes. Comme la patiente n’est pas vraiment consciente de la diminution de la vision dans l’oeil affecté, l’infirmier pourrait également penser qu’il n’est pas nécessaire de fournir une explication qui pourrait être gênante pour lui et pénible pour la patiente. Cependant, tenter de dissimuler l’erreur est malhonnête et empêche les autres de tirer des leçons de cette erreur.

Comme l’infirmier occupe un poste relativement subalterne au sein de l’équipe, il doit raconter ce qui s’est passé à un supérieur hiérarchique. Il est préférable que cette personne accompagne l’infirmier lorsqu’il informera la patiente, au cas où cette dernière poserait des questions auxquelles l’infirmier ne pourrait pas répondre. Une fois que le supérieur hiérarchique et la patiente sont informés, un nouveau système peut être mis en place dans l’établissement de soins : les collyres postopératoires seront désormais séparés des médicaments pour le traitement de longue durée et l’erreur ne se reproduira plus. Si l’infirmier avait gardé le silence, d’autres patients auraient pu subir des préjudices, mais le fait d’avoir été honnête au sujet de l’erreur (qui est due à une mauvaise communication) a permis d’améliorer les soins.

Étude de cas n°3 : le directeur du centre de soins

Vous êtes le directeur d’un centre de soins oculaires. L’ingénieur de l’hôpital vous dit qu’un climatiseur dans l’unité de stérilisation ne fonctionne pas correctement et souffle probablement des particules dans la zone où sont conservés les plateaux à instruments stériles. L’ingénieur n’est pas en mesure de vous dire quelle est l’ampleur du risque, mais dit que la réparation du climatiseur prendra une semaine. Vous ne voulez pas annuler toutes les opérations pendant une semaine, car le centre est vraiment à court d’argent. S’il n’y a pas d’opérations, il n’y a pas de revenus. Vous supposez que le risque est faible et vous n’informez pas les chirurgiens du problème. Malheureusement, trois patients opérés au cours des jours suivants développent une endophtalmie.

Le devoir de franchise ne concerne pas seulement le personnel clinique. Tous ceux qui sont impliqués dans les soins de santé ont le devoir d’être honnêtes et transparents en ce qui concerne les erreurs. Dans ce cas-ci, vous devez informer les chirurgiens du problème de climatiseur et des raisons pour lesquelles vous avez décidé de ne pas annuler les opérations. Vous pourriez être tenté de garder le silence et d’essayer de dissimuler ce qui s’est passé ; seuls vous et l’ingénieur êtes au courant du problème. Cependant, la vérité finit toujours par se savoir et toute tentative de la dissimuler aggrave la situation. Il vaut beaucoup mieux être ouvert et honnête tout de suite que de retarder la manifestation de la vérité.

Conclusion

Malgré tous nos efforts, les choses tournent parfois mal dans le domaine des soins de santé. Les conséquences de ces événements indésirables peuvent être graves, mais les patients iront bien mieux si le problème est reconnu rapidement et géré de manière appropriée. Cela commence par une conversation ouverte qui reconnaît l’erreur et fournit une explication aussi complète que possible de ce qui s’est passé, des raisons pour lesquelles cela s’est produit et de la manière dont vous allez y remédier. Le rétablissement du patient commence par vos excuses.

Les informations relatives aux personnes et circonstances mentionnées dans cet article ont été modifiées pour protéger leur identité.

Référence

1 https://www.gmc-uk.org/ethical-guidance/ethical-guidance-for-doctors/candour—openness-and-honesty-when-things-go-wrong