Services de prise en charge des amétropies : former du personnel pour répondre aux besoins
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Dans de nombreux pays à faibles et moyens revenus, les services existants de prise en charge des amétropies ne permettent pas de répondre aux besoins de la majorité des personnes qui sont à l’heure actuelle aveugles ou malvoyantes parce qu’elles n’ont pas de lunettes.
Le fait que les amétropies non corrigées et la basse vision aient été mises au rang des priorités de l’initiative VISION 2020 : le Droit à la Vue a donné une impulsion et une structure au développement de programmes de prise en charge des amétropies pour répondre aux besoins actuels.
Pour qu’un programme de prise en charge des amétropies réussisse, il doit exister suffisamment de personnel possédant les compétences nécessaires pour offrir des services de réfraction à tous les niveaux du programme. Par conséquent, il faut élaborer avec soin un programme de formation approprié qui répondra aux besoins en ressources humaines du programme de prise en charge des amétropies.
Il est généralement recommandé de suivre les étapes ci-dessous :
- Étape n° 1 : évaluer les besoins en matière de services
- Étape n° 2 : analyser les ressources et les services existants
- Étape n° 3 : déterminer les tâches à effectuer, les compétences et les ressources humaines nécessaires aux services de prise en charge des amétropies
- Étape n° 4 : élaborer un plan de formation.
Cet article montre comment la Gambie a abordé la formation du personnel capable de prendre en charge les amétropies et son intégration dans le programme national de lutte contre la cécité.
Étape n° 1 : évaluer les besoins en matière de services
Nous avons évalué les besoins en matière de services de prise en charge des amétropies et de la basse vision en nous basant sur les tendances démographiques dans différentes tranches d’âge (par exemple 10-15 ans ou > 45 ans), sur les volumes de patients et les types de diagnostics en milieu hospitalier (quel type de patient présente quel type de vice de réfraction), ainsi que sur les tendances de prescription de lunettes et de lentilles.
Dans la population rurale de la Gambie, les personnes ayant besoin de services de prise en charge des amétropies sont principalement des adultes lettrés (tels que les enseignants et les chefs religieux), des hommes et des enfants scolarisés. En milieu urbain, les personnes ayant besoin de ces services sont essentiellement les mêmes, mais il faut leur ajouter les fonctionnaires dans le secteur public et les employés du secteur privé.
Nous avons également étudié l’importance accordée par différentes populations à l’aspect esthétique des lunettes et nous avons trouvé que celle-ci était plus marquée au sein des populations urbaines.
Étape n° 2 : analyser les ressources et les services existants
En Gambie, le programme national de lutte contre la cécité (PNLCC) avait déjà atteint une couverture complète de toute la population, qui s’élève à un peu plus d’un million de personnes. Par conséquent, nous avons abordé la prise en charge des amétropies dans ce pays en incorporant les nouveaux services au sein du programme national existant, ce qui était tout à fait faisable.
Au cours de notre analyse, nous avons constaté que, en Gambie, les seuls services de prise en charge des amétropies étaient offerts d’une part par un unique magasin d’optique privé dans la capitale et d’autre part par le service d’optique du centre d’ophtalmologie tertiaire situé dans le centre hospitalier universitaire principal.
Nous avons également analysé les ressources humaines et matérielles du PNLCC existant.
Étape n° 3 : déterminer les tâches à effectuer, les compétences et les ressources humaines nécessaires aux services de prise en charge des amétropies
Nous avons d’abord déterminé quelles seraient les tâches à effectuer et quelles seraient les compétences et le savoir-faire nécessaires pour mener à bien chacune d’entre elles. Nous avons ensuite identifié les différents types de personnels en santé oculaire qui devraient effectuer ces tâches à chacun des différents niveaux du système de délivrance des soins du PNLCC. Ceci a permis de faire en sorte que le programme de prise en charge des amétropies soit intégré dans les services existants (Tableau 1).
Tableau 1. Les différents types d’activités du programme de prise en charge des amétropies en Gambie (dans le cadre du PNLCC existant)
Niveau de délivrance des soins | Tâches à effectuer | Équipe |
---|---|---|
Communauté (urbaine ou rurale) |
|
Agents communautaires orientés vers la santé oculaire, comme par exemple les nyateros ou « amis de l’œil »1 (généralement des personnes ne faisant pas partie du personnel de santé, qui sont sélectionnées par la communauté et couvrent une population de 250 personnes) |
Programme de santé en milieu scolaire (ceci couvre toutes les écoles primaires, mais la composante « services de réfraction » est étendue également aux établissements d’enseignement secondaire) | Tout ce qui précède, plus :
|
Enseignants, infirmiers scolaires, infirmiers spécialisés en ophtalmologie basés dans la communauté |
Établissements généraux de santé, par exemple centres de santé (établissements de première ligne) |
|
Agents de santé oculaire intégrés |
Établissements de santé primaire, où un infirmier communautaire spécialisé en ophtalmologie couvre les besoins d’une population de 10 000 à 30 000 personnes |
|
Infirmier(ère) communautaire spécialisé(e) en ophtalmologie, faisant partie du personnel du centre de santé communautaire |
Unité secondaire de santé oculaire, couvrant une population de 100 000 à 150 000 personnes |
|
Réfractionniste* travaillant au sein d’une équipe secondaire d’ophtalmologie, dirigée par un chirurgien de la cataracte |
Unité tertiaire de santé oculaire, couvrant une population d’environ 1 million de personnes | Toutes les tâches allouées aux unités secondaires, ainsi que :
|
Sous-unité d’optique faisant partie de l’équipe d’ophtalmologie :
|
* Nouvelles catégories de personnels (qui ne font pas partie du PNLCC existant)
Nous avons identifié, parmi les personnels existants du PNLCC, ceux qui seraient susceptibles de recevoir une formation complémentaire leur permettant d’ajouter à leurs responsabilités des activités de prise en charge des amétropies. Nous avons également identifié les lacunes, c’est-à-dire les cas dans lesquels il faudrait recruter du personnel nouveau.
Parmi ces nouveaux personnels, certains pourraient être recrutés au sein du pool de ressources humaines existant en Gambie : c’était le cas pour les postes de réceptionniste ou de vendeur(se) dans le magasin d’optique, de magasinier/gardien des stocks d’optique, et de comptable. Par contre, les optométristes pourraient être recrutés dans un autre pays de la sous-région.
Une formation sur mesure serait toutefois nécessaire pour répondre aux besoins en réfractionnistes, également appelés techniciens spécialisés en optique. Ces personnels seraient basés dans les unités secondaires et tertiaires, mais ils offriraient des services spécifiques et intermittents, en fonction des besoins de la population.
Le réfractionniste devrait mener à bien les tâches suivantes :
- services de réfraction (y compris réfraction simple subjective et réfraction au skiascope)
- services de basse vision (y compris évaluation et prescription d’aides à la basse vision)
- atelier d’optique-lunetterie (y compris ajustement sur monture de tous types de verres)
- examens (y compris champ visuel, vision des couleurs et kératométrie)
- services à base communautaire (y compris dépistage des amétropies, dont la presbytie, prescription et fourniture de verres de correction simples pour la presbytie, et éducation en santé oculaire)
- orientation des cas de perte visuelle ou de problèmes oculaires indépendants des amétropies, vers un ophtalmologiste ou un optométriste, respectivement.
Étape n° 4 : élaborer un plan de formation
En nous basant sur l’analyse des tâches et des compétences effectuée au cours de l’étape n° 3, nous avons élaboré et mis en œuvre un programme de formation.
Personnel existant
Il fallait actualiser les compétences du personnel existant du PNLCC et également élargir les programmes de formation actuels, afin d’y incorporer des composantes sur la prise en charge des amétropies.
Nous avons pris les trois mesures suivantes :
- Élargissement de la formation en santé oculaire au niveau communautaire, pour y inclure des éléments de prise en charge des amétropies. Ceci a ajouté une à deux heures au maximum au cursus.
- Révision et amélioration des modules de formation avant emploi à l’intention des infirmiers généralistes, des infirmiers spécialisés en santé oculaire communautaire, des étudiants en médecine et autres concernant la prise en charge des amétropies et de la basse vision ont été rajoutés.
- Formation continue en poste : les personnels existants du PNLCC, des unités de délivrance des soins et de la faculté de médecine, ont chacun bénéficié d’une formation sur mesure pour consolider leurs connaissances et compétences dans le domaine de la prise en charge des amétropies et de la formation à cet effet.
Formation des réfractionnistes
Il a été décidé que l’unité tertiaire serait responsable du stage de formation des réfractionnistes. Un optométriste du Nigeria a été recruté ; il a rejoint l’équipe de soins oculaires de l’unité tertiaire et les a aidés à développer des modules de formation, avec l’aide du personnel le plus expérimenté du PNLCC.
Ce nouveau stage de formation a formé des réfractionnistes, afin que ces derniers puissent offrir leurs services dans les communautés où il n’y a pas d’optométristes. Ces réfractionnistes ont aussi pour rôle d’assister l’optométriste ou l’ophtalmologiste en poste, le cas échéant.
La santé oculaire communautaire, les soins oculaires primaires et la prescription de lunettes ont été incorporés dans le module de formation, afin que les réfractionnistes puissent offrir des services d’optique et des soins oculaires primaires à un prix abordable. Il a été décidé que les réfractionnistes travailleraient au sein d’une équipe de soins oculaires et qu’ils travailleraient aux niveaux suivants de délivrance des soins : consultations de réfraction, consultations pour la basse vision, ateliers d’optique-lunetterie, ainsi qu’unités secondaires et tertiaires.
Les critères d’inscription au stage de formation étaient :
- 12 années de scolarité (certificat d’études général ou équivalent)
- la moyenne ou plus dans les matières suivantes : anglais, mathématiques, physique et/ou biologie ou équivalent.
Une expérience pratique dans une unité de soins oculaires était considérée comme un avantage.
Les candidats à cette formation ont été sélectionnés par un optométriste ou ophtalmologiste responsable et ont reçu une bourse d’agences gouvernementales ou non gouvernementales. Accepter un candidat venant du secteur privé ne pouvait être qu’une exception. (Pour améliorer l’intégration, l’absorption et le développement professionnel, le programme recrute actuellement des candidats parmi le nombre non négligeable d’infirmiers oculaires communautaires qui sont déjà en poste dans des unités secondaires en milieu rural).
La durée du stage de formation était de six mois, soit trois mois d’études intensives et d’expérience pratique à l’hôpital de base et trois mois de stage pratique dans la communauté.
Pour évaluer les compétences acquises par les stagiaires, on a utilisé le contrôle continu et des carnets d’évaluation. À la fin de la formation, un examen écrit et pratique permettait de sanctionner les connaissances acquises. Le programme régional de formation en ophtalmologie (Regional Ophthalmic Training Programme), qui est responsable en Gambie de la formation de tous les personnels intermédiaires en ophtalmologie, s’est chargé de certifier la formation.
Pour la formation, nous avons eu recours aux membres de la faculté et au personnel en santé oculaire, tels que les optométristes, les ophtalmologistes, les internes, les chirurgiens de la cataracte, et nous avons utilisé les installations des unités tertiaires. La composante « expérience pratique » de la formation comprenait des stages dans des unités secondaires, dans des écoles, des activités de dépistage dans la communauté et des camps mobiles de santé oculaire. Ce travail pratique était principalement dirigé par un optométriste.
Chaque étudiant a reçu un kit et des manuels, qui feraient ensuite partie de l’équipement afférent à leur poste après leur diplôme et n’étaient pas la propriété de l’étudiant. Les diplômés ont également bénéficié d’un soutien important postformation, pendant une durée de six mois au minimum, dans le but de les aider à mettre en place des services, de s’assurer que ces services étaient du niveau et de la qualité requis, et pour les aider à intégrer leur travail dans les services existants.
Leçons apprises
Nous avons appris les leçons suivantes :
- la présence d’un optométriste possédant d’excellentes compétences en formation et en gestion est absolument essentielle à la réussite d’un tel programme de formation
- la formation doit être axée sur les compétences à acquérir et être extrêmement pratique, en mettant constamment l’accent sur l’assurance de la qualité
- afin de maintenir la satisfaction professionnelle des réfractionnistes, il serait nécessaire de fournir des opportunités de formation supplémentaires. Un modèle de formation à entrées et sorties multiples, pour ainsi dire, permettrait de couvrir les besoins de la population et permettrait également la formation plus poussée du petit nombre de réfractionnistes qui souhaitent progresser vers d’autres activités de délivrance des soins, comme par exemple celles des optométristes
- il est essentiel de maintenir l’assurance de la qualité, en offrant un soutien complet et de qualité au réfractionniste et à tous les personnels impliqués dans le processus de prise en charge des amétropies
- dans beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest, il sera peut-être nécessaire de mener des activités de plaidoyer et de travailler avec les ministères de la santé, dans le but d’établir une association pour les personnels en charge des amétropies, car il n’existe que les associations « classiques » de médecins et d’infirmiers.