RSOC Vol. 08 No. 10 2011 pp 25 - 27. Publié en ligne 01 août 2011.

Santé oculaire du jeune enfant

Arvind Chandna

Spécialiste en ophtalmo-pédiatrie ; Président de Vision for Children, Alder Hey Children's Hospital, Liverpool, Royaume-Uni.


Clare Gilbert

Co-directrice, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni ; Conseiller clinique, Sightsavers, Royaume-Uni.

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Les jeunes patients ont des besoins très différents de ceux des adultes. TANZANIE. CCBRT/Dieter Telemans
Les jeunes patients ont des besoins très différents de ceux des adultes. TANZANIE. CCBRT/Dieter Telemans

Ce numéro est consacré aux besoins en santé oculaire des jeunes enfants, plus particulièrement des enfants de moins de six ans. Tous ceux d’entre vous qui ont tenté d’examiner un jeune enfant ou de mesurer son acuité visuelle savent que cela s’avère parfois très difficile ; il peut donc être tentant de déclarer forfait et de renvoyer l’enfant à son domicile, particulièrement si votre service ou centre de santé est pris d’assaut ce jour-là. Nous espérons que la mise en application des suggestions pratiques présentées dans ce numéro vous permettra de vous sentir plus à l’aise lorsque vous devrez prendre en charge un jeune enfant. Après la lecture de ce numéro, si vous devez recommander l’orientation-recours d’un jeune patient, vous aurez une meilleure idée du degré d’urgence selon les cas et de la meilleure façon de le communiquer aux parents.

Impact des maladies oculaires de l’enfant

On considère que, chez un jeune enfant, plus des trois quarts de l’apprentissage se fait par le biais de la vision et que plus d’un tiers du cortex des adultes répond aux stimuli visuels. Ceci signifie non seulement que la vision est très importante pour le développement dans la petite enfance, mais également que les informations visuelles sont utilisées et traitées par un grand nombre de parties du cerveau. Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’une perte visuelle survenant tôt dans la vie d’un enfant ait un impact important sur le développement de celui-ci et retarde par exemple l’apparition de la marche ou de la déambulation à « quatre pattes ». La prévention de la perte visuelle ou la mise en œuvre du bon traitement au bon moment pour restaurer la fonction visuelle aura un impact très important sur le développement de l’enfant concerné.

Les effets de la perte de vision ne se limitent pas à l’enfant et s’étendent également à son milieu familial : des études ont montré que la présence d’un enfant handicapé favorise la tension et la dépression chez les parents et entraîne une augmentation du taux de divorce ou de séparation1. Inversement, dans certains cas, les membres de la famille se sentent plus proches parce qu’ils affrontent ensemble les défis du quotidien avec un enfant handicapé.

Un garçon joue après son opération de la cataracte. BANGLADESH. Zul Mukhida/Sightsavers
Un garçon joue après son opération de la cataracte. BANGLADESH. Zul Mukhida/Sightsavers

À l’écoute de la mère

Toute mère, quel que soit son niveau d’instruction, connaît très bien son enfant et veut pour lui ce qu’il y a de meilleur. Elle a observé son enfant de près pendant de longues périodes, dans un ensemble de situations, sous des éclairages différents ; elle remarquera donc tout problème ou changement concernant les yeux ou le comportement de son enfant. L’un des messages-clés de ce numéro est que le personnel de santé doit écouter la mère et ne pas mettre en doute ce qu’elle dit, car elle connaît son enfant mieux que quiconque.

Dans cet esprit, l’article de la page 28 se base sur ce que peuvent dire les parents lorsqu’ils amènent leur enfant en consultation.

Les défis

L’évaluation de l’acuité visuelle chez le jeune enfant peut s’avérer longue car très difficile, mais vous pouvez généralement tester la vision des enfants de cinq ans ou plus au moyen d’une échelle en « E » de Snellen (Astuce : si un enfant peut passer le bras au-dessus de sa tête et toucher son oreille du côté opposé, il a au moins cinq ans). En dessous de l’âge de cinq ans, vous devez utiliser d’autres méthodes pour évaluer la vision, comme des tests d’appariement ou la recherche/l’identification de petits objets sur un fond uni. Toutefois, même dans les hôpitaux tertiaires dotés des équipements les plus modernes, il n’est pas toujours possible d’effectuer une mesure formelle de l’acuité visuelle. Là encore, il faut se fier à ce qu’a remarqué la mère de l’enfant ou à ce que nous avons pu observer du comportement visuel de l’enfant durant la consultation.

Vous trouverez dans ce numéro des astuces pour examiner les nourrissons et les jeunes enfants, ainsi que des conseils pour prendre en charge de jeunes enfants à l’hôpital, soutenir les parents et créer un environnement accueillant pour les enfants.

Ce que vous pouvez faire

Il est important de réaliser que le personnel de santé oculaire peut contribuer de façon majeure à sauver la vue d’un enfant ; dans certains cas, le bon geste au bon moment peut même lui sauver la vie ! Par exemple, si vous identifiez un enfant présentant un reflet blanc de la pupille (qui signe éventuellement un rétinoblastome) et si vous l’orientez vers le bon spécialiste, cet enfant pourra bénéficier d’un traitement qui lui sauvera la vie ; le pronostic du rétinoblastome est en effet fatal s’il n’est pas traité à temps. De la même manière, vous augmentez les chances de survie d’un enfant si vous identifiez correctement les premiers signes d’une avitaminose A et si vous lui administrez une forte dose de vitamine A. Des études menées en Indonésie indiquent que les enfants qui présentent des taches de Bitot et une cécité nocturne ont une probabilité de décéder avant l’âge de six ans qui est 15 fois supérieure à celle des enfants ne présentant pas ces signes.

La cataracte congénitale, qui est l’une des causes traitables les plus courantes de cécité infantile, doit être diagnostiquée et traitée suffisamment tôt pour éviter la survenue d’une déficience visuelle permanente due à l’amblyopie. Là encore, la mère de l’enfant sera souvent la première à remarquer une cataracte. Le personnel de santé peut dépister la cataracte en examinant le reflet pupillaire (voir pages 35 et 45) ; dans l’idéal, ce geste devrait toujours faire partie de l’examen de routine des nouveau-nés.

Quand vous suspectez chez l’enfant une anomalie oculaire ne pouvant faire l’objet d’un traitement médical, envoyez tout de même cet enfant chez un ophtalmologiste ou dans un centre tertiaire de soins oculaires. Des services de réfraction ou de basse vision pourraient en effet avoir un effet bénéfique et il est important que l’enfant puisse y avoir accès le plus tôt possible, afin de minimiser l’impact d’une déficience visuelle sur son développement.

Santé publique

Réfléchissez à ce que vous pouvez faire au-delà de la clinique pour lutter contre les maladies oculaires et la perte visuelle chez l’enfant. Vous pouvez par exemple entretenir des contact étroits avec le personnel des centres de santé maternelle et infantile ou des programmes de vaccination et leur suggérer de vous adresser les enfants présentant des problèmes oculaires. À titre d’exemple, dans le cadre d’une initiative en Ouganda, le personnel des programmes de vaccination a été formé à examiner les yeux des nourrissons et des enfants vaccinés et à interroger les mères sur leurs inquiétudes éventuelles concernant les yeux de leur enfant. Ceci a été une réussite qui a permis à de nombreux enfants d’être examinés par un spécialiste beaucoup plus tôt et donc de bénéficier d’un diagnostic et d’un traitement précoces.

Vous pouvez encourager les mères à faire vacciner leurs jeunes enfants et à s’assurer qu’ils reçoivent leur supplément en vitamine A. Vous pouvez aussi expliquer aux accoucheuses traditionnelles l’importance de nettoyer immédiatement les paupières du bébé après dégagement de la tête, afin de prévenir la survenue d’une ophtalmie du nouveau-né.

Si l’on vous amène un enfant présentant une infection trachomateuse, une carence en vitamine A ou une rougeole, il y a de fortes chances que ce problème concerne également d’autres enfants vivant dans le même quartier ou village. Renseignez-vous sur la communauté à laquelle appartient l’enfant et informez les autorités compétentes.

Les dix activités-clés présentées dans l’encadré ci-dessous ont été suggérées par l’Organisation mondiale de la Santé ; elles sont destinées au personnel de santé travaillant au niveau primaire2. Si ces activités sont mises en œuvre à grande échelle et de façon systématique, elles auront un effet bénéfique non seulement sur la santé oculaire mais également sur la santé générale des enfants.

Dix activités-clés pour le personnel de santé primaire

1. Nettoyer les paupières des nouveau-nés immédiatement après la naissance et administrer une pommade antibiotique ou un collyre antiseptique.

2. Donner à la mère 200 000 UI de vitamine A immédiatement après l’accouchement.

3. Promouvoir l’allaitement et une alimentation saine.

4. Vacciner les enfants contre la rougeole à l’âge de neuf mois et leur administrer 100 000 UI de vitamine A. Encourager un rappel du vaccin pour une protection renforcée.

5. Administrer à tout enfant présentant une rougeole ou une dénutrition suspectée 100 000 UI de vitamine A (si l’enfant a moins de 12 mois) ou 200 000 UI (12 mois ou plus).

6. Veiller à ce que le visage des enfants soit toujours propre.

7. Orienter tout enfant qui ne voit pas bien vers un personnel de santé oculaire.

8. Envoyer de toute urgence chez un spécialiste en santé oculaire tout enfant présentant une pupille blanche ou autre anomalie patente.

9. Envoyer de toute urgence chez un spécialiste en santé oculaire tout enfant victime d’un traumatisme oculaire ou présentant un œil rouge.

10. Ne pas mettre de remèdes traditionnels dans l’œil.

Les activités de promotion et d’éducation sanitaire, destinées tout particulièrement aux mères et aux femmes en âge de procréer, sont également importantes. Il faut expliquer à ces femmes ce qu’elles peuvent faire pour prévenir une perte de vision ou une maladie oculaire chez leur enfant. Les dix activités-clés constituent une bonne base de départ.

Il faut aussi garder à l’esprit que la plupart des communautés ont leurs propres croyances sur les causes et le traitement des maladies, y compris les affections oculaires. Beaucoup pensent que la perte visuelle ne peut être traitée lorsqu’elle se produit tôt dans la vie de l’enfant, en particulier si elle est présente depuis la naissance. Par conséquent, les parents ne consultent pas. S’ils amènent leur enfant avec beaucoup de retard dans un établissement de santé, ne leur faites aucun reproche, car il y a de fortes chances que leurs croyances soient partagées par beaucoup d’autres membres de leur communauté.

En résumé

De même que les enfants ne sont pas de mini-adultes, leurs yeux ne sont pas des versions miniatures de l’œil adulte. Les enfants ont des besoins différents en soins oculaires et ces besoins sont souvent plus urgents que ceux des adultes. La prise en charge d’enfants dans un centre de santé peut effectivement s’avérer plus difficile que dans le cas des adultes. Toutefois, il existe un grand nombre de mesures que vous et vos collègues, ainsi que les parents et les membres de la communauté, pouvez mettre en place pour lutter contre la cécité et la perte de vision chez l’enfant. Nous espérons que le présent numéro vous encouragera à offrir aux enfants les meilleurs soins possibles, de la manière la plus adaptée à l’enfant et ses parents dans le cadre de travail qui est le vôtre, afin qu’ils vivent leur passage dans le milieu médical ou hospitalier de la meilleure façon possible.


Combien y a-t-il d’enfants aveugles ?

Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans (TM<5) peut être utilisé pour estimer la prévalence de la cécité infantile (voir Tableau 1). La raison en est qu'un grand nombre des causes de cécité chez l'enfant (comme la rougeole, les avitaminoses A, la méninigite et la rubéole congénitale) sont également des causes de mortalité infantile3. En 1999, au moment du lancement de VISION 2020, on estimait à 1,4 million le nombre d’enfants aveugles, dont presque les trois quarts vivaient dans un pays à faible ou moyen revenu4.

Au cours des dix dernières années, le nombre d’enfants âgés de 0 à 15 ans dans le monde a légèrement augmenté et s’élève à près de 1,9 milliard5. Toutefois, le TM<5, et donc l'estimation de la prévalence de la cécité chez l'enfant, a diminué dans la plupart des pays depuis 19806.

En multipliant le nombre d’enfants par l’estimation de la prévalence de la cécité correspondante (voir Tableau 1), on a pu calculer que le nombre d’enfants aveugles dans le monde a diminué d’environ 10 % au cours des dix dernières années et s’élève maintenant à 1,26 million (voir Tableau 2). Il ne fait aucun doute que l’amélioration des programmes de vaccination contre la rougeole et de supplémentation en vitamine A sont deux interventions importantes en santé publique qui ont contribué à ce résultat.

Dans le Tableau 2, les pays sont regroupés par région de la Banque mondiale, plutôt que par région géographique, en raison du rôle important joué par les facteurs socioéconomiques dans les causes de perte visuelle chez l’enfant et leur prévalence.

L’estimation révisée en 20105 indique que des changements importants se sont produits en Chine et dans la région « Autres pays d’Asie et du Pacifique » (qui inclut les Philippines, l’Indonésie et le Bangladesh) : le TM<5, et donc l'estimation de la prévalence de la cécité infantile, ont fortement diminué et le nombre total d'enfants est resté plus ou moins stable. En Afrique subsaharienne, le nombre d'enfants aveugles a augmenté de 31 %, en partie parce que cette région est la seule qui ait connu une augmentation du nombre total d'enfants. Toutefois, dans beaucoup de pays de cette région, le TM<5 a augmenté ; la raison principale en est que l'épidémie d'infection par le VIH a rendu un grand nombre d'enfants orphelins, ce qui a un effet néfaste sur la santé infantile.


Comment estimer le nombre d’enfants aveugles

Recherchez d’abord le TM<5 correspondant à votre pays ou région. Vous trouverez ce chiffre dans diverses publications, notamment La situation des enfants dans le monde, un rapport publié chaque année par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF).

Pour estimer le nombre d’enfants qui sont actuellement aveugles, servez-vous du TM<5 d'il y a cinq ans, c'est-à-dire celui de 2005 pour l'estimation de 2010, car c'est la période la plus pertinente pour ce calcul. Recherchez l'intervalle contenant ce TM<5 dans le Tableau 1 et lisez l'estimation de la prévalence de la cécité infantile qui lui correspond. Multipliez cette prévalence par le nombre d'enfants âgés de 0 à 15 ans dans votre pays ou région pour estimer le nombre d'enfants aveugles. Exemple : Soit un pays P dont la population totale est de 12 millions de personnes en 2010, dont 40 % sont des enfants âgés de 0 à 15 ans. Le nombre total d’enfants de 0 à 15 ans est donc 12 000 000 x 40/100 = 4 800 000. Le TM<5 en 2005 était de 112 décès pour 1 000 naissances vivantes. Selon le Tableau 1, l'estimation de la prévalence de la cécité infantile est égale à 0,8 pour 1 000 enfants. Le nombre d'enfants aveugles dans le pays P est donc estimé à 4 800 000 x 0,8/1 000 = 3 840. Note des auteurs : ces estimations ne prennent pas en compte la cécité due aux vices de réfraction non corrigés, car il existe très peu de données sur lesquelles se baser.


Tableau 1. Taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans et estimation de la prévalence de la cécité infantile

TM<5 pour 1 000 naissances vivantes Estimation de la prévalence de la cécité infantile
0-19 0,3
20–39 0,4
40–59 0,5
60–79 0,6
80–99 0,7
100–119 0,8
120–139 0,9
140–159 1,0
160–179 1,1
180–199 1,2
200–219 1,3
220–239 1,4
≥ 240 1,5

Tableau 2. Estimations du nombre d’enfants aveugles dans le monde en 2010

  Estimations en 2010 Nb. d’enfants(millions) Estimations en 2010 Nb. d’enfants aveugles % de variation entre 1999 et 2010 Nb. d’enfants % de variation entre 1999 et 2010 Estimation du nb. d’enfants aveugles
Estimation moins élevée en 2010 qu’en 1999        
Chine 340 116 000 0 % –44,8 %
Autres pays d’Asie et du Pacifique 266 136 000 –2,3 % –38,2 %
EMBE + AESE* 244 70 000 –1,6 % –22,2 %
Amérique Latine & Caraïbes 170 71 000 0 % –29,0 %
Peu ou pas de changement        
Moyen-Orient 241 168 000 +0,4 % –11,6 %
Inde 345 280 000 –1,4 % +3,7 %
Estimation plus élevée en 2010 qu’en 1999        
Afrique subsaharienne 274 419 000 +5,4 % +30,9 %
TOTAL 1 880 1 260 000 +0,6 % –10 %

*EMBE = économies de marché bien établies ; AESE = anciennes économies socialistes d’Europe. Ces deux régions ont été regroupées ici parce que certains pays sont passés d’une catégorie à l’autre entre 1999 et 2010.

Références

1 Reichman NE et al. Impact of child disability on the family. Matern Child Health J 2008;12(6): 679–83.

2 World Health Organization. A five year project for the prevention of childhood blindness. Report of WHO Consultation. Geneva 18–20 June 2002. Geneva: WHO, 2002.

3 Jones G et al. How many child deaths can we prevent this year? Lancet 2003;362(9377): 65–71.

4 Gilbert C, Foster A. Childhood blindness in the context of VISION 2020 – the right to sight. Bull World Health Organ 2001;79(3): 227–32.

5 Gilbert C et Rahi J. ‘Chapter 14: Visual impairment and blindness in children’. In The epidemiology of eye diseases, 3e éd. London: Imperial College Press, 2011.

6 Ahmad OB et al. The decline in child mortality: a reappraisal. Bull World Health Organ 2000;78(10): 1175–91.