RSOC Vol. 13 No. 16 2016 pp 13 - 15. Publié en ligne 10 octobre 2016.

Réalisation d’une tarsorraphie

Saul Rajak

Chirurgien oculoplasticien, South Australian Institute of Ophthalmology, Royal Adelaide Hospital, Adelaide, Australie ; Maître de conférence honoraire, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.


Dinesh Selva

Professeur d’ophtalmologie, South Australian Institute of Ophthalmology, Royal Adelaide Hospital, Adelaide, Australie.


Juliette Rajak

Illustratrice, Brighton, Royaume-Uni.


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Préparation du personnel avant l’opération. LIBERIA. JOSEPH KERKULA

Suivez nos instructions détaillées pour réaliser deux interventions simples et efficaces pour favoriser la cicatrisation cornéenne en cas de kératite microbienne.

Qu’est-ce qu’une tarsorraphie ?

Cette intervention consiste à joindre les paupières supérieure et inférieure (sur un segment ou dans leur totalité, et généralement par suture) pour fermer partiellement ou complétement la fente palpébrale. Les tarsorraphies temporaires sont réalisées pour favoriser la cicatrisation de la cornée ou pour protéger cette dernière durant une exposition ou affection de courte durée. Les tarsorraphies permanentes sont réalisées pour protéger définitivement la cornée en cas de risque de lésion à long terme. Une tarsorraphie permanente ne ferme généralement que la partie externe des paupières, afin que le patient puisse continuer à voir par la partie centrale de la fente palpébrale et que l’oeil puisse encore être examiné.

Quelles sont les indications d’une tarsorraphie ?

On réalise une tarsorraphie pour protéger la cornée en cas de :

  • Insuffisance d’occlusion palpébrale, par exemple en cas de paralysie du nerf facial ou en cas de lésions cicatricielles palpébrales résultant de brûlures chimiques ou thermiques.
  • Anesthésie cornéenne (perte de sensibilité) créant un risque de lésion ou d’infection de la cornée.
  • Proptosis (saillie de l’oeil) important créant un risque d’exposition cornéenne.
  • Insuffisance du clignement oculaire, par exemple chez un patient nécessitant des soins intensifs ou présentant de graves lésions cérébrales.

Une tarsorraphie peut également être réalisée pour favoriser la cicatrisation de la cornée en cas de :

  • Ulcère cornéen infecté cicatrisant trop lentement.
  • Érosions de cornée ne cicatrisant pas.

On peut aussi citer les indications suivantes :

  • Pour prévenir un chémosis conjonctival et une exposition après une intervention de chirurgie oculaire.
  • Pour maintenir une prothèse ou autre dispositif, par exemple chez un enfant présentant une anophtalmie ou chez un adulte après éviscération ou énucléation.

Quels sont les différents types de tarsorraphie ?

Les techniques permettant d’unir complètement ou partiellement les paupières supérieure et inférieure se divisent en deux catégories : tarsorraphies temporaires (à court terme) et tarsorraphies permanentes (à long terme). Dans les deux cas, l’intervention consiste presque toujours à suturer les paupières. D’autres techniques sont utilisées à l’occasion, par exemple la paralysie par toxine botulique du muscle releveur de la paupière supérieure ou encore l’utilisation de colle cyanoacrylate pour coller les paupières et l’insertion d’un poids (en général de l’or) dans la paupière supérieure.

Dans le présent article, nous nous proposons de décrire deux interventions simples :

  • Une tarsorraphie centrale temporaire en cordon de bourse qui peut être ouverte et refermée à plusieurs reprises pour permettre l’examen de l’oeil.
  • Une tarsorraphie externe permanente qui laisse ouverte la partie centrale des paupières, ce qui permet au patient de voir et d’être examiné.
Figure 1a.
Figure 1a. Alignement et suture des bourdonnets
Figure 1b
Figure 1b. Fermeture de l’oeil avec fil de suture et bourdonnets

Tarsorraphie centrale temporaire en cordon de bourse (Figures 1a et 1b)

Cette tarsorraphie par suture simple sera efficace pendant deux à huit semaines.

  1. Anesthésier la partie centrale de la paupière inférieure et de la paupière supérieure en injectant quelques millilitres d’anesthésique local (par ex., lidocaïne à 1 à 2 % ou bupivacaïne 0,5 %). Utiliser si possible un anesthésique adrénaliné, qui permettra de réduire le saignement opératoire.
  2. Nettoyer la zone d’intervention avec de la povidone iodée à 5 % et laisser agir la povidone iodée pendant quelques minutes. Pendant ce temps, préparer deux bourdonnets de 2 cm de long et un bourdonnet de 1 cm de long. Les sutures seront nouées sur le bourdonnet (par exemple un morceau de tube en plastique ou un petit tampon de coton) pour éviter d’endommager la peau. Les bourdonnets peuvent être fabriqués à partir d’un cathéter à ailettes à usage pédiatrique ou autre type semblable de tube en plastique stérile. Couper le morceau de tube dans le sens de la longueur afin de créer une « gouttière ».
  3. Utiliser un fil doublement serti et non résorbable (par ex. soie, prolène ou nylon 4.0, 5.0 ou 6.0). Faire passer une des aiguilles à travers un bourdonnet de 2 cm, à 2 mm de l’extrémité de celui-ci.
  4. Positionner ce bourdonnet au centre de la paupière supérieure et insérer la même aiguille dans la paupière supérieure, 3 à 4 mm au-dessus du bord libre palpébral. Traverser le cartilage tarse et faire ressortir l’aiguille sur la ligne grise. La ligne grise est la ligne de coloration légèrement plus foncée au centre du bord libre palpébral, qui sépare la lamelle antérieure et la lamelle postérieure de la paupière.
  5. Faire passer la même aiguille dans la ligne grise de la paupière inférieure, puis dans le cartilage tarse, et la faire ressortir de la peau 2 à 3 mm en dessous du bord libre de la paupière inférieure.
  6. Positionner le deuxième bourdonnet de 2 cm au centre de la paupière inférieure et le traverser avec l’aiguille à quelques millimètres de son extrémité.
  7. Avec l’autre aiguille du fil doublement serti, passer à travers le bourdonnet supérieur, puis la paupière supérieure, puis la paupière inférieure et enfin le bourdonnet inférieur de la même façon que cela a été fait avec la première aiguille (étapes 3 à 6), à 2 mm de l’autre extrémité de chaque bourdonnet.
  8. Faire passer les deux aiguilles du fil à travers le bourdonnet de 1 cm, chacune d’un côté, à 2 mm de l’extrémité du bourdonnet (voir Figure 1a).
  9. Faire glisser les deux bourdonnets inférieurs vers le haut pour fermer l’oeil. Le bourdonnet de 1 cm « verrouille » la fermeture palpébrale (voir Figure 1b).
  10. Pour séparer les paupières, tirer le petit bourdonnet vers le bas. L’ouverture palpébrale se fera sans difficulté. Si vous utilisez un fil serti simple, vous pouvez faire passer l’aiguille dans le bourdonnet inférieur puis « remonter » vers le bourdonnet supérieur.
Figure 2a.
Figure 2a. Séparer les lamelles antérieure et postérieure
Figure 2b.
Figure 2b. Exciser 1 mm de lamelle postérieure
Figure 2d. Refermer la lamelle postérieure (vue latérale)
Figure 2d. Refermer la lamelle postérieure (vue latérale)

Tarsorraphie permanente (Figures 2a à 2f)

Les paupières supérieure et inférieure ne restent pas « collées » l’une à l’autre lorsque les sutures d’une tarsorraphie temporaire se relâchent au bout de quelques semaines. Dans le cas d’une tarsorraphie permanente, le débridement d’une partie du bord libre palpébral permet aux deux paupières de se coller l’une à l’autre durant le processus de cicatrisation.

Les tarsorraphies permanentes sont presque toujours des tarsorraphies externes, afin que le patient puisse voir par une ouverture palpébrale centrale et que l’oeil puisse encore être examiné. Les tarsorraphies permanentes doivent durer au moins trois mois (et parfois à vie).

Les étapes d’une tarsorraphie externe permanente sont les suivantes :

  1. Anesthésier les paupières comme nous l’avons décrit précédemment.
  2. Séparer les lamelles antérieure et postérieure (Figure 2a). Avec une lame de bistouri nº11 si possible (sinon, une lame de bistouri nº15), réaliser une incision de 2 mm de profondeur le long du tiers externe de la ligne grise, dans la paupière supérieure et la paupière inférieure. Ceci séparera la lamelle antérieure de la lamelle postérieure. Poursuivre ensuite l’incision sur 5 mm, dans la paupière inférieure ou bien dans la paupière supérieure, en utilisant soit une lame de bistouri soit des micro-ciseaux. Veiller à inciser parallèlement au cartilage tarse afin de séparer nettement la paupière en lamelle antérieure et lamelle postérieure. La paupière est susceptible de saigner ; une compression de quelques minutes permettra de contrôler l’hémorragie, ou une cautérisation le cas échéant.
  3. Exciser 1 mm de lamelle postérieure (Figure 2b). Ceci retire l’épithélium du bord libre palpébral, ce qui permettra aux paupières de se coller l’une à l’autre lorsqu’elles cicatriseront.
  4. Refermer la lamelle postérieure (Figures 2c et 2d). Faire passer l’aiguille d’une suture résorbable 5.0 ou 6.0 dans la lamelle postérieure de la paupière supérieure et la faire ressortir un peu plus loin dans cette même lamelle postérieure. La faire passer ensuite dans la lamelle postérieure de la paupière inférieure, en alignant le point d’insertion de l’aiguille dans la paupière inférieure avec son point d’émergence de la paupière supérieure ; faire ressortir l’aiguille de la lamelle postérieure de la paupière inférieure en l’alignant avec le premier point d’insertion de l’aiguille dans la paupière supérieure (Figure 2c). Répéter cette opération avec un deuxième fil de suture.
  5. Refermer la lamelle antérieure (Figure 2e). Utiliser un fil 4.0 à 6.0. Insérer l’aiguille dans la peau de la paupière supérieure 2 à 3 mm au-dessus du bord libre et la faire ressortir dans la lamelle antérieure de la paupière supérieure. Puis faire passer l’aiguille directement dans la lamelle antérieure de la paupière inférieure et la faire ressortir de la peau 2 à 3 mm au-dessous du bord libre de la paupière inférieure. Nouer la suture. Répéter l’opération avec plusieurs sutures placées à 3 mm d’écart les unes des autres, jusqu’à ce que la peau soit refermée sur le segment de lamelle postérieure déjà suturé.
Figure 2c.
Figure 2c. Refermer la lamelle postérieure
Figure 2f.
Figure 2f. Après l’intervention
Figure 2e.
Figure 2e. Refermer la lamelle antérieure (vue latérale)

Deux choses à noter lorsque vous aurez fini l’intervention (Figure 2f) :

  • Si vous avez soigneusement suturé le tiers externe des paupières inférieure et supérieure, il devrait rester une ouverture palpébrale centrale par laquelle le patient peut continuer à voir. Les dimensions verticale et horizontale de cette ouverture palpébrale seront inférieures à ce qu’elles étaient auparavant, ce qui permettra de mieux protéger la cornée non recouverte.
  • Cette technique laisse intacts la lamelle antérieure et les cils ; par conséquent, si l’on décide d’enlever les sutures à une date ultérieure, l’apparence de la paupière sera presque normale. Ce type de tarsorraphie dure généralement à vie, mais si l’on décide qu’elle n’est plus nécessaire, il est possible de réaliser l’ablation des sutures après injection d’anesthésique local.