RSOC Vol. 02 No. 01 2005 pp 19 - 20. Publié en ligne 01 août 2005.

Promotion sanitaire pour la lutte contre le trachome

Marcia Zondervan, Hannah Kuper, Anthony Solomon, John Buchan (Équipe TIME, ICEH)

International Centre for Eye Health, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Keppel Street, London WC1E 7HT, Royaume-Uni.

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CHANCE. John Buchan
CHANCE. John Buchan

Introduction

Bien que l’on constate une amélioration des composantes Chirurgie et Antibiotiques de la stratégie CHANCE, il sera difficile d’éliminer le trachome cécitant d’ici 2020 sans une promotion sanitaire efficace. Celle-ci est la pierre angulaire de chacune des quatre composantes de la stratégie CHANCE. Elle a notamment pour but :

  • d’expliquer à une population souvent peu enthousiaste le processus de la maladie et la nécessité de recourir à la CHirurgie du trichiasis (CH)
  • de favoriser l’acceptation de la distribution de masse d’Antibiotiques (A)
  • de promouvoir le Nettoyage du visage/ l’hygiène (N)
  • de provoquer des Changements Environnementaux, tels que la construction et l’utilisation de latrines (CE)

L’Initiative internationale contre le trachome (ITI) a demandé à l’Initiative de suivi et d’évaluation du trachome (Trachoma Initiative in Monitoring and Evaluation ou TIME) d’évaluer les programmes de lutte dans 8 pays. Des équipes comprenant du personnel des programmes nationaux ainsi que du personnel extérieur ont mené ces évaluations en Afrique (Éthiopie, Ghana, Mali, Maroc, Niger et Tanzanie) et en Asie (Népal et Vietnam), en employant une méthodologie standardisée. Nous avons tiré de cette expérience des leçons précieuses sur les facteurs contribuant au succès de la promotion sanitaire et sur les pièges à éviter dans les programmes de lutte contre le trachome.

Éléments-clés pour une communication efficace dans la lutte contre le trachome

Nous avons identifié cinq éléments-clés pour une communication efficace dans la lutte contre le trachome :

  1. Développer des activités d’éducation sanitaire en accord avec la culture locale
  2. Adapter les messages et les méthodes de communication à la population ciblée
  3. Former et soutenir des communicateurs au niveau local
  4. Assurer la cohérence des messages et des services de la stratégie CHANCE
  5. Suivre et évaluer les activités de promotion sanitaire
Un agent de santé, arborant le T-shirt de la stratégie CHANCE, effectue un examen des yeux au Népal. Anthony Solomon
Un agent de santé, arborant le T-shirt de la stratégie CHANCE, effectue un examen des yeux au Népal. Anthony Solomon

Développer des activités d’éducation sanitaire en accord avec la culture locale

Lorsque l’éducation sanitaire s’intègre aux activités familières de la communauté, les messages sont plus facilement acceptés. Nous avons trouvé que les réunions communautaires ayant lieu dans les églises, les mosquées, les clubs et les sociétés étaient très utiles pour discuter du trachome. Par exemple, au Maroc, la sensibilisation au trachome est intégrée à des programmes d’alphabétisation destinés aux femmes ; au Vietnam, l’Union des femmes permet de toucher la majorité des femmes dans les communautés d’endémie.

Lorsque les normes culturelles locales ne sont pas prises en compte dans la planification des activités de la stratégie CHANCE, ou lorsque les prestataires ne s’adressent pas à la communauté de façon appropriée, le programme CHANCE peut se heurter à une résistance. Nous avons été confrontés à un village entier refusant totalement d’accepter la chirurgie. Petit à petit, la raison de ce refus s’est faite jour : les villageois trouvaient que les normes sociales n’avaient pas été respectées parce que les chirurgiens ophtalmologistes n’avaient pas discuté de leurs plans avec les anciens du village avant de proposer des interventions aux membres de la communauté. Une fois que l’on s’en est rendu compte et après que l’on ait pris le temps d’expliquer la nécessité des interventions chirurgicales aux anciens du village, l’embargo a été levé et les villageois ont exprimé un intérêt envers la chirurgie.

Lorsque l’on choisit la mauvaise personne pour transmettre le message, par exemple lorsqu’un homme s’adresse à un groupe de femmes, les résultats peuvent être compromis. De la même façon, il ne faut pas commettre l’erreur d’organiser une séance d’éducation sanitaire dans un lieu déplacé. Par exemple, l’on peut décider de transmettre des messages à une population cible de femmes et d’enfants dans un lieu de réunion public, avant de s’apercevoir que, dans cette culture, les femmes n’ont pas accès à de tels lieux publics. Dans ce cas, il est logique de s’enquérir des lieux où les femmes se rassemblent traditionnellement ; en Éthiopie, au Maroc et au Vietnam, par exemple, la lutte contre le trachome est intégrée aux activités des associations de femmes déjà en place.

Adapter les messages et les méthodes de communication à la population ciblée

L’utilisation d’une gamme d’activités de promotion sanitaire permet de maximiser l’impact sur la communauté et de développer des messages spécifiques en fonction de l’âge et du sexe du groupe ciblé. Les possibilités sont nombreuses ; on peut, par exemple, communiquer avec la population dans son ensemble (communication de masse), ou bien communiquer avec des groupes cibles, ou encore communiquer en tête-à-tête.

Communication de masse

Les médias (affiches, télévision, radio, films et vidéos) sont souvent utilisés pour transmettre des messages simples et brefs permettant de sensibiliser au trachome. Le World Service Trust de la BBC a développé des spots radiophoniques en langue locale dans plusieurs pays, dont la Tanzanie, le Ghana, le Niger, l’Éthiopie et le Népal. Ces messages sur le trachome ont été diffusés plusieurs fois par jour pendant un certain nombre de mois. Au Ghana, nous avons observé que la chanson sur le trachome diffusée à la radio était très bien accueillie : dans chaque village que nous avons visité, les femmes et les enfants étaient capables de la chanter. Au Niger, le programme de lutte contre le trachome a imprimé des tissus dont la population a fait des vêtements. Ces activités sont en accord avec les normes culturelles locales et semblent avoir amélioré la sensibilisation au trachome.

Communication avec des groupes

Dans les centres de santé et les cliniques, l’éducation sanitaire, souvent menée par des infirmières connues des membres de la communauté, peut avoir lieu pendant que les patients attendent d’être traités. La distribution d’antibiotiques dans le cadre de la statégie CHANCE est une autre occasion de mener une promotion sanitaire. Lors d’une séance de distribution d’antibiotiques au Népal, par exemple, nous avons observé qu’avant de recevoir les antibiotiques, les membres de la communauté passaient d’abord devant un puits où ils assistaient à une démonstration de nettoyage du visage avant de se laver eux-mêmes le visage et les yeux. Les démonstrations pratiques de ce type peuvent améliorer considérablement la communication avec un groupe – la démonstration de l’utilisation du bidon perçé ou robinet à bascule, utilisée avec succès par plusieurs programmes, montre comment les enfants peuvent se laver le visage et les yeux même lorsqu’il n’y a pas beaucoup d’eau.

Les écoles sont très utiles pour la promotion sanitaire en matière de trachome. Au Maroc, la lutte contre le trachome fait maintenant partie du programme scolaire national ; au Népal et au Vietnam, on cible les écoles de régions particulières ; au Niger, au Mali et au Ghana, des ONG soutiennent le développement de matériel pédagogique et de programmes scolaires dans certaines régions pilotes. Les tableaux de chevalet, les affiches, les cartes à jouer et les jeux distribués aux écoles ont été bien accueillis et utilisés, comme les sketches ou même les spectacles de théâtre. Nous avons assisté à un excellent spectacle de ce type dans une école rurale au Mali, qui mêlait récits, chants et danses. Le spectacle raconte l’histoire d’une vieille dame souffrant d’une affection oculaire qui entend parler d’un traitement et décide de subir une intervention pour le trichiasis. L’utilisation de contes, de chants et de danses permettait de surmonter la barrière de la langue ; ceci démontre qu’en combinant les moyens de communication on peut transmettre des messages sur le trachome à un public parlant plusieurs langues différentes.

Communication en tête-à-tête

Bien que la communication de masse et la communication avec des groupes spécifiques soient utiles pour sensibiliser au trachome, nous avons observé que la communication en tête-à-tête était peut-être un meilleur outil pour identifier et surmonter certaines barrières, comme par exemple le refus de la chirurgie du trichiasis. Les personnes atteintes de trichiasis forment un sous-groupe de la population qui a besoin d’information, de conseils et de soutien plus spécifiques. Au Vietnam, on constitue dans chaque village un groupe d’action, composé du chef du village, de l’agent de santé villageois et de la directrice de l’Union des femmes. Ce groupe d’action rend visite aux personnes atteintes de trichiasis, les encourage à subir une intervention et les aide à prendre les dispositions nécessaires. Le programme de lutte a décidé de ne pas diffuser de messages radiophoniques sur la chirurgie du trichiasis, car beaucoup de personnes atteintes de trichiasis n’ont pas conscience de souffrir de cette maladie et ne seraient vraisemblablement pas à l’écoute d’une telle communication de masse.

Former et soutenir des communicateurs au niveau local

Les communicateurs au niveau local sont importants car ils sont connus de leurs pairs et peuvent promouvoir la santé au quotidien. Il faut cependant que les communicateurs locaux associent à leur don naturel pour la communication des informations et des compétences propres à la lutte contre le trachome. Nous avons observé que la formation de formateurs était un moyen efficace pour améliorer l’aptitude à communiquer des individus au niveau local. Au Vietnam, par exemple, les responsables de l’éducation au niveau du district forment le directeur et le professeur d’éducation sanitaire de chaque école dans le cadre des programmes de lutte contre le trachome au niveau du district. Ces enseignants retournent dans leur école et forment les autres enseignants.

Nous avons identifié deux obtacles à l’efficacité des communicateurs locaux : le manque de matériel de promotion sanitaire et la difficulté à maintenir l’enthousiasme et la motivation des communicateurs, dont beaucoup sont bénévoles ou combinent ce rôle avec d’autres fonctions. La récompense financière serait une solution, mais cela pose la question de la durabilité à long terme. Une autre solution consiste à fournir à ces personnes l’occasion de s’instruire ou d’améliorer leur statut social. En Tanzanie, par exemple, des groupes de danse traditionnelle ont reçu l’aide des coordonnateurs du district pour inventer leurs propres danses et chansons au sujet du trachome. Les groupes de danse étaient motivés par l’enthousiasme et l’appréciation des spectateurs, qui leur accordaient un statut plus élevé dans leur communauté.

Assurer la cohérence des messages et des services de la stratégie CHANCE

Faire le lien entre les messages de la stratégie CHANCE dans la promotion sanitaire

Les activités d’éducation en matière de trachome ont souvent pour sujet le nettoyage du visage et le changement environnemental. Elles ne mettent pas assez l’accent sur le lien entre trachome et trichiasis et n’encouragent pas assez à adopter la chirurgie (composante CH de la stratégie). Tous les messages doivent être adaptés au niveau de compréhension de la population ciblée. Il est nécessaire d’expliquer le lien entre les différentes actions (nettoyer le visage, améliorer l’environnement, traiter le trachome et subir une intervention si nécessaire), de façon à ce que la population comprenne que toutes ces actions contribuent à prévenir la cécité par trachome.

Coordonner les activités de la stratégie CHANCE

Il est extrêmement important de coordonner les diverses activités impliquées dans la mise en œuvre de la stratégie CHANCE. Il faut mettre en place des structures appropriées pour veiller à développer conjointement les messages et les services et éviter ainsi de décevoir les bénéficiaires. Si, par exemple, un éducateur communautaire ou un message radiophonique encouragent certaines personnes à subir une intervention et si celles-ci se rendent compte que le traitement chirurgical n’est pas disponible au moment et à l’endroit indiqués, elles refuseront par la suite de s’y rendre à nouveau et leur expérience aura une forte influence sur la réputation du programme.

Suivre et évaluer les activités de promotion sanitaire

Le manque d’indicateurs solides (autres que les indicateurs de déroulement basiques tels que le nombre de séances organisées) est un obstacle important à l’évaluation de l’efficacité de la promotion sanitaire. Chaque programme doit mettre au point un ensemble d’indicateurs qui lui fourniront les informations qui lui conviennent le mieux. Dans le district de Konso, en Éthiopie, on a fait appel à un responsable de la santé pour promouvoir la construction et l’utilisation de latrines. Ce responsable sanitaire était en contact régulier avec la communauté, ce qui a permis de définir les buts, d’identifier les indicateurs permettant de suivre la réalisation des objectifs et le déroulement du programme. Ceci a fourni à la fois un moyen d’évaluer le programme et un moyen d’engager la communauté, permettant à celle-ci d’assumer la responsabilité du programme.

Conclusion

Une promotion efficace de la santé oculaire joue un rôle crucial dans le développement des connaissances, des compétences et des attitudes qui entraîneront des changements au sein des communautés et nous permettront d’éliminer le trachome cécitant d’ici 2020. Notre évaluation de la lutte contre le trachome a identifié les points-clés suivants : l’importance de fournir un soutien adéquat au personnel communautaire, de former et d’encourager des communicateurs dynamiques au niveau local et de mettre en place des structures permettant de transmettre des messages appropriés et cohérents, en accord avec toutes les composantes de la stratégie.