RSOC Vol. 21 No. 31 2024 pp 18-19. Publié en ligne 12 juillet 2024.

Production locale de collyres à l’hôpital ou en pharmacie : remarques et conseils de sécurité

Abeer H A Mohamed-Ahmed

Chercheuse associée en pharmacologie et gestion d’essais cliniques, London School of Hygiene & Tropical Medicine, Royaume-Uni.


Dan Kuguminkiriza

Pharmacien de l’unité de production de collyre, Ruharo Eye Centre, Ruharo Mission Hospital, Mbarara, Ouganda.


Un pharmacien portant un équipement de protection individuelle complet (combinaison, gants, masque et visière) assis devant une paillasse de laboratoire couverte de flacons de collyre.
Préparation de collyre au Ruharo Mission Hospital. OUGANDA © Ruharo Mission Hospital CC BY-NC-SA 4.0
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Certains collyres peuvent être préparés localement pour améliorer l’accès des patients aux médicaments. Voici les facteurs à prendre en compte pour une production locale.

La plupart des médicaments pour les yeux destinés à un usage topique sont préparés par des sociétés pharmaceutiques qui utilisent des machines spéciales automatisées pour le mélange et le remplissage. Il est toutefois possible de produire certains collyres dans une pharmacie d’hôpital, pour plusieurs raisons 1,2:

  • Les patients peuvent ne pas avoir les moyens d’acheter les collyres disponibles dans le commerce, mais les collyres produits localement sont souvent plus abordables.
  • Certains collyres peuvent ne pas être disponibles en raison de pénuries ou parce qu’ils ne sont plus commercialisés ; on peut y remédier en produisant ces collyres dans des hôpitaux ou des pharmacies.
  • Des combinaisons de médicaments qui ne sont pas disponibles dans le commerce peuvent être préparées localement, notamment des collyres combinant des agents anesthésiques et mydriatiques.
  • Dans certains cas, le médicament est disponible dans une formulation ou un dosage qui n’est pas destiné à un usage ophtalmique et doit être adapté. C’est le cas par exemple de la préparation de collyre d’amphotéricine B à partir d’une solution intraveineuse.
  • Certains collyres sont spécifiques au patient et sont donc préparés individuellement ; c’est le cas par exemple des collyres au sérum autologue qui sont préparés à partir du propre sérum du patient.

Les principaux ingrédients utilisés pour la préparation des collyres sont généralement les suivants :

  • L’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) sous forme de poudre ou de solution concentrée.
  • Un solvant : soit de l’eau stérile, soit une solution tampon.
  • Un conservateur : un agent antimicrobien ajouté au collyre pour empêcher la contamination microbienne de la solution pendant son utilisation.

En général, les collyres sont préparés de l’une des deux manières suivantes :

  1. Dissolution de l’ingrédient pharmaceutique actif ou du conservateur (sous forme de poudre) dans de l’eau stérile ou une solution tampon.
  2. Dilution d’une solution concentrée de l’ingrédient pharmaceutique actif dans de l’eau stérile ou une solution tampon.

Durant la préparation de collyres, plusieurs éléments importants doivent être pris en compte :

1. Stérilisation

Les collyres doivent être stérilisés pour garantir l’absence de contamination microbienne. La méthode de stérilisation dépend de la stabilité du médicament à haute température. Les options sont les suivantes :

  • Autoclavage. L’autoclavage est utilisé pour stériliser les produits pharmaceutiques qui sont stables à haute température (solutions, suspensions, poudres)1. Les collyres dans leur emballage final (flacons de collyre remplis et scellés) sont généralement stérilisés à la fin du processus de production (stérilisation terminale) par autoclavage (vapeur saturée à 121–132 °C) pendant 15 minutes, pour tuer les micro-organismes1.
  • Stérilisation par filtration. Si le médicament n’est pas stable à des températures élevées, les collyres en solution peuvent être stérilisés par filtration dans un récipient final stérile. Cette méthode doit être réalisée dans des conditions d’asepsie, dans une hotte à flux laminaire. La stérilisation par filtration ne convient pas aux collyres en suspension, car le filtre de 0,22 μm va retenir les fines particules de médicament et rendre le collyre inefficace.

2. Toxicité intrinsèque du médicament

Le pharmacien doit consulter les données de sécurité relatives au médicament (la fiche de données de sécurité) pour obtenir les informations sur la toxicité de ce dernier. Il doit respecter les directives spécifiques établies pour la manipulation du médicament3.

3. Élimination des particules

Les collyres composés doivent être filtrés à l’aide d’un filtre de 5 μm afin d’éliminer toute particule visible à l’oeil nu2. Cette opération peut être réalisée à l’aide de filtres en verre fritté ou de filtres en fibres de polypropylène, avec une pression minimale. Cette pression peut être générée par une pompe d’aspiration manuelle ou à pied.

4. pH

Le pH du collyre est important pour la solubilité et la stabilité de certains médicaments3. Pour un confort oculaire optimal, ce pH doit être similaire au pH des larmes naturelles (pH de 7,4). Cependant, il n’est parfois pas possible de préparer un collyre à un pH de 7,4 en raison de problèmes de stabilité ou de solubilité des médicaments. L’intervalle de pH acceptable pour les collyres doit se situer entre 6,5 et 7,8 afin d’assurer le confort du patient. Un pH plus acide ou plus basique peut provoquer des larmoiements, une gêne ou une douleur4,5. Un tampon approprié, notamment un tampon de citrate ou d’acétate, peut être utilisé pour contrôler et maintenir le pH du collyre pendant le stockage.

5. Tonicité

La tonicité est la capacité d’un milieu à faire passer de l’eau à travers une membrane (telle qu’une membrane cellulaire) par osmose. La tonicité du collyre dépend de la concentration des solutés dissous (notamment les sels tampons et l’ingrédient pharmaceutique actif). Idéalement, la tonicité du collyre doit être similaire à celle des larmes naturelles qui ont une tonicité égale à celle d’une solution saline à 0,9 %. En général, l’intervalle de tonicité bien toléré par la plupart des patients se situe entre 0,5 et 2 %. Les solutions hypertoniques (dont la tonicité est supérieure à celle d’une solution saline à 0,9 %) peuvent entraîner un larmoiement. Cette augmentation du larmoiement peut diminuer la concentration du médicament dans l’oeil et donc réduire l’efficacité du médicament3,6. Les solutions hypotoniques (dont la tonicité est inférieure à celle d’une solution saline à 0,9 %) n’entraînent pas de larmoiement mais peuvent causer une gêne oculaire3,6.

6. Conservateurs

L’ajout de conservateurs aux collyres multidoses est crucial pour prévenir la contamination secondaire pendant le stockage et l’instillation7. Plusieurs études ont fait état d’infections oculaires graves liées à des préparations ophtalmiques sans conservateur réalisées dans des pharmacies locales7,8.

Il est important de sélectionner des conservateurs appropriés et sûrs7. Idéalement, les collyres destinés à un usage à long terme, notamment pour les affections oculaires chroniques, devraient être dépourvus de conservateurs. Ces médicaments ne se prêtent pas à une production locale, car ils nécessitent des installations de production hautement spécialisées et des emballages spéciaux, notamment des unidoses qui évitent la contamination pendant l’utilisation. (À noter : certains médicaments comme la chlorhexidine ne nécessitent pas l’ajout d’un conservateur lorsqu’ils sont préparés sous forme de collyre, car le médicament lui-même agit comme agent de conservation.)

7. Stabilité

Le médicament doit être stable dans le solvant choisi (solution tampon ou eau stérile, par exemple). Afin de déterminer les conditions de stockage optimales et la durée de conservation, la stabilité des collyres préparés en milieu hospitalier ou en pharmacie doit être évaluée suivant les critères du International Council for Harmonisation of Technical Requirements for Pharmaceuticals for Human Use (ICH)9. La durée de conservation (date de péremption) doit être déterminée sur la base des données de stabilité documentées et du risque de contamination microbienne2. La stabilité chimique du ou des principes pharmaceutiques actifs, des conservateurs, des excipients (principes pharmaceutiques non actifs) et de l’emballage doit être prise en compte lors de l’évaluation de la stabilité globale du produit ophtalmologique final2.

8. Conditionnement et stockage du produit final

Le contenant ou l’emballage final doit être adapté à un usage ophtalmique et ne doit pas compromettre la stabilité et l’efficacité de la préparation topique2.

De nombreux collyres composés peuvent être conditionnés soit dans un flacon en plastique stérile avec un comptegouttes intégré (contenant standard pour les collyres), soit dans un flacon en verre avec un compte-gouttes séparé. La stabilité de certains collyres peut être affectée par le type de récipient utilisé ; par exemple, la cyclosporine est absorbée par le chlorure de polyvinyle, un polymère utilisé dans la fabrication de certains flacons en plastique avec compte-gouttes intégré.

Conseils de sécurité

Selon les directives de l’American Society of Health-System Pharmacists (ASHP) concernant les produits ophtalmologiques préparés en pharmacie, les points suivants doivent être pris en compte lors de la préparation de collyres en pharmacie ou à l’hôpital2 :

  • Respectez les techniques d’asepsie et les procédures de stérilisation pour garantir que les collyres sont exempts de contamination microbienne (c’est-à-dire stériles).
  • Afin de minimiser les erreurs, demandez à un collègue de revérifier vos calculs sur la quantité des ingrédients qui seront utilisés dans la préparation du collyre composé.
  • Tous les ingrédients doivent être mélangés dans des récipients vides stériles. En cas d’utilisation de plusieurs récipients pour la préparation d’un collyre stérile, chaque récipient doit être étiqueté.
  • La préparation doit être effectuée dans une hotte à flux laminaire certifiée ou, pour les produits cytotoxiques ou dangereux, dans une hotte de sécurité biologique.
  • Les collyres composés doivent être clairement étiquetés conformément à la politique de l’hôpital ou de la pharmacie en matière d’étiquetage des prescriptions. L’étiquette doit contenir des informations sur la concentration des principes actifs et des conservateurs, les conditions de stockage, les exigences en matière de manipulation, et la date de péremption.
  • Les instructions de stockage figurant sur l’étiquette doivent être claires. Par exemple « à température ambiante » signifie entre 15 et 25 ºC, « au réfrigérateur » signifie entre 2 et 8ºC et « au congélateur » signifie en dessous de 0ºC.

Références

1 Sandle T. Sterile Ophthalmic Preparations and Contamination Control. Journal of GXP Compliance. 2014;13(3).

2 Alghamdi AE, Al Qahtani AY, Sanjab M, Alyahya MK. Guidelines of The American Society of Health-System Pharmacists (ASHP) on Pharmacy-Prepared Ophthalmic Products. Extemporaneous Ophthalmic Preparations. Switzerland: Springer Nature Switzerland AG; 2020. p. 21-3.

3 Awwad S, Mohamed Ahmed AHA, Sharma G, Heng JS, Khaw PT, Brocchini S, et al. Principles of pharmacology in the eye. Br J Pharmacol. 2017;174(23):4205-23.

4 Freiberg JC, Hedengran A, Heegaard S, Petrovski G, Jacobsen J, Cvenkel B, et al. An Evaluation of the Physicochemical Properties of Preservative-Free 0.005% (w/v) Latanoprost Ophthalmic Solutions, and the Impact on In Vitro Human Conjunctival Goblet Cell Survival. J Clin Med. 2022;11(11).

5 Garcia-Valldecabres M, López-Alemany A, Refojo MF. pH stability of ophthalmic solutions. Optometry. 2004;75(3):161-8.

6 Fletcher E, Brennan N. The Effect Of Solution Tonicity On The Eye. Clinical and Experimental Optometry. 1993;76(1):17-21.

7 Tu EY. Balancing antimicrobial efficacy and toxicity of currently available topical ophthalmic preservatives. Saudi J Ophthalmol. 2014;28(3):182-7.

8 Goldberg RA, Flynn HW, Jr., Miller D, Gonzalez S, Isom RF. Streptococcus endophthalmitis outbreak after intravitreal injection of bevacizumab: one-year outcomes and investigative results. Ophthalmology. 2013;120(7):1448-53.

9 ICH. Stability testing of active pharmaceutical ingredients and finished pharmaceutical products. https://database.ich.org/sites/default/files/Q1F_Stability_Guideline_WHO_2018.pdf Annex 10.