Prise en charge postopératoire de la trabéculectomie durant les trois premiers mois
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Une trabéculectomie réussie produit une fistule stable. Pour que cette fistule reste ouverte, la seule condition nécessaire est que l’humeur aqueuse circule. L’apparition d’une cicatrice fibreuse est la principale complication de l’opération et la plus difficile à prendre en charge. Toutefois, d’autres complications sont susceptibles de se produire, comme nous le mentionnerons plus loin.
Il est infiniment préférable de prévenir que de guérir, donc prenez toutes les précautions possibles pour éviter la survenue de complications. Sélectionnez avec soin les candidats à la trabéculectomie et, avant d’opérer, faites en sorte que les conditions soient optimales au bloc opératoire. Par ailleurs, prenez le temps d’informer les patients avant l’opération, afin que leurs attentes correspondent mieux à leur vécu après l’opération. Cela étant dit, à un moment ou à un autre, tous les chirurgiens devront faire face aux complications décrites ici, même les chirurgiens les plus méticuleux et les plus rigoureux.
Les interventions actives pour éviter les complications sont donc fréquentes et concernent environ la moitié des patients en postopératoire.
Notez que si vous ramenez un patient au bloc opératoire dans les quatre semaines suivant l’opération, je vous conseillerais d’élargir vos indications d’anesthésie générale dans la mesure du possible. La première opération et les complications ont déjà entraîné une inflammation oculaire, ce qui vous rendra la tâche plus difficile. L’anesthésique local n’agira pas très bien parce qu’il sera rapidement lavé, même avec l’adjonction d’adrénaline. Par ailleurs, la nécessité d’une nouvelle intervention angoissera le patient (et vous-même).
Une anesthésie générale crée de meilleures conditions d’intervention pour le chirurgien comme pour le patient. En outre, l’opération se déroulera beaucoup plus rapidement (un « petit point de suture rapide » peut s’avérer tout sauf rapide sous anesthésie locale).
Cicatrisation fibreuse
C’est la complication principale de la trabéculectomie et j’y consacre la majorité de mon temps en consultation postopératoire. La gestion de ce facteur de risque peut augmenter d’au moins 10 % votre taux de réussite de la trabéculectomie, si vous identifiez les patients les plus à risque et les prenez en charge de manière intensive.
Pour planifier une stratégie de prise en charge, il peut être utile de se remémorer l’évolution naturelle de la formation d’une fistule au cours d’une trabéculectomie. Immédiatement après l’opération, la qualité des sutures de votre volet fait toute la différence entre un bon résultat et une chambre antérieure plate. Il est donc très important de s’appliquer durant l’opération.
Dans les semaines qui suivent immédiatement l’opération, il se développe du tissu cicatriciel qui offre une résistance à l’écoulement de l’humeur aqueuse. La vitesse à laquelle se forme ce tissu cicatriciel dépend de plusieurs facteurs : origine ethnique du patient, utilisation ou non d’anti-métabolites en peropératoire et environnement oculaire externe (traitements médicamenteux antérieurs, antécédent de trachome, blépharite, inflammation de la conjonctive). On observe souvent une augmentation naturelle et passagère de la résistance à l’écoulement de l’humeur aqueuse, qui se résout ensuite par remodelage. Les augmentations de pression ne sont donc pas anormales quelques semaines après une trabéculectomie. Le moment où survient ce pic de résistance varie beaucoup suivant les populations. Il se produit entre trois et six semaines après l’opération dans beaucoup de groupes ethniques africains, et entre six et neuf semaines généralement chez les personnes d’origine caucasienne. Chez les personnes d’origine indo-pakistanaise, le pic se produit entre ces deux intervalles. Cette « bosse » dans la courbe de pression peut durer quelques semaines et, du moment que la pression ne s’élève pas trop et que les autres signes sont bons, il vous suffit simplement de surveiller le patient, dans la mesure où la situation aboutira naturellement à une bonne bulle de filtration.
Les contrôles fréquents (au minimum hebdomadaires) sont la meilleure façon de prévenir ou de lutter contre la cicatrisation fibreuse. Ils vous permettront de découvrir et de lutter activement contre les premiers signes de cicatrisation fibreuse chez le patient. La première chose à faire est de rétablir la circulation de l’humeur aqueuse par des moyens mécaniques, à savoir en massant l’œil (voir page 18), en enlevant les sutures ajustables, en sectionnant les sutures non ajustables (au laser ou à l’aiguille), et en tout dernier recours en réalisant une libération à l’aiguille ou « needling » de la bulle de filtration. L’ablation de fils de suture ajustables est de loin la méthode la plus simple et la plus rapide, donc je vous conseillerai fortement de les utiliser systématiquement durant vos interventions.
Personnellement, j’ai observé que les chirurgiens ne luttent généralement pas assez vigoureusement contre les premiers signes de cicatrisation fibreuse. Par exemple, si un patient a subi une trabéculectomie combinée à une intervention de la cataracte, la pression intraoculaire (PIO) va baisser naturellement ; toutefois, il faut quand même établir la circulation de l’humeur aqueuse pour que la trabéculectomie fonctionne. L’encadré ci-dessous décrit des techniques de massage oculaire, donc ne baissez pas les bras au premier obstacle.
Une fois qu’un début de cicatrisation permet d’offrir une résistance à l’écoulement (généralement quelques semaines après l’intervention), il est parfaitement raisonnable de demander à votre patient de masser son œil si ceci s’avère nécessaire. Une fois que vous lui aurez bien enseigné les gestes à faire, le patient pourra contribuer à maintenir la circulation de l’humeur aqueuse en effectuant des auto-massages réguliers durant la journée, par exemple lorsqu’il instille son collyre.
Notez qu’il est très important de garder à l’esprit qu’il n’est possible d’agir que pendant une certaine période, au-delà de laquelle le massage n’aura plus d’effet. Il faut profiter de cette « fenêtre de possibilité », pour ainsi dire, mais ne pas s’acharner lorsque les massages ne marchent plus. Je ne peux malheureusement pas délimiter cette période de manière précise, car certains patients demeurent sensibles aux massages plus d’un an après l’opération, alors que d’autres présentent une cicatrisation fibreuse si importante que les massages ne servent plus à rien au-delà de la quatrième semaine postopératoire. Dernier point à noter : une mauvaise technique chirurgicale peut aboutir à une bulle de filtration devant être massée en permanence. Si les extrémités antérieures du volet de trabéculectomie n’atteignent pas le site de la sclérotomie, ceci peut avoir pour effet de créer une valve qui ne s’ouvre ensuite que par pression sur le volet scléral. Dans ce cas, la seule solution pour obtenir un résultat satisfaisant à long terme est une reprise chirurgicale.
L’usage de corticoïdes est l’autre intervention postopératoire importante pour lutter contre la cicatrisation fibreuse. En cas d’instillations intensives de collyre à base de corticoïdes, il est préférable d’utiliser des formules sans conservateur. D’après mon expérience, les injections sous-conjonctivales au niveau de la bulle de filtration peuvent s’avérer extrêmement utiles. J’ai tendance à administrer une injection sous-conjonctivale de corticoïdes à chaque visite post-opératoire. Enfin, dans le cas de patients qui ne sont pas en mesure d’instiller leur collyre régulièrement ou qui risquent fort de ne pas suivre vos consignes, il faut toujours envisager d’administrer des stéroïdes injectables, s’ils sont disponibles. Personnellement, je les injecte au niveau du plancher orbital plutôt qu’au niveau de la bulle de filtration. Parmi les patients que l’on m’envoie en postopératoire, une corticothérapie locale insuffisante est la principale cause de cicatrisation fibreuse de la bulle de filtration.
Il a été prouvé que l’administration intensive de 5-fluorouracile peut être utile (voir encadré page 19). Toutefois, elle a potentiellement des effets secondaires. Certains chirurgiens administrent d’autres médicaments par voie sous-conjonctivale, tels que la mitomycine C et les inhibiteurs du VEGF (facteur de croissance endothélial vasculaire), mais je ne les ai pas essayés.
Fuite conjonctivale
S’il y a présence d’une boutonnière dans un site vital, c’est clairement parce que la conjonctive se rétracte ou les sutures sont trop lâches. C’est une erreur chirurgicale qu’il faut corriger. Personnellement, je suture la conjonctive avec beaucoup de soin et de précision en posant au moins quatre sutures par points séparés. Il se produit quand même parfois une petite fuite en postopératoire, durant la première semaine environ après l’intervention. Nous avons montré que des fuites mineures de ce type n’affectent pas le résultat final1. Les fuites plus importantes ou persistantes sont bien entendu plus sérieuses. Il y a deux cas de figure à prendre en compte, en fonction de la PIO :
- Si la fuite s’accompagne d’une hypotonie (PIO basse) et/ou d’une chambre antérieure peu profonde, il faut bien surveiller le patient et ne pas hésiter à réopérer pour corriger ce problème.
- Si la PIO n’est pas trop basse et la profondeur de la chambre antérieure est maintenue, vous pouvez observer sans intervenir pendant un moment, pour voir si la situation se résout d’elle-même. Dans ce cas de figure, si l’écoulement se fait préférentiellement vers l’avant par la fuite, on peut parfois résoudre le problème en relâchant les sutures postérieures pour encourager un écoulement vers l’arrière.
Une fuite à long terme n’est pas souhaitable car elle ouvre la porte à l’infection et peut entraîner une instabilité de la chambre antérieure. Il faut réparer ce type de fuite avec soin et sans se hâter, car la ligne de suture peut être épithélialisée. Il faut abaisser la conjonctive et la fixer par de nombreux points séparés. Personnellement, je réalise au limbe un sillon d’une profondeur égale à un tiers de l’épaisseur et j’utilise des sutures en capiton pour fixer la conjonctive dans le sillon. Lorsqu’il faut réopérer le patient de la sorte, il est fort possible que le tissu cicatriciel se forme plus vite que la première fois, auquel cas il faudra agir comme indiqué en page 17. Tant que la fuite perdure, il faut envisager d’administrer des antibiotiques prophylactiques.
Techniques de massage oculaire
La trabéculectomie crée une fistule protégée, donc vous ne faciliterez pas la circulation en appuyant sur le pourtour de la fistule. Vous devez favoriser une ouverture postérieure en exerçant une pression sur la sclère, juste derrière le bord postérieur du volet scléral.
Il faut donc que le patient regarde le plus possible vers le bas afin que vous puissiez exercer une pression au bon endroit. Veillez à ne pas appuyer sur les sutures conjonctivales ; exercez un léger mouvement vers le bas en direction de la cornée.
Apprenez au patient à s’auto-masser avec un doigt ou deux (un de chaque main). Chaque patient aura ses préférences. Demandez au patient de s’entraîner au massage devant vous. Mesurez la PIO avant et après le massage pour montrer au patient que son auto-massage a eu de l’effet.
Hypotonie oculaire
Une hypotonie postopératoire précoce peut survenir en cas d’uvéite, de myopie importante et autres cas où la sclère est fine et un phénomène de Seidel (fuite d’humeur aqueuse) par la partie suturée est inévitable. Dans ce type de situation, il s’agit généralement de « dépanner » jusqu’à ce que la fuite se colmate et/ou jusqu’à ce que le corps ciliaire retrouve du tonus avec les corticoïdes postopératoires. L’intervention de dépannage peut consister à surveiller le patient à intervalles réguliers et à lui conseiller le repos (ne pas tousser, ne pas se pencher en avant, ne rien porter et ne faire aucun effort) et le port d’une coque oculaire pendant la nuit.
En cas de décollement choroïdien, de diminution de la profondeur de la chambre antérieure ou de risque de maculopathie d’hypotonie, vous pouvez reformer la chambre antérieure avec un viscoélastique ou un gas (isovolumique SF6 ou C3F8). L’administration peut se faire à la lampe à fente après anesthésie et application de povidone iodée. Si l’hypotonie est clairement due à un drainage excessif, et particulièrement si la chambre antérieure est plate ou peu profonde, alors il s’agit d’une erreur chirurgicale et il faut généralement réopérer. Il vaut bien mieux regarder les choses en face et réopérer rapidement (au premier ou deuxième jour postopératoire) plutôt que d’attendre. N’oubliez pas que si vous laissez l’oeil en hypotonie, vous augmentez le risque d’hémorragie suprachoroïdienne.
Décollement choroïdien
Le décollement choroïdien est presque toujours associé à une hypotonie oculaire et doit s’évaluer dans l’optique d’une prévention de l’hypotonie. Il faut intervenir pour prévenir ou pallier les adhérences de la choroïde, car celles-ci peuvent être extrêmement destructrices. Le drainage et autres procédures secondaires ne doivent être envisagés que dans les cas très rares de décollements exsudatifs ne réagissant pas au traitement médicamenteux.
Infection
Fort heureusement, les infections sont rares. Là encore, il s’agit de miser sur la prévention. Surveillez de près les fuites, raccourcissez ou coupez les fils de suture qui dépassent, appliquez de la povidone iodée (ou autre) avant toute intervention chirurgicale et astreignez vous à une technique « sans contact » méticuleuse. En cas d’infection, hospitalisez le patient pour lui administrer un traitement antibiotique local intensif (par voie intravitréale), conformément aux protocoles de votre établissement. Traitez aussi tout facteur de prédisposition local.
Hyphéma
Celui-ci se produit plus fréquemment au premier jour postopératoire et se résorbe assez rapidement. S’il n’y pas résorption, alors il y a vraisemblablement diathèse hémorragique, d’origine pharmacologique ou pathologique. Traitez d’abord la diathèse hémorragique, puis attendez de voir si la situation se résout sans autre intervention. Dans le cas très rare d’un hyphéma total, il pourra être nécessaire d’évacuer le caillot.
Si possible, administrez un activateur tissulaire du plasminogène dans la chambre antérieure 30 minutes avant l’évacuation du caillot. Ceci minimisera le risque de traumatisme du segment antérieur par adhésion du caillot aux structures intraoculaires.
Vous pouvez administrer per os de l’acide tranexamique après l’opération pour tenter d’éviter un nouveau saignement.
Autres complications
Une dysesthésie de la bulle peut perdurer ; il faudra alors réopérer et revoir la bulle.
Dans les cas d’yeux « courts » (longueur axiale <20 mm ou chambre antérieure peu profonde), il faut anticiper un risque de glaucome malin : administrez de l’atropine 1% en traitement prophylactique avant l’opération et une fois par jour pendant au moins trois semaines après l’opération.
En cas de drainage excessif entraînant une rotation vers l’avant du corps ciliaire, la cause la plus probable est un glaucome malin.
Dans les cas où l’administration d’atropine n’a eu aucun effet, il faut réaliser d’urgence une intervention chirurgicale que nous ne pouvons aborder dans le cadre limité de cet article.
Beaucoup d’autres complications peuvent potentiellement survenir durant les trois premiers mois après une trabéculectomie, que nous ne sommes pas en mesure d’aborder ici pour des raisons de place. Nous espérons toutefois que cet article vous permettra de mettre en place des stratégies de prise en charge qui amélioreront vos résultats de trabéculectomie, car il s’agit d’une intervention fondamentale pour lutter contre le glaucome.
En dernier lieu, rappelons qu’il faut mieux prévenir que guérir et « d’abord, ne pas nuire ».
Administration sous-conjonctivale de 5-fluorouracile
Vous pouvez injecter une dose de 10 mg de 5-fluorouracile (5FU), soit 0,2 ml si vous utilisez du 5FU à une concentration de 50 mg/ml.
Une anesthésie suffisante est essentielle. Demandez au patient de regarder vers le bas et instillez le collyre anesthésique sur la conjonctive bulbaire supérieure (le phénomène de Bell fera en sorte que l’anesthésique atteigne le reste de l’œil). Laissez à l’anesthésique le temps d’agir. Vous pouvez aussi recourir aux astuces suivantes : imbibez un coton-tige d’anesthésique et coincez-le sous la paupière supérieure pendant un moment ou bien administrez de la lidocaïne par voie sousconjonctivale et attendez qu’elle diffuse et agisse.
Pour administrer le 5FU, préférez une approche latérale et derrière le volet scléral. N’injectez jamais dans la bulle de filtration ; l’injection pénétrera dans la chambre antérieure par la voie de moindre résistance. (Si le 5FU pénètre dans la chambre antérieure, allez tout de suite au bloc opératoire et procédez à un lavage de la chambre antérieure.)
Injectez le 5FU lentement : les mécanorécepteurs sont ceux qui produisent le plus d’inconfort pour le patient, ce que vous voulez éviter ; de plus, une injection lente laisse au 5FU le temps de diffuser. Une fois l’injection terminée, ne retirez pas l’aiguille immédiatement, mais maintenez-la plutôt en place pendant une minute environ. Ceci permet au reste du liquide de se dissiper et l’empêche de fuir à la surface de l’oeil par la voie d’injection. La toxicité du 5FU est essentiellement liée à son contact avec la surface de l’oeil, donc il est vital d’empêcher cette fuite. Une fois que vous aurez retiré l’aiguille, effectuez un lavage oculaire avec une solution salée pour enlever toute trace de fuite de 5FU à la surface.
Pour vérifier l’absence de 5FU à la surface de l’œil, vous pouvez instiller une goutte de tétracaïne (améthocaïne). Ce collyre anesthésique a un pH acide (autour de 5) et le 5FU a un pH basique (autour de 9). Lorsque les deux liquides entrent en contact, il se forme un précipité visible : ceci permet de mettre en évidence une fuite de 5FU à la surface de l’œil (voir photo ci-dessous).
Référence
1 Henderson HWA, Murdoch IE, Ezra E. Early postoperative trabeculectomy leakage: the incidence, time course and severity and its impact on surgical outcome. Br J Ophthalmol 2004;88(5): 626–9.