RSOC Vol. 15 No. 20 2018 pp 38-41. Publié en ligne 18 décembre 2018.

Prise en charge de l’allergie oculaire quand les ressources sont limitées

Millicent Bore

Chargée d’enseignements, Department of Ophthalmology, College of Health Sciences, University of Nairobi, Kenya.


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L’allergie oculaire est une pathologie de la surface oculaire que l’on rencontre très fréquemment. Cet article décrit les différents types d’allergie oculaire et présente les options thérapeutiques que l’on peut envisager lorsque les ressources sont limitées.

Infirmière instillant un collyre GHANA © Zul Mukhida / Sightsavers

Les allergies oculaires sont des pathologies inflammatoires courantes que l’on rencontre pratiquement tous les jours en consultation. Elles se produisent parce que la surface de l’oeil est exposée à tout un ensemble d’allergènes susceptibles de déclencher une réaction allergique. Le prurit oculaire est la principale caractéristique de l’allergie oculaire. Les signes et symptômes cliniques sont bilatéraux et varient suivant les personnes. Les facteurs de prédisposition aux allergies oculaires les plus courants sont la présence d’allergènes dans l’environnement, une prédisposition génétique à l’atopie, ainsi que les milieux chauds et secs. Le patient peut également présenter des manifestations non oculaires comme l’eczéma, l’asthme et la rhinite.

Types d’allergie oculaire

On peut répartir les allergies oculaires en quatre catégories :

  1. Limboconjonctivite endémique des tropiques (LCET)
  2. Kératoconjonctivite atopique
  3. Conjonctivite allergique aiguë (qui comprend la conjonctivite allergique saisonnière et la conjonctivite allergique perannuelle)
  4. Conjonctivite gigantopapillaire.

Les deux premières catégories d’allergie oculaire sont susceptibles de menacer la vue du patient. Elles peuvent l’une comme l’autre entraîner des lésions cornéennes en causant des ulcères et des taies cornéennes (secondaires à l’inflammation de la surface oculaire), qui aboutiront à terme à une perte de vision.

LCET

La limboconjonctivite endémique des tropiques ou LCET se déclare généralement durant l’enfance (vers l’âge de 7 ans en moyenne) et tend à s’atténuer à la fin de l’adolescence. Elle est plus fréquente chez les garçons que chez les filles. En l’absence de traitement, elle peut entraîner une conjonctivalisation de la cornée et une fibrose (Figure 1). Les symptômes de la LCET sont un prurit intense, un larmoiement, une sensation de corps étranger et des sécrétions muqueuses épaisses.

Signes : La principale caractéristique de la LCET est la formation de papilles sur la conjonctive tarsale ; celles-ci peuvent être irrégulières et de grande taille (pavage papillaire) (Figure 2). On observe aussi une injection et/ou hyperpigmentation de la conjonctive, ainsi que l’apparition de petits nodules blancs péri-limbiques (grains de Tantras- Horner) (Figure 3). On peut également observer une pigmentation au niveau du limbe, l’apparition de plaques cornéennes et une ulcération de la cornée supérieure.

Kératoconjonctivite atopique

La kératoconjonctivite atopique se déclare typiquement à l’âge adulte et évolue de façon chronique et persistante.

Figure 1. Limboconjonctivite endémique des tropiques. On observe une injection et un oedème au niveau du limbe, ainsi qu’une conjonctivalisation de la cornée © John Dart
Figure 2. Limboconjonctivite endémique des tropiques. L’éversion de la paupière supérieure révèle la présence de papilles © Jock Anderson
Figure 3. Grains de Trantas-Horner chez un enfant présentant enfant présentant une limboconjonctivite endémique des tropiques © Stefani Karakas www.eyerounds.org
Figure 4. Kératoconjonctivite atopique © John Dart

Antécédents : Antécédents d’atopie (asthme, eczéma). Prurit intense, larmoiement, sensation de corps étranger, sécrétions muqueuses. Les symptômes s’observent à longueur d’année.

Signes : Changements cutanés au niveau des paupières, par exemple érythème, dessiccation, croûtes et épaississement. Prurit intense, larmoiement, sensation de corps étranger, sécrétions muqueuses. Présence de papilles sur la conjonctive tarsale. Dans les cas graves, on peut observer une fibrose conjonctivale et un raccourcissement des culs-de-sac.

Autres allergies oculaires Celles-ci incluent la conjonctivite allergique aiguë (conjonctivite allergique saisonnière et conjonctivite allergique perannuelle) et la conjonctivite gigantopapillaire. Les facteurs de prédisposition à la conjonctivite gigantopapillaire incluent le port de lentilles de contact et l’irritation oculaire causée par un fil de suture ou une prothèse oculaire.

Remarque : Tous les types d’allergie oculaire peuvent entraîner des complications susceptibles de menacer la vue si elles ne sont pas prises en charge correctement, notamment le kératocône (suite à des frottements oculaires répétés) et le glaucome (suite à la mauvaise utilisation ou l’utilisation prolongée des corticoïdes).

Comment se développent les allergies oculaires ?

Le mécanisme de base de ces affections est l’hypersensibilité de type 1. La réponse inflammatoire observée dans la LCET et la kératoconjonctivite atopique est causée par les médiateurs de l’inflammation, principalement sécrétés par les mastocytes (Figure 5).

Figure 5. Allergie oculaire : cascade allergique chez les sujets sensibilisés

Classification clinique en fonction du degré de gravité

Il n’existe pas de consignes ou de système universellement acceptés pour la classification clinique et la prise en charge de l’allergie oculaire, bien que différents auteurs aient proposé leurs propres systèmes.1-5

Tout diagnostic d’allergie oculaire doit s’accompagner d’un classement en fonction de la gravité de la maladie6. La raison en est que le degré de gravité a une influence sur la prise de décision clinique et permet de déterminer le statut ophtalmologique du patient ainsi que le risque de perte visuelle. Le degré de gravité influe également sur le choix thérapeutique et la fréquence des rendez-vous de suivi.

Le Tableau 1 est basé sur une classification clinique simplifiée développée au Kenya par l’auteur du présent article. Cette classification s’applique à tous les types d’allergie oculaire et prend en compte les signes cliniques présents durant l’examen objectif, mais pas les symptômes signalés par le patient.

Tableau 1. Classification en fonction du degré de gravité, basée sur le Ocular Allergy Clinical Grading Guide développé au Kenya. Le classement est déterminé par le signe clinique le plus grave présenté par l’oeil le plus gravement touché

Papilles

Légère – Micro : < 0,3 mm © Millicent Bore
Modérée – • Macro : entre 0,3 mm et 0,5 mm • Avec/sans fibrose © E Lee Stock & David M Meisler
Grave – • Pavage papillaire :papilles > 0,5 mm mais < 1 mm • Papilles géantes : > 1mm © Millicent Bore

Conjonctive

Légère – Hyperhémie © Millicent Bore
Modérée – • Hyperhémie • Chémosis diffus © Millicent Bore
Grave – • Hyperhémie • Chémosis bulleux/cicatrice • Hypertrophie de la conjonctive © Millicent Bore

Limbe (oedème limbique ou grains de Trantas-Horner)

Légère – Aucune manifestation © Erhardt Kidson
Modérée – Affectant moins de la moitié de la circonférence limbique © Millicent Bore
Grave – Affectant plus de la moitié de la circonférence limbique © Millicent Bore

Cornée

Légère – Transparente © Erhardt Kidson
Modérée – Kératite ponctuée superficielle © Millicent Bore
Grave – • Ulcère vernal en forme de bouclier • Kératocône avec ou sans leucome central © Millicent Bore

Prise en charge

La prise en charge des allergies oculaires dans les pays à faible ou moyen revenu est rendue plus compliquée par le coût élevé des médicaments et un choix plus limité.

Le Tableau 2 présente des consignes de prise en charge développées au Kenya, basées sur la gravité de la maladie. Remarque : Les patients ayant déjà reçu un diagnostic de LCET ou un diagnostic de kératoconjonctivite atopique doivent toujours être considérés comme des cas « graves », quels que soit les signes cliniques présentés.

Degré de gravité de l’allergie oculaire Traitement Suivi
Légère
  1. Antihistaminique topique (par ex. émédastine) pendant 1 mois OU
  2. Médicament à action multiple (par ex. olopatadine) pendant 1 mois
  1. Selon les besoins
Modérée
  1. Corticoïde léger en application locale, par ex. fluorométhalone 4 fois/jour pendant 1 à 2 semaines avec ou sans pommade corticoïde durant la nuit pendant 2 à 4 semaines
  2. Antidégranulant mastocytaire (par ex. acide cromoglycique)
  1. Revoir le patient au bout de 4 à 6 semaines, puis revoir selon les besoins lorsque l’oeil s’est stabilisé
Grave
  1. Corticoïdes topiques en instillations répétées (toutes les heures) puis espacées, avec ou sans ciclosporine 0,5–2 % jusqu’à rémission satisfaisante, puis arrêter
  2. Antihistaminique topique + antidégranulant mastocytaire ou médicament à action multiple pendant 1 mois, puis antidégranulant mastocytaire en entretien
  3. Pommade corticoïde durant la nuit, pendant 2 à 4 semaines
  4. Si présence de pavage papillaire ou papilles géantes, ou pour les cas réfractaires : injection supratarsale de corticoïdes* (par ex. triamcinolone)
  5. Ulcère vernal : frottis de cornée/ kératectomie superficielle + corticoïdeantibiotique local avec ou sans mydriatique
  1. Revoir le patient au bout d’1 à 2 semaines, puis tous les mois tant que dure la corticothérapie
  2. Diminuer progressivement la dose de corticoïdes (vérifier la pression intraoculaire)
  3. Revoir tous les 3 mois une fois que l’oeil s’est stabilisé

Vous avez plusieurs outils à votre disposition pour prendre en charge l’allergie oculaire :

Les traitements non pharmacologiques sont importants pour soulager les symptômes à court terme : recommandez au patient d’éviter l’exposition aux allergènes en cause, d’appliquer des compresses froides et de ne pas se frotter les yeux.

Les lubrifiants oculaires, de préférence sans conservateurs, sont recommandés dans tous les cas, quelle que soit leur gravité, car ils permettent de diluer les allergènes et de corriger l’instabilité du film lacrymal secondaire à une inflammation chronique.

Les antihistaminiques et les antidégranulants mastocytaires sous forme topique constituent le traitement de première intention. Il faut attendre jusqu’à deux semaines pour que les antidégranulants mastocytaires soient pleinement efficaces. Ils doivent être associés à des antihistaminiques (courte durée d’action) ou à l’application locale d’un corticoïde léger comme la fluorométhalone, pour soulager plus rapidement le patient. Il faut continuer les antidégranulants mastocytaires après l’arrêt des corticoïdes.

Les médicaments à double action ont un effet antihistaminique et un effet antidégranulant mastocytaire. Ils sont efficaces dans le traitement de l’allergie oculaire et donnent de meilleurs résultats que les autres types de médicaments. Ils présentent en outre l’avantage d’améliorer l’observance thérapeutique, car ils réduisent le nombre de médicaments à utiliser.

Les corticoïdes oculaires en application locale sont efficaces (et sont sans doute l’option thérapeutique la plus efficace) mais leur utilisation s’assortit d’un risque élevé d’effets indésirables (glaucome, cataracte, ulcères de cornée). Des corticoïdes légers peuvent être utilisés en cas de crise aiguë pendant une courte durée (de préférence moins de 15 jours). En cas d’allergie oculaire grave, on recommande des corticoïdes topiques en instillations répétées (toutes les heures) puis espacées en fonction de la gravité des signes cliniques. Les pommades corticoïdes peuvent être utilisées la nuit pendant une courte durée.

L’injection supratarsale de corticoïdes n’est recommandée que dans les formes graves lorsque l’application locale de médicaments ne permet pas d’atténuer les symptômes ou lorsque la maladie s’aggrave (cas réfractaires).

Il a été prouvé que les immunomodulateurs topiques, comme la ciclosporine A, ont un effet d’épargne cortisonique bénéfique en cas de maladie chronique7, bien qu’ils ne soient pas faciles à obtenir.

Soutien des patients

Il est important d’offrir un soutien psychologique aux patients et à leurs aidants. Lorsqu’ils sont bien informés, ils sont plus à même de participer à la prise en charge de la maladie. Le soutien psychologique améliore l’observance thérapeutique et le respect du calendrier des visites de suivi. Il a également pour effet de réduire l’automédication et donc l’utilisation inadéquate des corticoïdes.

Il est important de faire comprendre le risque de perte de vision aux patients dont l’affection peut menacer la vue, afin qu’ils comprennent l’importance des visites de suivi et soient présents à tous leurs rendez-vous.

Un soutien psychologique peut également permettre aux patients d’éviter les complications liées aux frottements oculaires répétés (kératocône) et à l’utilisation inadéquate ou abusive de corticoïdes (glaucome, cataracte, etc.).

Expliquez aux patients ce qu’ils peuvent faire pour soulager leurs symptômes : par exemple, éviter l’exposition aux allergènes, appliquer des compresses froides, instiller des larmes artificielles sans conservateurs et porter des lunettes ou des lunettes de soleil en extérieur. Durant la consultation, vous pouvez remettre aux patients un document imprimé contenant des informations de base.

Suivi

La fréquence des rendez-vous de suivi dépendra des facteurs suivants :

  • Degré de gravité de l’affection
  • Affection menaçant ou non la vue du patient
  • Réponse clinique au traitement

Une consultation de suivi doit inclure le recueil des antécédents récents, la mesure de l’acuité visuelle et un examen à la lampe à fente. Si vous avez prescrit des corticoïdes, il faudra également vérifier la pression intraoculaire et la dilatation pupillaire, en raison du risque de glaucome ou cataracte.

Si la correction des vices de réfraction est insuffisante et si le patient a dû fréquemment changer ses verres de correction, soupçonnez un kératocône. Recherchez également des signes d’infection tels une kératite virale et orientez vers un service spécialisé tous les patients présentant une maladie grave (c’est-à-dire ceux qui développent des complications) ou ne répondant pas au traitement.

Références

1 Takamura E et al. Japanese Society of Allergology. Japanese guideline for allergic conjunctival diseases. Allergol Int. 2011;60(2): 191–203.

2 Bonini S et al. Clinical grading of vernal keratoconjunctivitis. Curr Opin Allergy Clin Immunol. 2007;7(5): 436–41.

3 Calonge M et al. Clinical grading of atopic keratoconjunctivitis. Curr Opin Allergy Clin Immunol. 2007;7(5): 442–-5.

4 Sacchetti M et al. Tailored approach to the treatment of vernal keratoconjunctivitis. Ophthalmol. 2010;117(7): 1294–9.

5 Bore M et al. Clinical evaluation criteria of ocular allergy by ophthalmologists in Kenya and suggested grading systems. JOECSA.2014;18(1): 35–43.

6 Bore M et al. Current management of ocular allergy by ophthalmologists in Kenya. JOECSA. 2014;18(2): 59–67.

7 Ozcan AA et al. Management of severe allergic conjunctivitis with topical cyclosporin a 0.05% eyedrops. Cornea. 2007;26(9): 1035–8.