RSOC Vol. 19 No. 28 2022 pp 27-29. Publié en ligne 16 février 2023.

Pourquoi les soins oculaires primaires sont-ils nécessaires ?

Clare Gilbert

Professeure de santé oculaire internationale, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene &Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.


Mapa Prabhath Piyasena

Attaché de recherche post-doctorale en santé oculaire mondiale, Centre for Public Health, Queen’s University Belfast, Belfast, Irlande du Nord.


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Les problèmes oculaires sont courants au sein de la communauté et beaucoup d’entre eux peuvent être pris en charge par des soins oculaires primaires.

Lorsque l’on envisage de proposer des soins oculaires primaires, il est important de prendre en compte les besoins de la population en santé oculaire. Les adultes et les enfants souffrant d’affections oculaires peuvent être répartis en quatre groupes distincts (Tableau 1)1 :

  1. Les personnes présentant une déficience visuelle et dont la vision peut être améliorée ou rétablie par un traitement.
  2. Les personnes présentant une déficience visuelle qui n’est pas réversible.
  3. Les personnes qui n’ont pas de déficience visuelle, mais qui ont besoin d’un traitement pour prévenir la déficience visuelle ou le décès.
  4. Les personnes qui n’ont pas de déficience visuelle et qui ne risquent pas de devenir malvoyantes, mais présentent des symptômes qui doivent être traités.

Il est important de souligner que la plupart des gens ne souffrent pas d’une affection oculaire et ne présentent pas non plus une déficience visuelle. La promotion de la santé et des mesures préventives spécifiques sont nécessaires pour préserver leur santé oculaire et leur bonne vision.

Tableau 1 Exemples d’affections oculaires dans chaque groupe

Groupe Affections oculaires Interventions nécessaires
Présentent déjà une déficience visuelle
Groupe 1

Le traitement peut améliorer ou restaurer la vision

Vices de réfraction non corrigés, cataracte et presbytie Chirurgie de la cataracte et correction optique
Groupe 2

La déficience visuelle n’est pas réversible

Glaucome au dernier stade, rétinopathie diabétique, rétinopathie des prématurés ; anomalies congénitales ; taies cornéennes denses ; atrophie optique Réadaptation visuelle
Ne présentent pas de déficience visuelle
Groupe 3

Un traitement est nécessaire pour prévenir la déficience visuelle (ou le décès du patient)

Glaucome au stade précoce ou encore non détecté, rétinopathie diabétique, dégénérescence maculaire liée à l’âge (forme exsudative)*, rétinoblastome et cancers de la conjonctive Détection précoce et prise en charge, nécessitant des soins à vie
Groupe 4

La déficience visuelle est très peu probable mais il faut traiter les symptômes

Conjonctivite, sécheresse oculaire, infections palpébrales Traitement approprié, souvent local

*La forme exsudative de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est actuellement la seule forme de DMLA pouvant être traitée.

Combien de personnes sont-elles touchées par ces différentes affections oculaires ?

Il est difficile d’estimer le nombre de personnes de tous âges réparties dans ces différents groupes, car les enquêtes ne recueillent pas toujours les données pertinentes. On a plus de données sur les affections des Groupes 1 et 2, et on peut formuler certaines estimations sur les affections des Groupes 3 et 4.

Il est utile d’estimer le nombre de personnes touchées sur une population de 100 000 personnes, car cela correspond à la population desservie par un ou plusieurs centres de santé ou polycliniques dans la plupart des pays à revenu faible ou intermédiaire.

Tableau 2 Estimations du nombre de personnes dans une population de 100 000 présentant une affection oculaire dans chacun des quatre groupes (répartition par région)

Amérique latine (pour 100 000) Asie (pour 100 000) Afrique (pour 100 000)
Affections du Groupe 1 9 500 19 000 13 500
Cataracte* 1 000 1 500 500
Vices de réfraction non corrigés (distance)* 2 500 2 500 1000
Presbytie non corrigée**1 6 000 15 000 12 000
Affections du Groupe 2 1 200 1 000 800
Cécité/déficience visuelle causée par le glaucome, la DMLA, la rétinopathie diabétique et autres affections* 1 200 1 000 800
Affections du Groupe 3 1 200 1 500 700
Glaucome non détecté2 750 800 500
Risque de rétinopathie diabétique3 450 700 200
Affections du Groupe 4 5 000 5 000 5 000
Affection n’entraînant pas de déficience visuelle (5 % de la population)4 5 000 5 000 5 000
Total (%) des personnes affectées dans une population de 100 000 16 900 26 500 20 000
(17 %) (27 %) (20 %)

*Présentant une acuité visuelle inférieure à 3/10e dans le meilleur oeil.1 **Présentant une acuité visuelle de près < P5 (définition de la CIM-11).2

Les nombres figurant dans le Tableau 2 reposent sur les hypothèses suivantes :

1 « Presbytie non corrigée » correspond à une estimation du nombre de personnes sur 100 000 habitants ayant besoin d’une correction de la presbytie (déficience visuelle touchant la vision de près) dans chaque région. On estime que 80 % de la population mondiale âgée de 40 ans et plus est atteinte de presbytie.

2 « Glaucome non détecté » correspond à une estimation du nombre de personnes atteintes d’un glaucome non diagnostiqué dans chaque région, à l’exception des personnes qui sont actuellement aveugles ou malvoyantes en raison du glaucome (ces personnes sont prises en compte dans le Groupe 2). On estime que 3 % de la population mondiale âgée de 40 ans et plus est atteinte de glaucome.

Les vices de réfraction non corrigés sont responsables de la majorité des besoins en services de santé oculaire au niveau primaire. © Eyes on Africa CC BY-NC 4.0

3 « Personnes à risque de rétinopathie diabétique » : ce nombre est basé sur les estimations de la Fédération internationale du diabète concernant le nombre de personnes diabétiques âgées de 20 ans et plus (qui sont toutes à risque de rétinopathie diabétique), à l’exception des personnes qui sont actuellement aveugles ou malvoyantes en raison d’une rétinopathie diabétique (ces personnes sont prises en compte dans le Groupe 2).

4 On estime à au moins 5 % la prévalence de l’ensemble des affections oculaires non cécitantes telles que la conjonctivite, la sécheresse oculaire, les infections palpébrales, etc. Ce chiffre pourrait atteindre 10 %, mais il faudrait des données supplémentaires pour le déterminer plus précisément.

Que signifient ces chiffres ?

Selon les estimations présentées dans le Tableau 2, plus d’une personne sur quatre vivant dans la région Asie a besoin de soins oculaires (27 %), contre une sur cinq en Afrique (20 %) et une sur six en Amérique latine (17 %). Les différences entre les régions reflètent :

  1. Les différences dans la structure par âge de la population.
  2. Les variations dans la prévalence des affections.
  3. Le niveau d’accès aux services pour les personnes atteintes de ces affections oculaires.

Les vices de réfraction (vision de loin et de près) constituent la majorité des affections énumérées. Cependant, les chiffres donnés pour les vices de réfraction n’incluent pas les personnes présentant une acuité visuelle comprise entre 5/10e et 3/10e dans le meilleur oeil, car nous n’avons pas assez de données sur les causes de la déficience visuelle dans cette catégorie. Nous pouvons néanmoins être raisonnablement certains que les vices de réfraction non corrigés en sont la cause principale. Il est également important de noter que les nombres présentés n’incluent pas les personnes qui portent déjà des lunettes pour la vision de loin ou de près et qui ont besoin de services continus.

Quel rôle les soins oculaires primaires peuvent-ils jouer dans la prise en charge de ces affections ?

Affections du Groupe 1

Vices de réfraction non corrigés, cataracte et presbytie

Les agents de soins de santé primaires peuvent identifier les personnes présentant une déficience visuelle touchant la vision de loin en mesurant leur acuité visuelle de loin. L’examen de l’oeil à l’aide d’une lampe torche leur permettra de savoir s’il s’agit d’une cataracte ou d’une autre maladie, et la mesure de l’acuité visuelle avec un trou sténopéique permettra d’identifier les personnes présentant des vices de réfraction non corrigés. Ces deux procédures permettent à elles seules d’identifier entre 65 % (en Afrique) et 80 % (en Asie) des personnes atteintes de déficience visuelle dans la population-cible.

La mesure de l’acuité visuelle de près avec les deux yeux ouverts permet de détecter la presbytie. Dans certains contextes, les agents de soins de santé primaires sont formés à cet effet et peuvent assurer la correction de la presbytie tant que l’acuité visuelle de loin est normale ; dans le cas contraire (si l’acuité visuelle de loin n’est pas normale), il faudra orienter le patient.

Affections du Groupe 2

Glaucome au dernier stade, rétinopathie diabétique, rétinopathie des prématurés ; anomalies congénitales ; taies cornéennes denses ; atrophie optique

Les personnes qui doivent être orientées vers un professionnel des soins oculaires pour une évaluation avant la réadaptation visuelle sont celles chez qui :

  • L’acuité visuelle est inférieure à 3/10e dans le meilleur oeil.
  • L’acuité visuelle avec trou sténopéique n’est pas supérieure à 3/10e dans l’un ou l’autre oeil.
  • Le diagnostic de cataracte a été exclu.

La réadaptation visuelle peut contribuer à améliorer la qualité de vie des personnes concernées et les aider à conserver leur indépendance.

Affections du Groupe 3

Glaucome au stade précoce ou encore non détecté, rétinopathie diabétique, dégénérescence maculaire liée à l’âge (forme exsudative)*, rétinoblastome et cancers de la conjonctive

Le dépistage du glaucome et de la rétinopathie diabétique dans les établissements de soins de santé primaires est beaucoup plus difficile que celui des affections du Groupe 1, car le diagnostic nécessite des équipements et des compétences cliniques plus pointus. Toutefois, les agents de soins de santé primaires peuvent jouer un rôle important en demandant aux personnes adultes si elles sont diabétiques ou si un membre de leur famille souffre de glaucome. Si c’est le cas, elles doivent être orientées pour une consultation.

Affections du Groupe 4

Conjonctivite, sécheresse oculaire et infections palpébrales

Les agents de soins oculaires primaires peuvent jouer un rôle important dans la détection et la prise en charge d’affections oculaires moins complexes pouvant provoquer des symptômes gênants, comme la conjonctivite et la sécheresse oculaire. Pour ce faire, ils devront posséder les compétences nécessaires pour détecter ces affections, savoir comment les traiter et avoir accès aux médicaments appropriés. Un suivi sera également nécessaire pour s’assurer que l’état de santé du patient s’améliore. Dans le cas contraire, une orientation sera nécessaire.

Figure 1 OEil droit : reflet pupillaire normal. OEil gauche : le reflet pupillaire présente une couleur anormale (blanc dans le cas de ce patient), ce qui peut indiquer la présence d’une maladie grave. Le jeune patient photographié ici présente une cataracte dans l’oeil gauche. Il faut envoyer l’enfant l’enfant chez un spécialiste. © Heiko Philippin CC BY-NC 4.0

Conserver une bonne vision et des yeux sains

Dans toutes les régions, les nourrissons doivent être vaccinés contre la rougeole à l’âge de 9 mois. Dans certaines régions, les politiques de santé infantile prévoient des suppléments de vitamine A pour les enfants d’âge préscolaire et une prophylaxie oculaire à la naissance pour prévenir la conjonctivite du nouveau-né. Les agents de soins de santé primaires peuvent également examiner le reflet pupillaire chez les nouveau-nés dans les 6 à 8 semaines suivant la naissance et à des âges plus avancés pour détecter la présence éventuelle d’une cataracte ou d’un rétinoblastome (Figure 1)3. Tous les nourrissons présentant un reflet pupillaire anormal doivent être référés d’urgence.

Références

1 Burton MJ, Ramke J, Marques AP, et al. The Lancet Global Health Commission on Global Eye Health: vision beyond 2020. Lancet Glob Health vol 9 (April 2021): e489–e551. globaleyehealthcommission.org

2 World Health Organization (2019). International Statistical Classification of Diseases and Related Health Problems (11th ed.). https://icd.who.int/

3 Mndeme FG, Mmbanga BT, Kim MJ, Sinke L, Allen L, et al. Red reflex examination in reproductive and child health clinics for early detection of paediatric cataract and ocular media disorders: cross-sectional diagnostic accuracy and feasibility studies from Kilimanjaro, Tanzania. Eye 2021(35):1347–1353.