RSOC Vol. 03 No. 01 2006 pp 02 - 04. Publié en ligne 01 janvier 2006.

Œil rouge – premiers soins à prodiguer au niveau primaire

Isaac Baba

Chirurgien de la cataracte, Bawku Hospital, PO Box 45, Bawku, Ghana.

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Dans la plupart des centres de soins oculaires des pays en développement, l’œil rouge représente une importante proportion des consultations. Dans le service de soins oculaires du Bawku Hospital au Ghana, par exemple, 21391 patients ont été traités en consultation externeen 2004. Plus de 40% d’entre eux (soit 8391 cas) présentaient un « œil rouge ».

Dans la majorité des cas, l’œil rouge est pris en charge dans les centres de santé communautaires où des infirmiers communautaires, des agents de santé oculaire primaire et des infirmiers spécialisés en ophtalmologie sont responsables du diagnostic et du traitement. De ce fait, il faut donc accorder suffisamment d’attention à la prévention, au diagnostic précoce et aux premiers soins à administrer dans le cas d’un œil rouge.

Un œil rouge aigu est généralement causé par une conjonctivite, un trachome, un ulcère cornéen, une iritis aiguë, un glaucome aigu ou un traumatisme. L’utilisation de remèdes traditionnels nocifs pour d’autres problèmes oculaires peut également provoquer un œil rouge. Cet article traite des premiers soins à prodiguer au niveau primaire, dans le cas d’un œil rouge non traumatique.

Conjonctivite. ICEH
Conjonctivite. ICEH

Conjonctivite

Conjonctivite à tout âge

C’est l’étiologie la plus fréquente d’un œil rouge. Généralement, une conjonctivite n’est pas douloureuse et se caractérise par des sécrétions claires ou purulentes. Il existe différents types de conjonctivite: les conjonctivites bactériennes, causées par des bactéries, gonocoque ou staphylocoque par exemple ; les conjonctivites virales, causées par des virus, par exemple le virus de l’herpès ; et les conjonctivites allergiques, provoquées par une allergie à la fumée, aux cosmétiques, aux médicaments, etc. Les signes d’une conjonctivite varient en fonction de sa cause, mais ils comprennent des paupières enflées, une rougeur de la conjonctive et des sécrétions claires ou purulentes. La cornée et la pupille ne sont généralement pas affectées.

Prise en charge

Les conjonctivites n’affectent normalement pas la vue et sont faciles à traiter. Pour traiter une conjonctivite bactérienne, nettoyer les yeux et appliquer un antibiotique quelconque sous forme de collyre ou de pommade oculaire. En l’absence de tout antibiotique, un simple nettoyage régulier pour éliminer les sécrétions permet aux yeux de se stabiliser en quelques jours.

Une conjonctivite virale ne requiert généralement aucun traitement, mais l’application d’une pommade antibiotique peut rassurer le patient. On observe parfois des épidémies de conjonctivite virale, affectant de nombreuses personnes pendant une même période. Par exemple, un seul écolier présentant une conjonctivite virale peut infecter en une journée la moitié de l’école. Dans ce cas, il est préférable de fermer l’école pendant deux ou trois jours pour éviter la contagion. Ce type de conjonctivite épidémique est communément appelé « conjonctivite Apollo» en Afrique occidentale. Le vrai danger est ici l’utilisation de remèdes traditionnels nocifs qui peuvent aggraver l’état de l’œil.

Dans le cas d’une conjonctivite allergique (également connue sous le nom de limbo-conjonctivite tropicale ou LCET ou parfois (kérato-) conjonctivite printanière ou vernale), le patient ressent généralement depuis longtemps de très fortes démangeaisons des deux yeux. Une LCET donne un aspect brun foncé aux yeux d’un enfant. Dans les cas les plus graves, un spécialiste doit prescrire à ces enfants des stéroïdes en application locale. Les préparations oculaires à base de stéroïdes peuvent être dangereuses et doivent uniquement être prescrites par un ophtalmologiste.

Conjonctivite du nouveau-né

On désigne sous le nom de conjonctivite néonatale ou ophtalmie des nouveaux-nés toute infection oculaire survenant durant les 28 premiers jours de vie. Si elle est due à un gonocoque, l’infection est vraiment grave. Les paupières sont gonflées et laissent sourdre du pus, la conjonctive est rouge et peut présenter un aspect hémorragique. La cornée est généralement transparente, mais si elle présente une tache blanche, il peut s’agir d’un ulcère; dans ce cas d’une extrême gravité, il faut orienter immédiatement le nouveau-né vers un service spécialisé.

Prise en charge

Nettoyer les yeux délicatement avec de l’eau propre ou du sérum physiologique et appliquer toutes les heures une pommade à la tétracycline. Si la cornée est atteinte, envoyer immédiatement le nourrisson dans un centre de soins oculaires où il recevra un traitement intensif par collyre antibiotique et parfois une antibiothérapie générale.

Prévention

Il faut nettoyer les yeux des nourrissons immédiatement après la naissance et appliquer une pommade à la tétracycline. En consultation prénatale, il faut traiter toutes les mères présentant une infection vaginale. Dans la mesure où il s’agit souvent d’une infection sexuellement transmissible, il faut sensibiliser les sages-femmes traditionnelles, les agents de santé communautaires et les parents des deux sexes.

Ulcère cornéen. ICEH
Ulcère cornéen. ICEH

Ulcère cornéen

Les ulcères cornéens ont une étiologie multiple. Ils peuvent être causés par une infection (bactérie, champignon, virus, ou acanthamibe) ou par une malnutrition, comme dans le cas de la rougeole/d’une carence en vitamine A, qui survient principalement chez les enfants âgés de six mois à deux ans. Certaines étiologies sont principalement unilatérales alors que d’autres, comme l’avitaminose A, sont souvent bilatérales. Un ulcère cornéen peut entraîner une cicatrice de la cornée ou une atrophie du globe oculaire (phtisie du globe).

Une perforation de la cornée est appelée érosion ou ulcère de la cornée. Pour plus de simplicité, nous désignerons toutes ces lésions sous le nom d’ulcère. Il existe des ulcères superficiels et des ulcères profonds. Le patient se plaint d’un œil rouge et douloureux. Les paupières sont parfois enflées, la conjonctive est rouge autour de la cornée, la pupille est normale et l’acuité visuelle est souvent réduite. On observe souvent une marque ou tache grise sur la cornée. L’autre œil est généralement normal. Il existe un test spécifique permettant d’identifier un ulcère cornéen: lorsqu’on place une bandelette imbibée de fluorescéine sous la paupière inférieure, toute altération de l’épithélium se colore en vert. Se référer à la page 20 de ce numéro pour le mode d’emploi.

Prise en charge

Un ulcère cornéen est un problème oculaire grave. Il faut instiller fréquemment (toutes les heures) un collyre antibiotique, protéger l’œil par un pansement et adresser de toute urgence le patient à un service spécialisé. S’il s’agit d’un enfant âgé de un à dix ans, administrer également 200000 UI de vitamine A par voie orale. Tout ulcère cornéen doit être traité par un ophtalmologiste car il peut facilement entraîner une cicatrice cornéenne et évoluer vers la cécité.

Le spécialiste fera le diagnostic de la cause et offrira le traitement qui convient. On traite un ulcère bactérien par des antibiotiques en application locale et en injections sous-conjonctivales. On utilise des antifongiques (natamycine par exemple) dans le cas d’un ulcère fongique, mais ce type d’ulcère est difficile à traiter. Un ulcère viral est traité par des anti-viraux (aciclovir par exemple). Un ulcère nutritionnel est généralement dû à une carence en vitamine A résultant d’une rougeole ou d’une malnutrition. Le traitement comprend l’administration de gélules de vitamine A (posologie en fonction de l’âge).

Iritis aiguë.
Iritis aiguë. ICEH

Iritis aiguë

L’étiologie d’une iritis aiguë reste souvent inconnue.Le patient se plaint d’un œil rouge et douloureux. Il n’y a pas de sécrétions mais l’acuité visuelle est réduite.

La conjonctive est rouge mais la cornée est transparente. La pupille est généralement de petite dimensionet peut être de forme irrégulière – cela devient plus apparent lorsque la pupille se dilate avec le traitement.

Prise en charge

Il s’agit d’un problème grave. Si c’est possible, dilater la pupille avec un collyre mydriatique à effet rapide, de type tropicamide. Adresser sans plus attendre le patient à un spécialiste.

Glaucome aigu. ICEH
Glaucome aigu. ICEH

Glaucome aigu

Cette maladie est rare chez les personnes d’origine africaine et plus courante chez les personnes d’origine asiatique. En cas de glaucome aigu, la pression intra-oculaire augmente très rapidement, ce qui se traduitpar un œil rouge très douloureux et une acuité visuelle réduite. La cornée présente un aspect trouble en raison de l’œdème, la pupille est dilatée et ne réagit pas à la lumière.

Prise en charge

C’est une affection oculaire très grave et douloureuse. Il faut transférer de toute urgence le patient dans un service spécialisé. Si vous disposez de comprimés de Diamox® (dosé à 250 mg), administrez deux comprimés par voie orale au moment du diagnostic, puis un comprimé 4 fois par jour et adressez le patient à un spécialiste. Vous pouvez également administrer un collyre à la pilocarpine, si vous en avez à votre disposition, afin de réduire la taille de la pupille.

Médecine oculaire traditionnelle

La médecine traditionnelle existe depuis l’origine de l’humanité. Les guérisseurs traditionnels sont des membres respectés de leur communauté. En Afrique, un grand nombre des personnes qui se rendent à une consultation de soins oculaires ont déjà traité leurs yeux par des herbes ou autre préparation traditionnelle, avant de se présenter au centre de soins. De telles pratiques peuvent s’avérer particulièrement dangereuses, surtout chez les enfants.

Les traitements oculaires traditionnels peuvent être nocifs ou inoffensifs. Les traitements oculaires inoffensifs comprennent des incantations par des guérisseurs traditionnels et l’utilisation de sérum physiologique, entre autres. Dans la catégorie des traitements nocifs, on peut classer l’alcool, la poudre de cauri, la bouse de vache et le crottin d’âne, les préparations à base d’herbes, la salive humaine, les excréments d’oiseaux et de lézard, l’urine, etc. Ces préparations traditionnelles varient d’une culture à l’autre et les agents de santé oculaire du monde entier pourraient sans doute ajouter d’autres remèdes à cette liste, en fonction de leur propre expérience. Les préparations que l’on applique directement dans l’œil peuvent provoquer un ulcère cornéen ou aggraver un ulcère existant, entraînant des cicatrices ou une perforation oculaire pouvant évoluer vers la cécité.

Les agents de santé oculaire primaire ont un rôle important à jouer dans la prévention de la cécité parl’utilisation de traitements oculaires traditionnels. Ils/elles sont souvent les premières personnes à être informées lorsque les traitements traditionnels tournent mal et ils sont suffisamment proches de la communauté pour déconseiller leur utilisation. La première étape de la prévention de la cécité par l’utilisation de traitements oculaires traditionnelsest l’établissement d’un rapport de confiance et de respect entre les prestataires de soins de santé, les patients et les communautés.

Il est important de comprendre pourquoi certaines personnes ont recours à la médecine oculaire traditionnelle et de ne pas les juger. Beaucoup ignorent les dangers de l’automédication des problèmes oculaires. L’attitude négative de certains agents de santé décourage souvent les patients pauvres de se rendre dans des centres de santé. Les croyances socioculturelles telles que la croyance en des mauvais esprits ou la sorcellerie, conduisent certaines personnes à penser qu’il vaut mieux consulter un guérisseur qu’un médecin. Les médicaments oculaires sur ordonnance sont très chers pour beaucoup de patients. Enfin, l’éloignement des services de santé encourage les patients à demander de l’aide plus près de chez eux.

Prise en charge

La plupart des patients se rendent à l’hôpital lorsque leur œil est déjà lésé. Il faut d’abord rincer l’œil abondamment avec de l’eau, si le remède traditionnel a été appliqué récemment, puis instiller un collyre antibiotique toutes les heures.

Il faut mettre à profit toutes les opportunités de sensibiliser la population pour la décourager d’avoir recours à la médecine oculaire traditionnelle et utiliser pour cela différents moyens comme l’éducation sanitaire au niveau de la communauté, des écoles, des associations de femmes et des centres de santé. Il faut adresser tout patient présentant des complications oculaires à un service spécialisé.

Traumatisme oculaire

Les traumatismes oculaires représentent 10 % des cas d’œil rouge. Ces blessures peuvent causer des dommages irréversibles à l’œil et entraîner la cécité. Dans de nombreux cas, il faut adresser les patients à des services de soins oculaires secondaires ou tertiaires. Les traumatismes oculaires sont abordés dans la deuxième partie de ce numéro et ne sont donc pas développés dans cet article.

Sources

E. Sutter, A. Foster et V. Francis, Hanyane : Bien voir et mieux vivre au village, Partie 2 : Notes de cours sur les affections courantes oculaires destinées aux personnels de santé, London, International Centre for Eye Health, 1993.

Diagnostic différentiel de l’œil rouge sans traumatisme

  CONJONCTIVITE ULCÈRE CORNÉEN GLAUCOME AIGU IRITIS AIGUË
Œil Deux yeux atteints généralement Un œil atteint généralement Un œil atteint généralement Un œil atteint généralement
Vision Normale Généralement réduite Souvent réduite Diminution nette
Douleur oculaire œil normal ou sensation de grains de sable œil généralement douloureux Douleur modérée, photophobie Douleur importante (maux de tête et nausées)
Sécrétions Collantes ou claires Peuvent être collantes Larmoiement Larmoiement
Conjonctive Rougeur généralisée (variable) Rougeur plus marquée autour de la cornée Rougeur plus marquée autour de la cornée Rougeur généralisée très nette
Cornée Normale Grise, tache blanche (coloration à la fluorescéine) Généralement transparente (précipités rétrocornéens parfois visibles à la loupe) Trouble (présence de liquide dans la cornée)
Chambre antérieure (CA) Normale Généralement normale (parfois hypopyon) Cellules visibles à la loupe Peu profonde ou plate
Taille de la pupille Normale et ronde Normale et ronde Petite et irrégulière Dilatée
Réaction de la pupille à la lumière Bonne réaction Bonne réaction Réaction minime car la pupille est déjà petite Réaction minime ou absence de réaction
Pression intraoculaire (PIO) Normale (mais ne pas tenter de mesurer la PIO) Normale (mais ne pas tenter de mesurer la PIO) Normale Élevée
Signes/Tests diagnostiques utiles Sécrétions purulentes des deux yeux Coloration de la cornée à la fluorescéine Pupille irrégulière lorsqu’on la dilate avec un collyre PIO élevée

Premiers soins dans le cas d’un œil rouge sans traumatisme

Conjonctivite Ulcère cornéen Iritis aiguë Glaucome aigu
Sécrétions dans les deux yeux, cornée transparente et pupille normale Tache blanche ou marque sur la cornée, pouvant être colorée à la fluorescéine Pupille de petite taille, qui devient irrégulière lorsqu’on la dilate œil très douloureux, mauvaise vision et pupille dilatée
Traiter Adresser à un spécialiste Adresser à un spécialiste Adresser à un spécialiste
Pommade antibiotique 3 fois par jour pendant 5 jours. Conseils d’hygiène Collyre ou pommade antibiotique toutes les heures Dilater la pupille si possible Diamox® (500 mg) par voie orale et collyre à la pilocarpine si possible