Mise en œuvre des soins oculaires primaires à grande échelle : les raisons d’un retard
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Un décalage entre théorie et pratique
Depuis plus de 30 ans, les experts en santé publique que nous sommes vantent, quelques résultats probants à l’appui, les mérites des soins oculaires primaires (SOP) ; la plupart des acteurs en soins oculaires au niveau des pays en reconnaissent la nécessité et l’utilité, et pourtant leur mise à l’échelle tarde toujours à se matérialiser. Ce décalage entre théorie et pratique a plusieurs explications :
- Tout le monde en parle mais tout le monde ne s’accorde pas toujours sur le concept même de SOP.
- Les concepts théoriques des SOP ne collent pas toujours à la réalité sur le terrain.
- L’offre de soins oculaires se caractérise généralement par quelques rares pôles de soins dans quelques grands centres urbains. En termes de ressources humaines, ceci entraîne d’énormes difficultés à organiser la formation en SOP, ainsi que la supervision, à moyen et à long termes, du personnel médical travaillant loin des centres spécialisés.
- L’absence, dans la plupart des pays en développement, d’une politique claire et cohérente de développement des ressources humaines aggrave cette situation.
Les ambiguïtés pratiques du concept des SOP
Contrairement à ce que l’on croit, la compréhension de ce que sont les « soins oculaires primaires » et, partant, leur mise en œuvre, n’est pas toujours la même pour tous. Loin s’en faut !
Pour certains, en effet, les SOP sont avant tout un élégant concept pour promouvoir une approche plus inclusive et donc plus complète, des soins oculaires dans leur sens le plus large : promotion, prévention, détection précoce, traitement et réhabilitation.
Pour d’autres, probablement les plus nombreux, les SOP sont d’abord et avant tout un niveau (dans le cas d’espèce, le premier niveau, communautaire) de prestations de soins oculaires de base.
Pour d’autres enfin, les SOP sont un paquet minimum d’activités de santé à mettre en place partout où les services de soins oculaires n’existent pas du tout, ou ne sont pas encore opérationnels.
La vérité c’est que, dans les faits, loin d’être mutuellement exclusives, ces trois « définitions » sont en fait les différentes facettes d’une seule et même réalité, à savoir, celle d’une offre de soins oculaires rarement uniforme qui varie grandement d’un pays à un autre et, à l’intérieur d’un même pays, d’une province à une autre. D’où l’importance, dans la mise en œuvre pratique, de bien définir et de clairement communiquer à tous les intervenants ce que l’on voudrait mettre en place en matière de SOP.
Des concepts théoriques des SOP qui ne collent pas toujours à la réalité sur le terrain
Par exemple, dans la version la plus répandue des SOP, l’implication et la formation des membres de la communauté aux soins oculaires de base constituent l’étape essentielle de la mise en œuvre des SOP. Ce faisant, l’on apporte ainsi le chaînon « périphérique » manquant dans l’infrastructure nationale de prise en charge des affections oculaires et, du même coup, l’on assure une couverture à tous les niveaux : tertiaire, secondaire, primaire et communautaire.
Le seul problème, c’est que cette configuration idyllique des SOP est rarement réalisée sur le terrain. Dans de nombreux pays en développement, il n’est pas si rare de voir, aujourd’hui encore, des provinces entières avec soit un seul, soit aucun personnel de santé de quelque niveau que ce soit formé aux soins oculaires de base, et encore moins rare de trouver des provinces sans ophtalmologiste, comme le montre le Tableau 1 ci-dessous.
Conclusion
Il importe qu’à l’avenir, la mise en œuvre des SOP colle de plus en plus à la réalité de l’offre de soins sur le terrain. La santé oculaire de milliers de personnes vivant dans les pays les plus démunis en dépend. Ce numéro spécial de la Revue de Santé Oculaire Communautaire comporte plusieurs suggestions pour y remédier.
Tableau 1. Exemples de pays avec des effectifs très limités en personnel ophtalmologique*
Pays | Pop. totale (millions) | Nb. total de régions ou provinces administratives | Nb. de régions avec 1 ou 0 personnel ophtalmique | Pop. vivant dans des régions avec 1 ou 0 personnel ophtalmique (millions) | % de la pop. nationale vivant dans une région avec 1 ou 0 personnel ophtalmique | Nb. de régions sans ophtalmologiste | Pop. vivant dans des régions sans ophtalmologiste (millions) | % de la pop. nationale vivant dans une région sans ophtalmologiste |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Bénin | 6,7 | 12 | 2 | 0,8 | 11 % | 6 | 2,9 | 43 % |
Burundi | 8 | 17 | 14 | 6,1 | 76 % | 15 | 6,6 | 83 % |
Mauritanie | 2,5 | 13 | 11 | 1,9 | 75 % | 12 | 2 | 78 % |
Niger | 13 | 8 | 1 | 2,2 | 17 % | 4 | 5,4 | 42 % |
RCA** | 3 | 7 | 5 | 1,9 | 63 % | 6 | 2,5 | 84 % |
Tanzanie | 33,6 | 21 | 7 | 8,2 | 25 % | 13 | 18,1 | 54 % |
* Données calculées à partir des chiffres fournis à l’OMS en 2006 par les ministères de la santé/PNLC et arrondies à une décimale (pourcentages arrondis au nombre entier)
** République centrafricaine