RSOC Vol. 09 No. 11 2012 pp 01 - 03. Publié en ligne 01 janvier 2012.

L’importance de recueillir des données

Peter Ackland

Directeur exécutif, International Agency for the Prevention of Blindness (IAPB), London School of Hygiene and Tropical Medicine, Keppel Street, London WC1E 7HT, Royaume-Uni.


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Quel est l’intérêt de consacrer une partie de notre temps à recueillir et à fournir des données, alors que nous sommes déjà si occupés ? L’une des raisons pour lesquelles les programmes de soins oculaires recueillent des données est que ces renseignements nous permettent d’augmenter nos connaissances et d’utiliser ensuite ces connaissances pour améliorer notre travail.

Recueil des données pendant la distribution de masse d'ivermectine. BURUNDI. © Adrian Hopkins
Recueil des données pendant la distribution de masse d’ivermectine. BURUNDI. © Adrian Hopkins

La distribution de masse d’ivermectine pour lutter contre l’onchocercose illustre parfaitement l’importance de recueillir des données (voir l’article en page 13 de ce numéro). J’ai toujours été frappé par le fait que, même dans les villages les plus reculés du continent africain, vous pouvez demander à n’importe quel distributeur communautaire bénévole à qui il a distribué de l’ivermectine et en quelle quantité. Invariablement, le distributeur vous montrera des dossiers impeccablement tenus et pourra expliquer dans le détail le travail qu’il a accompli. Fait tout aussi impressionnant, des réunions communautaires à fort taux de participation sont organisées pour discuter de la performance des distributeurs locaux sur la base des informations recueillies. Les données recueillies, notamment sur la couverture thérapeutique et le nombre de comprimés nécessaires, sont analysées aux niveaux local, national et mondial. Chaque année, quelque 250 000 distributeurs, travaillant dans 30 pays, permettent à 75 millions de personnes d’être traitées à l’ivermectine. L’élimination de l’onchocercose est en passe de devenir une réalité dans beaucoup de régions. Il ne fait aucun doute que la motivation des distributeurs et leur plein engagement à recueillir les données relatives à leur travail sont absolument essentiels au succès des programmes de lutte contre cette maladie.

Améliorer la qualité

Le recueil de données est la première étape d’un processus d’apprentissage et d’amélioration qui, au final, nous permet d’améliorer notre prise de décision, notre système de soins, notre cadre professionnel et la qualité de notre travail personnel.

Il nous incombe à tous de faire notre travail du mieux possible, dans le cadre qui est le nôtre, et de progresser autant que possible dans notre travail. Toutes les personnes, ou presque, que j’ai rencontrées dans les professions médicales ou paramédicales veulent servir les patients du mieux qu’elles peuvent ; c’est l’une des raisons qui les ont poussées à devenir un professionnel de la santé. Nous progressons avec l’expérience, en apprenant au contact de nos collègues et en nous tenant au courant des évolutions récentes dans notre domaine ; l’auto-évaluation et le recueil de données sur notre performance participent également à notre amélioration professionnelle. Dans leur article sur l’audit clinique (en page 8 de ce numéro), David Yorston et Richard Wormald montrent l’importance de suivre et d’analyser les résultats des interventions chirurgicales pendant une période donnée. Le but d’un audit n’est pas de traquer nos collègues et d’identifier des coupables, mais au contraire de tirer ensemble des conclusions sur la façon dont nous effectuons notre travail et sur les solutions à mettre en œuvre pour l’améliorer. Un article récent1, basé sur les résultats de huit études en population réalisées dans des pays africains, rapporte que le pourcentage d’yeux opérés de la cataracte ayant récupéré une vision normale (acuité visuelle ≥3/10) après l’opération est compris entre 23 % et 59 %. Ces mauvais résultats s’expliquent par de nombreuses raisons, que nous ne pouvons évoquer ici, mais ils démontrent certainement la nécessité d’examiner notre travail afin de l’améliorer. Certes, cela prend du temps de recueillir des données puis de les analyser ; mais si nous aidons ne serait-ce qu’un petit nombre de patients à obtenir une meilleure acuité visuelle, ce ne sera pas du temps perdu.

Le recueil et l’analyse des données sont indispensables à l’amélioration de notre travail et tous les membres de l’équipe de soins oculaires, pas seulement les chirurgiens, ont un rôle important à jouer, comme l’illustre ce numéro de la Revue de Santé Oculaire Communautaire. L’article de Sue Stevens et Dianne Pickering (page 4) souligne l’importance des dossiers de soins infirmiers dans la qualité des soins et offre des conseils pratiques pour en améliorer la tenue et le contenu. Ingrid Mason et Jonathan Pons (page 6) fournissent des exemples pratiques sur la bonne gestion des dossiers de patients dans l’unité de soins oculaires ; ceci requiert la coopération et le dévouement du personnel de gestion, des médecins, des infirmiers et du personnel administratif. Enfin, les enseignants parmi vous ne peuvent évaluer et améliorer la formation offerte aux apprenants sans recueillir des données pertinentes, comme le montre le dernier article de notre série sur la pédagogie (page 15).

Recueillir les données essentielles

Au Pakistan, on a formé des agents de santé féminins, appelées Lady Health Workers, qui ont pour tâche de traiter les problèmes oculaires les plus simples et d’orienter vers un spécialiste les patients présentant des affections plus graves. Récemment, un nouveau système de gestion de l’information sanitaire a été mis en place pour permettre aux Lady Health Workers de rapporter le nombre de personnes qu’elles avaient traitées et le nombre de personnes à qui elles avaient conseillé de consulter un spécialiste. Ce système a été couronné de succès : les décisionnaires ont maintenant compris qu’un très grand nombre de personnes souffrent d’affections oculaires dans la communauté. Ce succès a également eu des répercussions très positives sur le moral des Lady Health Workers elles-mêmes : la valeur de leur travail a été reconnue et a eu des répercussions programmatiques concrètes.

Si nous voulons que les données recueillies soient exactes, il faut que tout le monde soit motivé. La collaboration et la participation de nos collègues, pourtant absolument essentielles, sont parfois difficiles à obtenir. Comment expliquer, par exemple, que la plupart des professionnels de la santé aient tant de difficultés à consigner des données avec soin, quand les bénévoles villageois n’ont aucun mal à le faire ? La réponse, à mon avis, est que les données recueillies par les bénévoles se limitent uniquement aux renseignements qu’il est absolument essentiel de recueillir. Il y a quelque temps, alors que nous développions un formulaire pour consigner les résultats des programmes VISION 2020, un de mes collègues a remarqué fort sagement que si la personne recueillant les données ne voyait pas quel intérêt elle avait à le faire, l’exercice ne serait qu’une perte de temps pour tout le monde. Dans les deux cas que j’ai cités, les distributeurs d’ivermectine et les Lady Health Workers, les bénévoles comprennent clairement pourquoi ils ont intérêt à bien tenir leurs dossiers ; ils comprennent le besoin de recueillir ces données et comment ces dernières sont utilisées pour analyser la situation et améliorer les services offerts aux patients. Ces bénévoles reçoivent également des commentaires en retour sur leur propre travail, ce qui leur montre que les données qu’ils ont recueillies ont effectivement été utilisées. La plupart sont fiers de recueillir des données précises ; en effet, nous aimons tous voir la preuve de ce que nous avons fait.

Le recueil de données nous permet de nous améliorer, mais pour augmenter nos chances de succès il ne faut recueillir que les données dont nous avons vraiment besoin. Il n’est pas nécessaire de nous surcharger de renseignements qui ne nous seront d’aucune utilité ; pas plus qu’il ne faut surmener nos collègues en leur demandant de recueillir des données qui ne seront pas utilisées.

Quelques conseils pratiques sur le recueil de données

Les outils de recueil de données les plus simples à utiliser sont les plus efficaces. CÔTE D'IVOIRE. © Ferdinand Ama
Les outils de recueil de données les plus simples à utiliser sont les plus efficaces. CÔTE D’IVOIRE. © Ferdinand Ama
  • Ne mettez pas immédiatement au rebut les systèmes de recueil de données existants, tout imparfaits qu’ils soient ; tentez plutôt de les améliorer ou de vous en inspirer, une fois que vous aurez analysé leurs points forts et leurs faiblesses.
  • Lorsque vous développez des formulaires ou des logiciels de recueil des données, consultez les personnels concernés ; ils devront les comprendre et savoir comment les utiliser.
  • Ne recueillez que les données que vous êtes sûrs d’utiliser ensuite.
  • Assurez-vous que les personnes qui recueillent les données comprennent à quoi elles vont servir. Communiquez à intervalles réguliers les résultats de l’analyse des données recueillies. Ceci contribuera à motiver le personnel.
  • Les outils de recueil de données les plus efficaces sont courts et simples à utiliser.
  • Les données incomplètes ou recueillies de façon incorrecte ne sont pas seulement inutilisables ; elles peuvent vous amener à tirer des conclusions erronées.
  • Le système utilisé par le personnel chaque jour ne peut pas recueillir n’importe quel type de donnée. Il vaut mieux organiser une enquête par échantillonnage ou une étude spécifique pour recueillir les données dont vous n’avez besoin que de temps en temps ou les données concernant certains sous-groupes de la population.

Étayer le plaidoyer

La majorité de nos lecteurs travaillent avec des ressources limitées. Beaucoup d’entre vous n’ont pas accès à tous les médicaments, consommables et équipements dont vous auriez besoin pour mener à bien votre travail. L’administration de votre hôpital se montrera sans doute compatissante, mais elle doit faire face à tant de besoins qu’elle risque fort de vous dire qu’elle ne peut rien pour vous. Si vous tenez des registres complets et à jour sur votre travail, ceux-ci vous permettront de mettre sur pied des arguments pour convaincre votre administration lorsque votre service est en compétition avec d’autres pour l’attribution de ressources limitées. Bien entendu, les données que vous avez recueillies ne pourront à elles seules garantir l’obtention de ressources supplémentaires, mais elles renforceront certainement vos arguments.

VISION 2020 est maintenant à mi-parcours et il nous reste moins de dix ans pour atteindre notre objectif d’éliminer la cécité évitable. Nous avons déjà beaucoup avancé : plus de 100 pays dans le monde ont adopté un plan national de lutte contre la cécité évitable, l’Assemblée mondiale de la Santé a adopté un Plan d’action et beaucoup d’approches programmatiques différentes ont maintenant fait leurs preuves. Notre plus grand défi aujourd’hui consiste à mettre en œuvre tous ces plans et à les appliquer à plus grande échelle, afin que l’ensemble de la population ait accès à des services de soins oculaires de qualité. Il nous faudra plaider pour obtenir les ressources dont nous avons besoin et le recueil de données de qualité sera essentiel pour étayer notre plaidoyer.

Référence

1 Lewallen S et Thulasiraj RD. Eliminating cataract blindness: how do we apply lessons from Asia to sub-Saharan Africa? Global Public Health 2010;5(6): 639–648. À télécharger sur www.vision2020.org

Recherche et VISION 2020

Enquête à Cape Town sur la cécité par rétinopathie diabétique. AFRIQUE DU SUD. © Elmien Wolvaardt Ellison
Enquête à Cape Town sur la cécité par rétinopathie diabétique. AFRIQUE DU SUD. © Elmien Wolvaardt Ellison

Dans certains cas, seul un projet de recherche spécifique permet de répondre à une question donnée. Étant donné la quantité d’articles sur la santé oculaire publiés dans la presse scientifique internationale, l’on pourrait penser qu’il n’est plus nécessaire d’entamer de nouveaux projets de recherche. Malheureusement, ce n’est pas le cas, entre autres pour les raisons qui suivent :

  • Les protocoles thérapeutiques validés par la recherche dans les pays à revenus élevés ne conviennent pas forcément à des prestations de soins oculaires dans un contexte où les ressources sont limitées. Ces protocoles doivent être testés afin de déterminer lesquels d’entre eux demeurent pertinents et utiles dans les pays à faibles ou moyens revenus.
  • La recherche sur les systèmes de santé, si importante pour nos programmes et politiques de soins oculaires, n’est pas actuellement une priorité. Les projets de recherche dans ce domaine sont en manque de financement et ne pourront voir le jour sans plus de soutien.
  • Nous avons toujours besoin de données probantes pour planifier nos soins oculaires, parce que l’épidémiologie des affections oculaires évolue constamment, en raison du vieillissement de la population et de l’évolution des modes de vie.

Une recherche scientifique de qualité ne peut voir le jour en l’absence de personnel dûment qualifié et de financement suffisant. Malheureusement, la recherche et les programmes de soins oculaires sont souvent en compétition pour l’attribution des ressources. Par conséquent, il nous faut justifier pourquoi nous avons besoin de réaliser un projet de recherche donné et en quoi les résultats de cette recherche seront importants et utiles pour atteindre les objectifs de VISION 2020. Si vous êtes dans l’obligation de définir des thèmes de recherche prioritaires et de décider à quels projets locaux, nationaux ou de district vous allez allouer vos maigres ressources, vous pouvez vous poser les questions suivantes :

  • Ce projet de recherche aura-t-il un impact important sur l’élimination de la cécité évitable d’ici 2020 ?
  • Améliorera-t-il notre capacité à planifier et mettre en œuvre des prestations de soins oculaires ?
  • Fournira-t-il des données probantes que nous pourrons utiliser dans nos actions de plaidoyer ?
  • Les résultats de ce projet de recherche auront-ils un impact sur la santé oculaire (et l’accès aux soins) de l’ensemble de la population et pas seulement de quelques privilégiés ?

En septembre 2010, l’Agence Internationale pour la Prévention de la Cécité (International Agency for the Prevention of Blindness ou IAPB) et le Conseil International d’Ophtalmologie (International Council of Ophthalmology ou ICO) ont organisé ensemble un atelier consacré aux thèmes de recherche prioritaires pour VISION 2020. Trente-deux participants, provenant de toutes les régions du monde, se sont mis d’accord pour déterminer les dix thèmes de recherche les plus importants au niveau mondial et les dix thèmes les plus importants pour chaque région de l’OMS. Les participants à cet atelier se sont également penchés sur les mesures à mettre en œuvre pour augmenter la capacité de recherche de chaque région. Vous pouvez télécharger sur le site www.v2020.org le rapport rédigé à la suite de cet atelier (il s’intitule : « VISION 2020 Workshop on Research for Global Blindness: A Report »).