RSOC Vol. 03 No. 02 2006 pp 30 - 31. Publié en ligne 09 août 2006.

Le programme de soins oculaires de la province du Sud-Ouest au Cameroun

Joseph Enyegue Oye

Coordinateur du South West Eye Care Project, Cameroun.

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Figure 1. Les provinces du Cameroun
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Analyse de situation

La province du Sud-Ouest est l’une des deux provinces anglophones du Cameroun. Elle se situe pour l’essentiel en zone de forêt tropicale ou équatoriale. La majorité de sa population, estimée à 1,2 millions, habite en zone rurale. Ses habitants vivent essentiellement de l’agriculture de subsistance ou travaillent sur des domaines agro-industriels.

Ressources humaines en santé oculaire

Avant le lancement, en juillet 2001, du Programme de soins oculaires de la Province du Sud-Ouest, il n’existait pas dans les hôpitaux du gouvernement d’ophtalmologistes à demeure ou d’agents de santé spécialisés en santé oculaire. Le centre de soins oculaires à l’hôpital provincial de Limbe possédait des équipements obsolètes et recevait la visite hebdomadaire d’un opticien à temps partiel – puis, par la suite, d’un ophtalmologiste à temps partiel. Les services de chirurgie oculaire étaient délivrés par des équipes mobiles venant d’hôpitaux de mission de la province voisine du Nord (MBingo Baptist Hospital et Acha Tugi Presbyterian Hospital). Ces équipes envoyaient tous les patients nécessitant un acte chirurgical à leur hôpital de base, situé à plus de 300 km (soit environ sept heures de route). Aucune étude sur la cécité n’avait été menée, que ce soit au niveau national ou provincial. Il n’existait pas non plus de plan national de prévention de la cécité ou de coordinateur.

Figure 2. Les services de soins oculaires dans la province du Sud-Ouest (mai 2005)
Figure 2. Les services de soins oculaires dans la province du Sud-Ouest (mai 2005)

L’étape de planification

En novembre 2000, une réunion fut organisée pour élaborer au niveau de la province un plan de santé oculaire selon les principes édictés par l’initiative VISION 2020. Toutes les parties prenantes étaient représentées : niveaux national et provincial du ministère de la santé publique, Sightsavers International, églises, professionnels et communauté.

Les prévisions de l’OMS, les données démographiques, ainsi que les données du ministère de la santé publique concernant la santé primaire, furent utilisées pour évaluer les besoins et élaborer un plan. L’ensemble de la province fut cartographiée, afi n d’assurer sa couverture géographique complète. Au cours de cette étape, on s’aperçut que l’Église baptiste était sur le point d’établir un centre de soins oculaires à Mutengene, soit à 10 km (15 minutes en voiture) du centre de soins de Limbe.

Un plan quinquennal (2001-2006) fut élaboré dans le cadre de VISION 2020. Il est actuellement mis en œuvre par le gouvernement avec l’aide de Sightsavers International – les deux parties ayant signé un accord (Memorandum of Understanding).

Les composantes du plan

Lutte contre les maladies

La cataracte, les défauts de réfraction et la cécité infantile sont des cibles prioritaires de la lutte contre les maladies, sans oublier l’onchocercose, qui fait l’objet d’un programme de Traitement par Ivermectine sous Directives Communautaires (TIDC). Le trachome n’est pas une maladie endémique dans la région.

Les deux centres de santé oculaire du gouvernement, tout comme le centre de santé oculaire de l’Église baptiste, réalisent des opérations de la cataracte. Lorsqu’il sera complètement opérationnel (fi n 2005), le centre de Kumba pourra également réaliser ces interventions chirurgicales. Le taux de chirurgie de la cataracte (TCC) reste cependant très bas. En 2004, le centre baptiste et celui de Limbe n’ont réalisé que 261 opérations de la cataracte, soit un TCC de 218 cataractes opérées par million d’habitants. Une étude menée dans une zone rurale de la province1 a révélé une couverture chirurgicale de la cataracte (CCC) de 15,5 % (yeux) et 21,7 % (personnes). Elle a également montré que 33,3 % des gens ne se faisaient pas opérer de la cataracte en raison d’un manque de sensibilisation et que 30,8 % ne le faisaient pas en raison du coût. Pour augmenter le TCC, nous prévoyons de former les distributeurs communautaires d’ivermectine à identifi er et à référer les patients, d’intensifi er les campagnes d’IEC (information, éducation et communication) et de réduire le coût du transport pour les patients vivant dans endroits reculés.

Les défauts de réfraction font l’objet d’examens de la réfraction pratiqués à l’hôpital de base et d’actions de proximité ou stratégies avancées. Le dépistage en milieu scolaire est devenu une activité de routine. En 2005, deux ateliers d’optométrie ont été mis en place dans les centres de Mamfe et de Limbe, suivis plus tard d’un troisième à Kumba. Lors de l’élaboration du plan, on disposait de très peu d’information et d’expertise sur les services d’optométrie/d’optique, par conséquent cette composante ne faisait pas à l’origine partie du projet. Un projet complémentaire de services d’optométrie fut ensuite annexé au plan d’origine.

Les distributeurs communautaires de médicaments ont été formés à reconnaître la cécité infantile et à envoyer les enfants atteints vers le centre de santé le plus proche, qui les envoie alors au centre de santé oculaire le plus proche. À l’heure actuelle, il n’existe cependant pas de service d’ophtalmologie pédiatrique au Cameroun. Les enfants devant être opérés sont envoyés dans des hôpitaux tertiaires, auxquels la majorité des familles n’a pas accès.

Recherche

Une étude a été menée en 2004 dans la partie rurale de la province1. Une autre étude similaire est prévue dans la partie urbaine, afi n d’obtenir un tableau complet de la prévalence et des causes de la cécité et de la malvoyance, ainsi que des activités de chirurgie de la cataracte dans la province.

Développement des ressources humaines

Le programme a formé deux ophtalmologistes, pour Mamfe et Kumba respectivement. Le coordinateur de projet travaille comme ophtalmologiste au centre de soins oculaires de Limbe, où exerce également un autre ophtalmologiste affecté par le gouvernement. L’Église baptiste a recruté un ophtalmologiste pour diriger son centre de santé à Mutengene. Au total, la province compte cinq ophtalmologistes, ce qui est un luxe par comparaison avec le reste de l’Afrique.

Un opticien a été recruté à temps plein par la délégation provinciale de la santé pour développer les services de réfraction. Il est assisté dans cette tâche par un réfractionniste, lui-même formé en Afrique du Sud par le programme de Formation des formateurs de l’ICEE (International Centre for Eye Care Education). Afi n de répondre aux besoins en personnel spécialisé en réfraction dans tous les centres de soins oculaires, nous avons lancé en avril 2005, dans le cadre du programme, un stage de formation de réfractionniste d’une durée de deux mois.

Nous avons formé 11 infi rmiers en ophtalmologie ; ils travaillent actuellement dans les centres de soins oculaires du gouvernement. Ils ont dû se former en Afrique de l’Ouest, car il n’existe pas actuellement dans le pays de fi lière de formation des infi rmiers en ophtalmologie. Il nous faut encore former 4 infi rmiers supplémentaires ; ils seront affectés aux districts sanitaires les plus reculés, en compagnie d’un réfractionniste. Cette double affectation des infi rmiers spécialisés en ophtalmologie et des réfractionnistes n’était pas initialement prévue par le plan, mais elle s’est avérée nécessaire pour que le projet puisse avoir un impact sur les populations vivant dans des zones reculées. La fl exibilité budgétaire a permis de débloquer le fi nancement pour ces affectations à partir des fonds déjà alloués au programme. Plus de 150 personnes dans le secteur de la santé (des médecins généralistes, des infi rmiers non spécialisés, un pédiatre, des sages-femmes et des gestionnaires dans le domaine de la santé) ont été formées en santé oculaire par des ophtalmologistes et des infi rmiers spécialisés.

Infrastructure

Dans le système de santé du Cameroun, les provinces sont divisées en districts sanitaires (par ex. Kumba ou Mamfe). Chaque district sanitaire possède son hôpital de district. La province possède un hôpital provincial, où peuvent être envoyés les patients des hôpitaux de district. Dans la province du Sud- Ouest, un second hôpital provincial a récemment été créé à Buea. Les services de santé oculaire secondaires sont : les services de soins oculaires de l’hôpital provincial à Limbe, du centre de santé de l’Église baptiste à Mutengene et des hôpitaux de district à Mamfe et à Kumba (lancement prévu en 2005). Il n’existe pas dans la province du Sud-Ouest de services tertiaires de santé oculaire (décollement de rétine, traitement par photocoagulation de la rétinopathie diabétique, chirurgie pédiatrique, etc.). Le service de l’annexe de l’hôpital provincial située à Buea, ouvert récemment, offrira des soins oculaires secondaires, mais ne pourra réaliser de chirurgie oculaire importante (cataracte etc.), car le seul personnel sur place est un infi rmier spécialisé en ophtalmologie. Tous les centres ou services de soins oculaires sont situés au sein de structures sanitaires non spécialisées. À l’exception du centre de Mutengene, qui appartient à l’Église baptiste, il s’agit en outre de structures du gouvernement.

Durant l’étape de planifi cation, la liste standard d’équipements selon les critères de VISION 2020 n’avait pas été développée. L’Académie de chirurgie d’Afrique de l’Ouest avait proposé une liste de l’équipement minimum nécessaire, qui avait été adaptée aux besoins du programme.

Chacun des centres de soins oculaires (sauf celui de Buea) est équipé d’un jeu complet d’appareils, d’instruments, de consommables et de médicaments qui lui permettent de délivrer des soins secondaires. Ils possèdent chacun une lampe à fente, un microscope opératoire, une salle d’opération désignée à cet effet, au moins trois jeux d’instruments pour chirurgie de la cataracte, ainsi que des instruments pour le diagnostic et la réfraction. Aucun de ces centres ne possède d’analyseur de champ visuel en état de marche (en dehors d’un campimètre de Bjerrum) ou d’équipement de biométrie. D’ici la fi n de l’année, les centres de Limbe, Mamfe et Kumba seront équipés de véhicules pour les activités de proximité. Ces trois centres sont également équipés de matériel pédagogique (illustrations, diapositives, manuels, etc.).

Sightsavers International (SSI) a fourni l’équipement et les stocks initiaux en médicaments et consommables. SSI a également soutenu le développement des infrastructures (rénovation de bâtiments du ministère de la santé pour les transformer en centres de soins oculaires), la formation de tous les types de personnel et le fonctionnement du bureau du programme de soins oculaires. SSI soutient également le suivi et la supervision des réunions de coordination. La contribution du ministère de la santé touche les infrastructures, le salaire du personnel, le mobilier et le coût des services publics. Ce projet s’intègre à tous les niveaux dans le fonctionnement du système de santé du ministère.

Approche communautaire

Il existe dans la province du Sud-Ouest un programme de traitement par l’ivermectine sous directives communautaires, qui a été intégré au programme de soins oculaires au niveau du district sanitaire. En 2003, 434 distributeurs d’ivermectine, ainsi que d’autres membres de la communauté, ont été formés à mesurer l’acuité visuelle. Au cours du premier trimestre de l’année 2005, on a formé 1 800 distributeurs communautaires de médicaments, afi n qu’ils puissent identifi er et référer les cas de cécité au sein de leur communauté. De même, la formation des enseignants a permis d’évaluer l’acuité visuelle de 18 000 écoliers. Ces agents de santé oculaire communautaires permettent de sensibiliser et de mobiliser la population locale. Durant la Journée mondiale de la Vue, des entretiens radiophoniques, des jeux, des tables rondes et des émissions où les spectateurs/auditeurs étaient invités à intervenir par téléphone, ont également permis d’informer et de mobiliser la communauté. Des messages d’éducation sanitaire sont également envoyés dans les églises et les mosquées, afi n qu’ils puissent être communiqués durant les services religieux. Le contenu de ces messages varie d’une année à l’autre. En 2004, par exemple, nous avons mis l’accent sur la cataracte et les maladies oculaires chez les sujets âgés.

Mécanismes de planification et de coordination

Le Comité VISION 2020 est devenu opérationnel en 2004, après que la plupart des éléments du programme ont été mis en place. Ce comité, qui se réunit deux fois par an, est constitué de représentants de toutes les parties concernées par les soins oculaires, la réhabilitation et l’éducation au niveau de la province. Il sert de tribune pour la planifi cation et la coordination de tous les services de santé oculaire au niveau de la province. Un souscomité spécial VISION 2020 est chargé de tous les problèmes d’ordre technique et se réunit quatre fois par an. Le coordinateur de projet est secrétaire exécutif à la fois du comité et du sous-comité spécial.

Défis, contraintes et leçons à tirer

Le défi principal à relever est l’augmentation du nombre d’opérations de la cataracte. Le programme œuvre à établir un lien entre les services de chirurgie de la cataracte au sein des structures sanitaires et les patients au sein de la communauté. L’encadré ci-dessous résume les leçons que nous avons tirées de notre expérience.

Notre expérience de VISION 2020 au niveau du district : points-clefs

Afi n de ne pas dupliquer les projets, il est important que les parties prenantes se réunissent à un stade précoce et cartographient le district. Les comités VISION 2020 offrent l’opportunité de coordonner toutes les activités de santé oculaire.

Dans tous les plans VISION 2020, il faut prévoir dès le départ des services d’optométrie/d’optique, car ces derniers représentent une part importante des besoins de la population en soins oculaires. En outre, les services d’optique peuvent générer des revenus qui pourront servir à fi nancer de manière durable les soins oculaires en général.

Les ressources humaines, les infrastructures et la technologie ne suffi sent pas si l’on veut avoir un impact sur la santé oculaire d’une population. Au moment de la planifi cation, il est tout aussi important de considérer les obstacles qui freinent l’utilisation des services et les stratégies qui permettent de les contourner.

Il est tout à fait possible de former du personnel de santé non spécialisé et des membres de la communauté en santé oculaire. Ceci nécessite peu d’apport supplémentaire et permet d’atteindre plus de personnes en un temps plus limité.

Remerciements

Sightsavers International et son représentant au Cameroun, le docteur Rosa Befi di-Mengue, ont joué un rôle déterminant dans le développement du programme. Le gouvernement, par le biais du ministère de la santé publique, a pris les mesures nécessaires pour mettre en œuvre un plan VISION 2020 au niveau de la province.

Références

1. Enyegue Oye J. Prevalence and causes of blindness and visual impairment in Muyuka, a rural health district of the South West Province, Cameroon. MSc CEH Dissertation, London School of Hygiene and Tropical Medicine, 2004.


Note de la rédaction : cet article a été publié en 2005 dans Community Eye Health Journal ( vol. 18 nº54).