RSOC Vol. 05 No. 06 2008 pp 37 - 39. Publié en ligne 01 août 2008.

La cécité infantile : panorama mondial

Parikshit Gogate

Directeur, ORBIS-supported Department of Paediatric Ophthalmology, HV Desai Eye Hospital, 93/2 Taravde Vasti, Mohamadwadi, Hadapsar, Pune 411 028, Inde.


Clare Gilbert

Professeur, International Centre for Eye Health ; Conseillère médicale principale, Sightsavers International, Royaume-Uni ; London School of Hygiene and Tropical Medicine, Keppel Street, London WC1E 7HT, Royaume-Uni.

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Bien des causes de cécité infantile sont en fait évitables, c’est-à-dire qu’elles peuvent être prévenues ou traitées1. Les enfants ne représentent que 3 % des aveugles dans le monde. Toutefois, ces enfants ont toute une vie de cécité devant eux ; pour cette raison, si l’on considère le nombre prévisible d’ « années vécues en étant aveugle » qui résultent d’une affection, la cécité infantile est classée en deuxième position, juste derrière la cataracte2. La lutte contre la cécité chez l’enfant est une priorité de VISION 20203,4 ; toutefois, les causes de la cécité infantile étant différentes de celles de la cécité chez l’adulte, cette lutte requiert des stratégies, du personnel, une infrastructure et des équipements différents. L’urgence est également plus grande lorsqu’on prend en charge des enfants, car un retard de prise en charge peut entraîner une amblyopie.

Classement des causes de la cécité infantile

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) utilise deux méthodes pour classer la cécité et la basse vision chez l’enfant5. La première méthode est une classification descriptive qui fait référence à la localisation anatomique la plus gravement affectée. Les catégories utilisées sont les suivantes :

  • globe oculaire entier (par exemple anophtalmie, microphtalmie)
  • cornée (par exemple taies cornéennes, kératocône)
  • cristallin (par exemple cataracte, aphaquie)
  • uvée (par exemple aniridie)
  • rétine (par exemple dystrophies rétiniennes)
  • nerf optique (par exemple atrophie)
  • glaucome
  • affections où l’ œil apparaît normal (par exemple amétropies, cécité corticale, amblyopie).

Les informations nécessaires pour utiliser cette classification descriptive peuvent être recueillies durant l’examen ophtalmologique et clinique de l’enfant.

La deuxième méthode de classement est une classification étiologique, qui classe la cécité en fonction de la cause sous-jacente.

Les catégories utilisées sont basées sur le moment où se développe la cécité :

  • héréditaire (au moment de la conception, par exemple maladies génétiques, anomalies chromosomiques)
  • intra-utérine (durant la grossesse, par exemple cécité due à la rubéole ou à la thalidomide)
  • périnatale (par exemple rétinopathie des prématurés, accidents à la naissance, conjonctivite néonatale / ophtalmie des nouveau-nés)
  • enfance (par exemple carence en vitamine A, rougeole, traumatisme)
  • cause inconnue ou indéterminée (par exemple anomalies congénitales).

Les informations sur les causes sousjacentes de la cécité infantile sont souvent plus difficiles à recueillir, mais elles s’avèrent plus utiles au stade de la planification.

Tableau 1. Variations régionales dans la cécité infantile : classification descriptive par région de la Banque mondiale
Tableau 1. Variations régionales dans la cécité infantile : classification descriptive par région de la Banque mondiale
Tableau 2. Variations régionales dans la cécité infantile : classification étiologique par région de la Banque mondiale
Tableau 2. Variations régionales dans la cécité infantile : classification étiologique par région de la Banque mondiale

Variations régionales

La plupart des données portant sur les pays à revenus faibles ou intermédiaires proviennent de l’examen d’enfants dans des écoles spécialisées pour les aveugles. Dans les pays industrialisés, par contre, les données sur la cécité infantile proviennent de sources multiples. Les données dont nous disposons à présent portent sur presque 15 500 enfants et proviennent de 38 pays différents (Tableaux 1 & 2).

La plupart de ces données ont été recueillies en utilisant la meilleure acuité visuelle après correction, suivant les recommandations de l’OMS. Ceci signifie que la cécité due aux amétropies non corrigées n’a pas été incluse dans ces données. L’OMS a toutefois récemment modifié sa définition de la cécité : elle utilise maintenant « acuité visuelle avec la correction portée » plutôt que « meilleure acuité visuelle après correction ». Par conséquent, les amétropies non corrigées peuvent maintenant être prises en compte comme cause de cécité et nous pouvons espérer que les données correspondantes seront rapportées à l’avenir6.

Les données dont nous disposons suggèrent que les causes de la cécité infantile varient considérablement d’une région à l’autre (Tableau 2). Les taies cornéennes survenues durant l’enfance (rougeole, carences en vitamine A, utilisation de remèdes traditionnels) et la conjonctivite néonatale / ophtalmie des nouveau-nés sont des causes plus importantes dans les pays en développement les plus pauvres. Dans les pays disposant d’un plateau technique plus élaboré, les lésions du système nerveux central (souvent associées à la prématurité) prédominent, alors que les maladies héréditaires sont des causes plus importantes dans les pays industrialisés et au Moyen-Orient. Les facteurs périnatals, comme la rétinopathie des prématurés, sont importants dans les régions à revenus intermédiaires, comme l’Amérique latine et les anciens pays socialistes d’Europe de l’Est. Dans toutes les régions, les causes sous-jacentes n’ont pu être déterminées dans un grand nombre de cas.

La rétine est la localisation anatomique la plus touchée (353 000 enfants), suivie par les taies cornéennes (265 000) et les lésions du globe entier (258 900). Les facteurs héréditaires (381 300) sont les causes sousjacentes les plus répandues, suivis par les causes (acquises donc) survenant durant l’enfance (241 200).

Évolution des causes de la cécité

Le développement économique, ainsi que des interventions spécifiques, sont en train de changer les caractéristiques de la cécité infantile partout dans le monde, y compris en Inde77. Par exemple, en raison de programmes plus étendus de vaccination contre la rougeole et d’une lutte accrue contre les carences en vitamine A, la cécité cornéenne décroît dans beaucoup de pays à faibles revenus, la cataracte congénitale devenant relativement plus importante. Dans les pays à revenus intermédiaires, les services de réanimation du nouveau-né sont plus nombreux et mieux équipés ; la rétinopathie des prématurés peut dorénavant être considérée comme une cause majeure de cécité potentiellement évitable chez l’enfant dans beaucoup de pays d’Amérique latine et d’Europe de l’Est et dans les villes d’Asie8.

Tableau 3. Ampleur et causes de la cécité chez l’enfant dans différentes régions : estimations pour une population totale de 10 millions de personnes
Tableau 3. Ampleur et causes de la cécité chez l’enfant dans différentes régions : estimations pour une population totale de 10 millions de personnes

Planifier pour lutter contre la cécité chez l’enfant

VISION 2020 recommande de planifier pour lutter contre la cécité infantile en prenant pour « unité de compte » une population de dix millions de personnes4. Le Tableau 3 montre comment l’importance et les causes de la cécité varient en fonction du niveau de développement économique. Des régions différentes auront donc des priorités différentes en matière de lutte contre la cécité infantile. Au niveau primaire de délivrance des soins, on pourra réduire les causes de cécité évitables ; par contre, pour s’attaquer aux causes traitables, il faudra développer des unités d’ophtalmologie pédiatrique spécialisées, des systèmes d’identification précoce, d’orientation-recours et de suivi, et sensibiliser la population. Il nous faut faire appel à des approches holistiques, complètes et multisectorielles et il ne faut pas oublier la prise en charge des enfants présentant une basse vision.

Dans l’idéal, il nous faudrait obtenir des données sur les causes de la cécité en examinant les enfants dans la communauté et non dans des écoles spécialisées pour les malvoyants. Il a été démontré, notamment, que la méthode des informateurs-clés peut être extrêmement efficace9.

Plaidoyer pour lutter contre la cécité chez l’enfant

Clare Gilbert

Voici quelques messages importants que vous pouvez transmettre :

  1. Il y a 1,4 million d’enfants aveugles dans le monde et plusieurs millions sont atteints de déficience visuelle. À l’heure actuelle, dans le monde, un enfant perd la vue toutes les minutes ; les enfants âgés de moins de cinq ans sont ceux qui sont le plus à risque.
  2. Il y a environ dix fois plus d’enfants aveugles par million de personnes dans les communautés très pauvres que dans les sociétés riches. Environ trois-quarts des enfants aveugles vivent dans des pays à faibles revenus.
  3. Presque la moitié des enfants aveugles dans le monde souffrent de cécité évitable.
  4. Beaucoup de causes de cécité chez l’enfant sont aussi des causes de mortalité infantile (par exemple rougeole, carence en vitamine A, méningite et rubéole congénitale).
  5. Lutter contre les principales causes de la cécité chez l’enfant aura un effet positif sur la survie infantile. Par exemple, on a montré que la supplémentation en vitamine A réduit la mortalité infantile de 23 % au sein des populations carencées en vitamine A.
  6. Les enfants aveugles présentent une plus grande probabilité de décéder prématurément que les « enfants voyants ». Jusqu’à 60 % des enfants aveugles meurent moins d’un an après la survenue de la cécité.
  7. Les enfants qui survivent peuvent s’attendre à vivre 40 ans en moyenne en étant aveugles. Plus de 90 % des enfants aveugles ne reçoivent aucune instruction et la grande majorité d’entre eux ne pourront pas pleinement réaliser leur potentiel. Ainsi, la cécité chez l’enfant est responsable de presque un tiers du coût économique de la cécité, bien qu’elle représente moins de 4 % de l’ensemble des cas de cécité.
  8. Les causes de la cécité chez l’enfant sont nombreuses et leur importance relative varie d’un endroit à l’autre. Il ne faut pas employer une stratégie unique pour toutes les communautés, mais adapter la stratégie au contexte.
  9. Les interventions nécessaires pour lutter contre la cécité chez l’enfant vont de la prévention au niveau communautaire (vaccination contre la rougeole, éducation nutritionnelle, supplémentation en vitamine A) aux centres tertiaires spécialisés en ophtalmologie pédiatrique, où des équipes formées peuvent prendre en charge la cataracte, le glaucome et les amétropies complexes.
  10. Les services de réhabilitation et de basse vision sont toujours très utiles pour les enfants malvoyants ou aveugles. Ces derniers ont droit à l’éducation tout autant que les enfants voyants.

Références

1 Gilbert C, Rahi J, Quinn G. Visual impairment and blindness in children. Dans : Johnson, Minassian, Weale, West, éd. Epidemiology of Eye Disease. 2e éd. London : Arnold Publishers, 2003.

2 Rahi JS, Gilbert CE, Foster A et al. Measuring the burden of childhood blindness. Br J Ophthalmol 1999;83: 387-8.

3 Organisation mondiale de la Santé. Global initiative for the elimination of avoidable blindness. WHO/PBL/ 97.61. Genève : OMS, 1997.

4 Organisation mondiale de la Santé. Preventing blindness in children. WHO/PBL/00.77. Genève : OMS, 1997.

5 Gilbert CE, Foster A, Negrel AD et al. Childhood blindness: a new form of recording causes of vision loss in children. Bull World Health Org 1993;71: 485-489.

6 Negrel AD, Maul E, Pokharel GP, Zhao J, Ellwein LB. Refractive error study in children: sampling and measurement methods for a multi-country survey. Am J Ophthalmol 2000;129: 421-6.

7 Gogate PM, Deshpande M, Sudrik S, Kishore H, Taras S, Gilbert CE. Changing pattern of childhood blindness in Maharashtra, India. Br J Ophthalmol 2007;91: 8 -12.

8 Gilbert CE. Retinopathy of prematurity: a global perspective of the epidemics, population of babies at risk and implications for control. Dans : Early Human Development. Sous presse.

9 Muhit MA, Shah SP, Gilbert CE, Hartley SD, Foster A. The key informant method: a novel means of ascertaining blind children in Bangladesh. Br J Ophthalmol 2007;91: 1000-1004.