RSOC Vol. 21 No. 31 2024 pp 5-7. Publié en ligne 12 juillet 2024.

Impact sur l’oeil des médicaments administrés par voie orale ou systémique

Shalinder Sabherwal

Directeur, Public Health and Projects, Dr Shroff’s Charity Eye Hospital Network, New Delhi, Inde ; chercheur attaché, Londres, Royaume-Uni.


Abeer H A Mohamed-Ahmed

Chercheuse associée en pharmacologie et gestion d’essais cliniques, London School of Hygiene & Tropical Medicine, Royaume-Uni.


Une patiente âgée portant des montures d’essai est assise durant un test de vision. Deux agentes de santé se penchent vers elle, et l’une d’elles pointe du doigt ce que regarde la patiente.
Figure 1 Neuropathie optique toxique bilatérale avec oedème papillaire chez une patiente de 32 ans ayant des antécédents de traitement à l’éthambutol et sous tacrolimus après une greffe de rein. © Shailja Tibrewal, SCEH CC BY-NC-SA 4.0
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Lorsque l’on sait quels médicaments administrés par voie orale ou systémique peuvent affecter la santé oculaire, et que l’on connaît leurs effets indésirables, on peut identifier et prendre en charge correctement les patients affectés.

Un grand nombre de médicaments administrés par voie orale ou systémique peuvent avoir des effets nocifs sur l’oeil1. Certains de ces effets indésirables sont liés à la dose administrée, d’autres non.

Les patients peuvent ne pas connaître le lien entre le médicament qu’ils prennent et leur affection oculaire et ne penserons donc pas forcément à le mentionner si vous ne leur demandez pas s’ils sont sous traitement. Ils peuvent aussi avoir du mal à se souvenir du nom de leur affection ou du médicament.

Par conséquent, il est utile de se familiariser avec les différents effets indésirables des médicaments administrés par voie orale ou systémique, afin de mieux identifier et prendre en charge l’affection oculaire dont souffre le patient. En plus de notifier ces effets indésirables aux instances de pharmacovigilance habituelles, il est également souhaitable de contacter le médecin ayant prescrit le médicament en question, afin de pouvoir envisager d’autres options médicamenteuses.

Signalement des effets indésirables des médicaments

Il existe des centres nationaux de pharmacovigilance dans 153 pays dans le monde. La notification des effets indésirables des médicaments est essentiellement volontaire et elle est faite par des professionnels de la santé. À l’échelle mondiale, le Programme de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour la pharmacovigilance internationale compile les rapports des centres nationaux pour permettre d’identifier le plus tôt possible les problèmes de sécurité potentiels. Pour en savoir plus, y compris comment mettre en place un centre de pharmacovigilance dans votre pays, consulter (site en anglais) : https://bit.ly/3yNkZAg

Les effets indésirables potentiels des médicaments doivent être connus non seulement par les professionnels de l’ophtalmologie, mais également par les médecins qui les prescrivent. Ceci permettra en effet à ces médecins de prévenir leurs patients de signaler tout symptôme précoce et, le cas échéant, de subir régulièrement des examens ophtalmologiques. Le Tableau 1 en page 7 présente une liste de médicaments pouvant être toxiques pour l’oeil.

N’oubliez pas :

  • Si vous ne posez pas la question, il est peu probable que les patients mentionnent qu’ils prennent d’autres médicaments.
  • Certains patients ne se souviennent pas du nom des médicaments qu’ils prennent ou de leur posologie, donc il vous faudra peut-être consulter leur dossier médical, si c’est possible.

Certains effets indésirables peuvent affecter la vision et peuvent potentiellement menacer le pronostic visuel ; d’autres peuvent ne pas causer de perte visuelle mais entraîner par contre une vision trouble ou une gêne oculaire.

Image en gros plan montrant les yeux d’une personne dont la peau est hypopigmentée et rose à certains endroits, notamment le nez.
Figure 2 Phase aiguë du syndrome de Stevens-Johnson chez un enfant de douze ans. INDE © Abha Gaur, SCEH CC BY-NC-SA 4.0
Image en gros plan montrant un œil.
Figure 3 Homme âgé de 27 ans présentant des séquelles de syndrome de Stevens-Johnson. INDE © Abha Gaur, SCEH CC BY-NC-SA 4.0

Effets indésirables menaçant le pronostic visuel

Pression intraoculaire élevée

Certains patients peuvent présenter une pression intraoculaire (PIO) élevée causée par la prise des médicaments suivants :

  • Les corticoïdes (par ex. prednisolone ou dexaméthasone)2 sont utilisés pour le traitement à long terme de certaines maladies articulaires, affections cutanées, maladies auto-immunes ou encore après une greffe. Leur voie d’administration peut varier : elle peut être topique, orale, intraveineuse, nasale, ou intraarticulaire. Ils peuvent avoir pour effet d’augmenter la PIO et entraîner un glaucome secondaire.
  • Les antihistaminiques, les bêtabloquants, les antidépresseurs, les antipsychotiques et certains diurétiques peuvent causer un glaucome par fermeture de l’angle chez les patients prédisposés ayant une chambre antérieure peu profonde. Ces médicaments ont un effet anticholinergique et sont utilisés pour traiter des affections comme l’incontinence urinaire, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), les allergies, ou certains troubles de la santé mentale. Ce groupe de médicaments entraîne généralement une dilatation pupillaire qui aboutit à terme à une fermeture de l’angle. Certains médicaments à base de sulfamides entraînent également une réaction similaire3.
  • Le topiramate, utilisé dans le traitement de l’épilepsie, peut entraîner un épanchement de l’uvée avec très forte augmentation de la PIO. Les symptômes sont notamment une vision trouble, des difficultés visuelles et une douleur oculaire, et ils se produisent généralement dans le premier mois suivant la prise du médicament.

Il faut vérifier la PIO et la profondeur de la chambre antérieure chez les patients qui prennent ces médicaments. Certains patients réagissent fortement et peuvent présenter une élévation importante de la PIO. Si l’on ne peut pas diminuer ou remplacer les corticoïdes, il faut contrôler la PIO avec des médicaments.

Cataracte

  • Corticoïdes. L’utilisation à long terme de corticoïdes peut entraîner une cataracte sous-capsulaire postérieure. Ce type de cataracte entraîne des problèmes visuels à un stade précoce et peut nécessiter une intervention chirurgicale plus rapidement.
  • D’autres médicaments, plus rarement utilisés, entraînent également une cataracte, notamment les phénothiazines, prescrites pour traiter certains troubles du comportement, et le busulfan, un antinéoplasique3.

Neuropathie optique toxique

Les patients atteints de neuropathie optique toxique peuvent présenter une perte de vision bilatérale et indolore (Figure 1 en page 5). On a répertorié plusieurs médicaments pouvant entraîner une neuropathie optique4 :

  • Éthambutol et isoniazide : couramment prescrits dans le traitement de la tuberculose dans les pays d’endémie ; le risque de neuropathie optique toxique est plus élevé chez les patients présentant une affection rénale.
  • Ciprofloxacine et chloramphénicol : deux antibiotiques.
  • Antimétabolites : utilisés dans le traitement des tumeurs.
  • Amiodarone : prescrit dans le traitement de l’arythmie.
  • Amoebicides.

Les patients à qui l’ont a prescrit les médicaments ci-dessus doivent subir un examen ophtalmologique pour vérifier leur acuité visuelle, leur vision des couleurs et leur vision centrale. La majorité des effets observés peuvent être réversibles, à condition d’arrêter le traitement à temps ; un suivi ophtalmologique en temps opportun est donc particulièrement important.

Hémorragies rétiniennes et hémorragies intraoculaires

Une hémorragie au niveau du tissu rétinien peut entraîner une perte de vision et peut être causée par les médicaments ci-dessous :

  • Anticoagulants5 5, utilisés dans la prévention des cardiopathies et accidents vasculaires cérébraux
  • Antinéoplasiques, utilisés dans le traitement des tumeurs.

Il faut donc effectuer des analyses de sang pour vérifier ; dans certains cas, notamment s’il s’est déjà produit une hémorragie mineure, il faudra arrêter le traitement. Ces médicaments peuvent également entraîner un saignement peropératoire durant la chirurgie oculaire et il faudra peut-être interrompre le traitement avant certaines interventions. Il est donc vital que le chirurgien oculaire sache si son patient prend ou non ces médicaments.

Toxicité rétinienne

Certains médicaments peuvent endommager une des couches de la rétine (détérioration ou perte de l’épithélium pigmentaire). Malheureusement, lorsque les patients consultent, certains présentent déjà une perte de vision centrale. La toxicité rétinienne est irréversible, donc il est impératif de la détecter le plus tôt possible par un dépistage régulier et d’arrêter rapidement les médicaments responsables.

  • Chloroquine et hydroxychloroquine6 : ces médicaments sont des antipaludéens. Ils sont plus susceptibles d’être toxiques pour la rétine s’ils sont utilisés pendant une plus longue durée, soit pour traiter des maladies inflammatoires des articulations, soit – plus récemment – dans l’espoir de prévenir la COVID-19.
  • Thioridazine et chlorpromazine : ce sont des phénothiazines utilisées pour traiter l’anxiété, la dépression et d’autres troubles du comportement.

Vérifiez le champ visuel du patient par périmétrie manuelle ou automatisée, ou encore par OCT Spectral Domain (SD), si vous y avez accès. Un électrorétinogramme multifocal, si disponible, peut permettre une corroboration objective.

Autres réactions indésirables aux médicaments menaçant potentiellement le pronostic visuel

  • Choriorétinopathie séreuse centrale (CRSC). Les corticoïdes peuvent entraîner une CRSC chez certains patients.
  • Hypertension intracrânienne. La tétracycline, utilisée à long terme pour le traitement de certaines affections comme la rosacée, peut entraîner une hypertension intracrânienne ou pseudotumeur cérébrale qui, en l’absence de traitement, peut causer une atrophie optique.
  • Syndrome de Stevens Johnson. Il s’agit là d’un effet indésirable relativement rare, touchant la peau et les muqueuses. On observe une phase aiguë associée à une conjonctive grave avec pseudomembranes (Figure 2) et une phase chronique associée à une sécheresse oculaire extrême et des cicatrices (Figure 3). Cette réaction peut être causée par des médicaments courants comme les analgésiques ou les médicaments contre le rhume ou l’état grippal. Plus de cent médicaments ont été associés à ce syndrome7. Durant la phase aiguë, la prise en charge inclut des analgésiques pour la douleur, des médicaments anti-inflammatoires topiques et systémiques, et des antibiotiques pour lutter contre l’infection.

Effets indésirables ne menaçant pas le pronostic visuel

Ces effets secondaires peuvent être gênants, mais ils ne menacent pas directement le pronostic visuel.

Kératopathie en vortex ou cornea verticillata

Elle se présente sous forme de motifs en verticille sur la cornée et n’a généralement pas d’effet significatif sur la vision. Elle est principalement causée par l’amiodarone, un médicament antiarythmique. D’autres médicaments peuvent entraîner cette kératopathie, à savoir la chloroquine, l’hydroxychloroquine, l’indométacine et le tamoxifène6. Il faut envisager de diminuer la dose uniquement si l’affection cornéenne entraîne une gêne oculaire très importante ou une vision trouble.

Syndrome de l’iris flasque

C’est là une autre affection liée spécifiquement à l’usage d’un médicament, dans laquelle on observe un effet sur les muscles sphincter de l’iris, entraînant une mauvaise dilatation et un iris flasque durant l’opération de la cataracte. Ce syndrome est en général causé par des alpha-1 bloquants comme la tamsulosine (utilisée dans le traitement de l’hypertrophie de la prostate)8. Ces problèmes techniques peropératoires durant la chirurgie de la cataracte peuvent être évités en prenant les précautions nécessaires ; il est donc important que le chirurgien sache que le patient prend ces médicaments. On recommande parfois d’arrêter le traitement à la tamsulosine pendant deux semaines avant l’opération, mais le plus important est que le chirurgien soit informé du fait que le patient est sous ce type de traitement.

Sécheresse oculaire

On a établi un lien entre la sécheresse oculaire et un groupe varié de médicaments administrés par voie orale. Ces médicaments incluent des antihypertenseurs comme l’aténolol et l’acébutolol, des antihistaminiques comme la cétirizine, des antiviraux comme l’aciclovir, des analgésiques (par ex. ibuprofène), certains antidépresseurs, certains antipsychotiques et certains antiarythmiques (voir Tableau 1)3. D’autres affections, telles un épiphora, une blépharite ou une conjonctivite, peuvent être des effets secondaires de médicaments anticancéreux administrés par voie générale9.

Tableau 1 Médicaments pouvant entraîner une toxicité oculaire1

Médicament par voie orale Utilisation Effets indésirables oculaires potentiels
Topiramate Traitement de l’épilepsie Glaucome secondaire par fermeture de l’angle, déficits du champ visuel, crise oculogyre, uvéite
Gabapentine Traitement de l’épilepsie Nystagmus, diplopie et déficits du champ visuel
Vigabatrine Traitement de l’épilepsie Constriction du champ visuel, atrophie du nerf optique
Bisphosphonates (par ex. acide alendronique, acide risédronique, acide zolédronique) Traitement et prévention de l’ostéoporose Inflammation oculaire entraînant conjonctivite, épisclérite, sclérite, kératite ou uvéite, ou fonte cornéo-sclérale
Médicaments à base de chloroquine (chloroquine, hydroxychloroquine) Traitement du paludisme Maculopathie, rétinopathie périphérique
Corticoïdes (par ex. prednisolone, dexaméthasone) Anti-inflammatoires L’augmentation de pression intraoculaire due aux corticoïdes peut entraîner un glaucome, une accélération de l’évolution de la cataracte, et des cataractes sous-capsulaires
Éthambutol Traitement de la tuberculose Neuropathie optique caractérisée par une perte de vision centrale bilatérale, une diminution de la vision des couleurs, des déficits du champ visuel central, et à terme une atrophie optique
Fingolimod Traitement de la sclérose en plaques OEdème maculaire, vision trouble, distorsion, baisse de la vision de près
Isotrétinoïne et vitamine A Traitement de l’acné et de la carence en vitamine A, respectivement Blépharoconjonctivite, chalazion, opacités cornéennes, sécheresse oculaire, rétinopathie
Inhibiteurs des MAP kinases, par ex. le crizotinib Traitement du cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC) à un stade avancé Baisse de l’acuité visuelle, déficits du champ visuel, symptômes de sécheresse oculaire, anomalies palpébrales, occlusion veineuse rétinienne et rétinopathie
Polysulfate de pentosan sodique Traitement de la douleur pelvienne et de l’inconfort en cas de cystite interstitielle Maculopathie, lésions de l’épithélium pigmentaire rétinien
Phénothiazines Traitement de la schizophrénie et autres psychoses Pigmentation anormale des paupières, de la conjonctive et de la cornée. Modifications de l’épithélium cornéen (hautes doses). OEdème cornéen (rare)
Inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5, par ex. sildénafil, tadalafil Traitement des troubles de l’érection Vision trouble persistante, neuropathie optique ischémique non artéritique, occlusion de l’artère cilio-rétinienne, ou choriorétinopathie séreuse centrale
Tamoxifène Traitement du cancer du sein Dépôts cristallins intra-rétiniens, oedème maculaire et modifications ponctuées de la pigmentation rétinienne
Tétracyclines, par exemple doxycycline, tétracycline Antibiotiques Nausées, vomissements et céphalées du matin peuvent être les symptômes d’une hypertension intracrânienne idiopathique pouvant entraîner une perte de vision irréversible
Thiazolidinédiones, par exemple glitazones, pioglitazone, rosiglitazone Prise en charge du diabète de type 2 OEdème maculaire

Références

1 Ahmad R, Mehta H. The ocular adverse effects of oral drugs. Australian Prescriber. 2021;44(4):129-36.

2 Tripathi RC, Parapuram SK, Tripathi BJ, Zhong Y, Chalam KV. Corticosteroids and glaucoma risk. Drugs Aging. 1999;15(6):439-50.

3 Li J, Tripathi RC, Tripathi BJ. Drug-induced ocular disorders. Drug Saf. 2008;31(2):127-41.

4 Grzybowski A, Zülsdorff M, Wilhelm H, Tonagel F. Toxic optic neuropathies: an updated review. Acta Ophthalmol. 2015;93(5):402-410.

5 Shieh W-S, Sridhar J, Hong BK, Maguire JI, Rahimy E, Shahlaee A, et al. Ophthalmic complications associated with direct oral anticoagulant medications. Semin Ophthalmol. 2017;32(5):614-9.

6 Tehrani R, Ostrowski RA, Hariman R, Jay WM. Ocular toxicity of hydroxychloroquine. Semin Ophthalmol [Internet]. 2008;23(3):201-9.

7 Gomes JÁP, Milhomens Filho JAP. Iatrogenic corneal diseases or conditions. Exp Eye Res. 2021;203:108376.

8 Chang DF, Osher RH, Wang L, Koch DD. Prospective multicenter evaluation of cataract surgery in patients taking tamsulosin (Flomax). Ophthalmology. 2007;114:957–64.

9 Omoti AE, Omoti CE. Ocular toxicity of systemic anticancer chemotherapy. Pharm Pract (Granada). 2006;4(2):55-9.