RSOC Vol. 04 No. 03 2007 pp 01 - 03. Publié en ligne 01 janvier 2007.

Glaucome : concentrons-nous sur le pôle postérieur ! Nos patients y gagneront…

André-Dominique Négrel

Directeur exécutif/Vice-Président Organisation pour la Prévention de la Cécité, 17 Villa d’Alésia, 75014 Paris, France. [email protected]


Rupert RA Bourne

Consultant Ophthalmic Surgeon specialising in glaucoma, Glaucoma Service, Department of Ophthalmology, Hinchingbrooke Hospital, Hinchingbrooke Park, Huntingdon, Cambs PE29 6NT, UK.

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Neuropathie optique glaucomateuse : hémorragie en flammèche. R Bourne
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Le terme glaucome regroupe sous une même appellation des situations pathologiques très différentes, qui présentent en fait des tableaux cliniques très variés. Le vocable « glaucome » ne correspond pas à une « maladie » à proprement parler mais représente l’aboutissement de différents états pathologiques sous-tendus par des facteurs de risque, dont la pression intraoculaire est le plus connu et celui sur lequel le médecin peut agir. Le terme glaucome utilisé seul s’avère peu parlant, car bien imprécis : il est donc ambigu. La signification pathologique devient évidente seulement grâce aux qualificatifs qui suivent le mot glaucome : « à angle ouvert », « par fermeture de l’angle », « congénital », « secondaire », etc. Dans le présent éditorial, nous concentrerons notre réflexion sur le glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) dans le cadre de la pathologie oculaire qui affecte les pays d’Afrique subsaharienne.

Nombreux sont encore les personnels de santé qui utilisent le raccourci simpliste : « glaucome = hypertonie oculaire » et qui inconsciemment rattachent ce type sécrétée l’humeur aqueuse, où se situe une possible fermeture de l’angle irido-cornéen. C’est également à ce niveau que la chirurgie tente de contrôler le niveau de pression intraoculaire…

Coupe sagittale de l’œil et papille optique. OPC
Coupe sagittale de l’œil et papille optique. OPC

Quoi qu’il en soit, le « glaucome » (les différents types de glaucome) représente la seconde cause de cécité dans le monde. Selon une estimation récente, il y aura 60,5 millions de personnes atteintes du GPAO ou de glaucome par fermeture de l’angle (GFA) en 2010. Le GPAO représente (ou devrait en toute logique représenter) de part le monde une préoccupation de santé publique. Le GPAO survient le plus souvent après 40 ans. Par ailleurs, sa fréquence augmente considérablement avec l’âge. La fréquence des différents types de glaucome est variable en fonction des ethnies : les populations mélanodermes présentent une plus grande fréquence de GPAO, les populations asiatiques une plus grande fréquence de GFA. Il s’agit donc, pour les ophtalmologistes et les personnels de santé oculaire, d’un adversaire à ne pas reléguer au second rang de leurs préoccupations et à combattre efficacement sans tarder !

Le GPAO est une neuropathie optique chronique, progressive, d’origine multifactorielle. Elle se caractérise par une dégénérescence acquise des fibres optiques. Une telle perte se développe alors que l’angle iridocornéen est large, avec des anormalités caractéristiques du champ visuel et une pression intraoculaire généralement élevée. Cette neuropathie se manifeste par une excavation et une atrophie de la tête du nerf optique. Sans vouloir nous étendre sur la physiopathologie, certes utile pour une meilleure compréhension mais qui nous éloignerait de notre propos, nous rappellerons brièvement qu’en cas de « glaucome » cellules nerveuses et cellules gliales périssent en raison du phénomène de l’aptoptose ou « mort cellulaire programmée ». Ce mécanisme est déclenché par une perturbation du flux d’information axonale et sous l’effet de troubles de la perfusion. Ces troubles peuvent être expliqués par des élévations de la pression intraoculaire ou des chutes de tension artérielle, lorsqu’une perfusion oculaire adéquate ne peut être assurée.

Ainsi, par « atteinte glaucomateuse » il faut entendre non pas élévation « anormale » de la pression intraoculaire, mais perte de cellules rétiniennes nerveuses et de leurs fibres. Plus encore, lors d’une atrophie optique glaucomateuse, ce ne sont pas seulement les fibres nerveuses mais aussi le tissu de soutien et les vaisseaux sanguins du voisinage de la tête du nerf optique qui dégénèrent et entraînent une excavation papillaire. Il en résulte alors des dégradations du champ visuel dont le patient ne prend guère conscience pendant les premières années de sa maladie.

Ainsi, pour le dépistage et/ou le diagnostic précoce du glaucome, puisqu’il s’agit d’une neuropathie optique, il convient de recueillir le maximum d’informations pertinentes concernant la papille optique et les couches des fibres visuelles. En conséquence, cette évidence fait du glaucome une authentique affection du pôle postérieur de l’œil . L’évaluation séméiologique précise de la papille représente donc l’étape la plus importante du diagnostic. Elle paraît simple, mais elle demande en fait une expérience certaine de l’observateur. C’est pourquoi, différents articles de ce numéro de la Revue de santé oculaire communautaire consacré au glaucome font ressortir que, dans le GPAO, la plus grande partie de l’attention des cliniciens doit se concentrer sur l’examen du segment postérieur et plus particulièrement sur l’observation scrupuleuse de la papille optique et l’analyse des déficits du champ visuel.

L’ophtalmoscope… . Cet instrument est bien connu des différentes catégories de personnels de santé oculaire : on pourrait même faire de lui le symbole de l’ophtalmologie. Pourtant, parmi les praticiens d’Afrique francophone à qui est destiné ce numéro spécial de la Revue de santé oculaire communautaire, c’est essentiellement (pour ne pas dire uniquement) sa configuration à « image droite » qui est la plus souvent utilisée, alors que l’ophtalmoscopie à « image inversée » est en règle générale délaissée (par faute d’équipement et/ou manque de formation). Cette restriction prive les examinateurs (entre autres avantages) de tous les bénéfices de la vision stéréoscopique dans l’observation de la papille optique. De nouvelles habitudes méritent d’être adoptées par de nombreux ophtalmologistes servant dans des centres secondaires de santé oculaire, pour examiner « finement » le pôle postérieur et procéder à une analyse séméiologique détaillée de la papille.

Au cours des dernières années, certaines avancées technologiques ont permis de rendre plus objective l’analyse de la papille optique et même de quantifier ses altérations et la progression de ses modifications dans le temps. Elles sont indéniablement coûteuses, mais sont-elles indispensables ? L’article de Thomas et al. les décrit. Nous partageons leur jugement quand ils déclarent qu’aucune des méthodes actuellement disponibles n’est pleinement satisfaisante pour le clinicien (dans son besoin de valider son diagnostic) ou pour l’ophtalmologiste de santé publique (dans son désir de posséder un outil de dépistage sensible, spécifique et facile à utiliser).

Pourtant, n’en doutons pas, certaines de ces méthodes, améliorées et rendues accessibles, compléteront dans les années à venir l’arsenal des procédures quotidiennes de nos consultations et enrichiront nos possibilités d’explorations cliniques du pôle postérieur. La communauté ophtalmologique le sait depuis longtemps : la fréquence du GPAO est de quatre à huit fois supérieure chez les populations mélanodermes africaines ou d’origine africaine. Or, dans les pays africains, par ailleurs confrontés à de nombreux problèmes de pathologies cécitantes, les plateaux techniques mis à la disposition de (trop) rares ophtalmologistes sont le plus souvent incomplets. Pour répondre aux objectifs qui leur sont assignés, ils sont délibérément orientés vers le diagnostic et la prise en charge chirurgicale des affections du segment antérieur. Par ailleurs, la plupart du temps, les ressources disponibles en matière d’explorations fonctionnelles (et plus particulièrement en ce qui concerne la périmétrie) sont rares, inexploitables ou même complètement absentes de nombreux services d’ophtalmologie que nous avons visités récemment.

Bien que reconnu comme un authentique « massacreur » d’yeux, le GPAO ne figure pas nommément dans la liste des affections prioritaires retenues par l’initiative « VISION 2020 : le droit à la vue ». De nombreuses raisons (que nous ne développerons pas dans ces lignes) expliquent certes cette « non-inscription » dans l’agenda immédiat de cette initiative globale. Pourtant, chaque année, des centaines de milliers de personnes de par le monde sombrent dans la cécité sous les coups silencieux de ce « tueur en série qui avance masqué »…

Tant que le GPAO ne pourra faire l’objet d’un assaut frontal utilisant l’arsenal des interventions proposées par une approche de santé publique raisonnée, l’ophtalmologiste praticien (à l’hôpital ou dans son cabinet de consultation ou dans sa clinique) restera seul face à l’ennemi, se sentant toujours aussi démuni face aux drames quotidiens que vivent les glaucomateux qui se confient à lui. Pour l’aider à mieux répondre à la demande, il devra être en mesure d’utiliser des moyens plus performants pour intervenir toujours plus tôt dans l’histoire individuelle des personnes présentant un glaucome avéré comme de celles exposées à un facteur de risque identifié.

Dans cette perspective, les plateaux techniques (à visées diagnostique et thérapeutique) des ophtalmologistes travaillant au niveau secondaire des systèmes de santé d’Afrique subsaharienne devraient impérativement posséder la panoplie nécessaire et suffisante de moyens d’investigations indispensables : lampe à fente, verre à trois miroirs pour gonioscopie et examen du pôle postérieur, possibilité de pratiquer l’examen ophtalmoscopique en image droite et inversée et possibilité de relever le champ visuel. Ainsi, de nombreux glaucomateux pourraient être dépistés, pris en charge sur des critères objectifs et judicieusement suivis.

Un effort d’équipement (et de formation subséquente) améliorerait non seulement la prise en charge du GPAO, mais élargirait de plus considérablement le champ de l’ophtalmologie dans cette partie du monde où plusieurs fléaux cécitants conjuguent leurs effets dommageables. Il permettrait en effet une meilleure identification des affections du pôle postérieur, comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge (voir l’article de David Yorston dans ce numéro), la rétinopathie diabétique, les différentes catégories de neuropathies optiques…Pour cela, considérons le GPAO comme une affection du segment postérieur. Cherchons à le débusquer avec détermination et ténacité, là où il se trouve…