RSOC Vol. 17 No. 23 2020 pp 6-7. Publié en ligne 28 avril 2020.

Gérer l’opération de la cataracte chez un patient présentant une uvéite

Aravind Harapriya

Directrice des services de prise en charge de la cataracte, Cataract and IOL Services, Aravind Eye Hospital, Chennai, Inde.


Eliza Anthony

Médecin consultant, Uvea Services, Aravind Eye Hospital, Chennai, Inde.


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Figure 1 Cataracte chez un patient présentant une uvéite © Aravind Eye Care System
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Lorsqu’on opère la cataracte chez un patient présentant une uvéite, il faut faire face à de multiples défis, dont le plus important est la maîtrise de l’inflammation.

Une inflammation intraoculaire de longue date (uvéite) peut entraîner la formation d’une cataracte (Figure 1), tout comme l’utilisation prolongée de corticoïdes. Pour opérer une cataracte post-uvéitique, il faut faire face à de nombreux défis, soit par exemple : synéchies postérieures, atrophie irienne, pupille de petite taille, membrane pupillaire, fibrose de la capsule antérieure, cataracte mûre, néovaisseaux dans l’angle iridocornéen et faiblesse zonulaire. Après l’opération, le risque d’inflammation, d’oedème maculaire ou de glaucome est également plus élevé en cas de cataracte uvéitique. Cet article abordera tous ces problèmes, mais le plus important est sans doute la maîtrise de l’inflammation en préopératoire et son influence sur le résultat chirurgical et le résultat visuel.

Maîtrise de l’inflammation en préopératoire

Dans la mesure où l’uvéite est fréquemment associée à des maladies systémiques, il est important de maîtriser l’inflammation générale, le cas échéant. Ceci requiert souvent une approche multidisciplinaire. Il est nécessaire d’obtenir trois mois de quiescence oculaire (période de traitement stable durant laquelle il n’y a aucun signe ou symptôme d’inflammation) si l’on veut obtenir un bon résultat chirurgical.

On considère que l’inflammation de l’uvée est maîtrisée lorsqu’il n’y a plus d’inflammation du vitré et pas de cellules dans la chambre antérieure. Il est assez fréquent d’observer un léger effet Tyndall résiduel, même lorsque l’inflammation est maîtrisée, car toute inflammation de longue date entraîne une rupture de la barrière hémato-aqueuse.

L’exérèse d’une cataracte post-uvéitique doit se faire sous corticoïdes. Au moins une semaine avant l’opération, mettez le patient sous prednisolone par voie orale (1 mg/kg/jour). Une autre stratégie consiste à intensifier l’application locale de corticoïdes pendant une à deux semaines avant l’opération ; par exemple, vous pouvez instiller un collyre de prednisolone à 1 % huit fois par jour pendant 10 jours, puis, le jour de l’opération, administrer pendant 45 à 60 minutes une perfusion de 500 mg de méthylprednisolone dans 100 ml de solution saline normale, par voie intraveineuse. Lorsque l’inflammation est plus importante, envisagez d’utiliser des immunosuppresseurs. Certains chirurgiens préfèrent également commencer à administrer des anti-inflammatoires non stéroïdiens par voie locale une semaine avant l’opération.

Un examen complet de la rétine et du segment postérieur est nécessaire pour déceler la présence éventuelle d’un oedème maculaire, d’une atrophie optique, d’une cicatrice maculaire, d’une membrane néovasculaire choroïdienne ou d’une membrane épirétinienne. Les complications rétiniennes peuvent entraîner de mauvais résultats visuels et doivent souvent être prises en charge avant l’opération. Lorsque le patient présente une cataracte mûre ou une cataracte dense sous-capsulaire postérieure, la réalisation d’une échographie peut s’avérer utile pour détecter la présence éventuelle d’une inflammation du vitré, d’un épaississement rétinochoroïdien, d’un décollement de rétine exsudatif ou d’un oedème papillaire.

Dans les services dotés de ressources suffisantes, l’examen de la rétine par tomographie à cohérence optique peut permettre de repérer et suivre les pathologies maculaires avant l’intervention chirurgicale. La biomicroscopie ultrasonore permet d’évaluer la présence d’une pars planite, d’un épanchement de l’uvée, d’une traction du corps ciliaire, d’une atrophie du corps ciliaire et de membranes cyclitiques, particulièrement chez les patients présentant une hypotonie oculaire. Certains chirurgiens utilisent un appareil PAM pour mesurer l’amélioration potentielle de l’acuité visuelle chez les patients dont la cataracte est à un stade avancé.

Glaucome uvéitique

Les uvéites ou l’utilisation prolongée de corticoïdes peuvent entraîner une élévation de la pression intraoculaire et un glaucome. Il faut toutefois résister à la tentation de combiner une exérèse de la cataracte et une intervention fistulisante. Le taux d’échec de l’intervention fistulisante sera très élevé et cela diminuera les chances de réussite d’une deuxième opération du glaucome.

Prise en charge peropératoire

Le choix du type d’anesthésie dépendra des préférences du chirurgien, de facteurs locaux et de la présence éventuelle de synéchies postérieures. L’opération peut parfois être réalisée sous anesthésie topique, par exemple lorsque le patient présente une cataracte sous-capsulaire postérieure associée à une uvéite de Fuchs. Toutefois, si l’intervention requiert une manipulation de l’iris, il est préférable de réaliser une anesthésie rétrobulbaire, sous-ténonienne ou péribulbaire.

Les résultats de la chirurgie de la cataracte à petite incision manuelle et de la phacoémulsification sont comparables en ce qui concerne la perte de cellules endothéliales et le taux de complications1. Il vous faudra choisir avec soin votre stratégie opératoire si vous observez des signes de dystrophie endothéliale cornéenne ou si vous envisagez une phacoémulsification pour l’exérèse d’une cataracte dense (voir pages 10–11).

Une pupille de petite taille représente un défi considérable lorsque l’on opère une cataracte post-uvéitique. Vous pouvez sectionner la membrane pupillaire avec des ciseaux à capsulorhexis, puis l’enlever avec une pince à capsulorhexis, avant de procéder à une dilatation mécanique de la pupille avec des anneaux de Kuglen (Figure 2) ou autre dispositif (voir pages 8–9).

Figure 2 Dilatation mécanique de la pupille en peropératoire, avec des crochets de Kuglen © Aravind Eye Care System

Toute manipulation de l’iris doit être très délicate, car une manipulation excessive pourrait augmenter la dispersion pigmentaire, l’inflammation postopératoire et le risque d’hyphéma ; elle pourrait également entraîner une dilatation pupillaire permanente. Nous recommandons de réaliser un capsulorhexis de grande taille, car le risque de capsulophimosis antérieur postopératoire est plus important chez les patients présentant une uvéite. Il est préférable de fixer la lentille intraoculaire de chambre postérieure dans le sac capsulaire (Figure 3), plutôt que dans le sulcus ciliaire, afin de prévenir une irritation de l’iris en postopératoire2.

Figure 3 Fin de la procédure ; la LIO de chambre postérieure est en place dans le sac capsulaire © Aravind Eye Care System
Photographie du patient deux jours après l’opération. © Aravind Eye Care System

Contraction capsulaire postopératoire et choix de l’implant intraoculaire

Une contraction capsulaire après l’opération peut entraîner un capsulophimosis antérieur, une rupture zonulaire et même, dans les cas graves, une luxation du cristallin. L’implantation de lentilles intraoculaires (LIO) en polyméthacrylate de méthyle (PMMA) ou de LIO pliables avec haptiques en PMMA permet de minimiser la contraction capsulaire, par rapport à l’implantation de LIO avec haptiques en prolène. L’utilisation d’anneaux de tension capsulaire peut également aider à prévenir une contraction capsulaire.

Le choix de l’implant intraoculaire est également important pour d’autres raisons :

  • Les implants acryliques hydrophobes sont bien tolérés par les patients présentant une uvéite et ils ralentissent la formation de synéchies postérieures3.
  • L’implantation de LIO héparinées pourrait être associée à une diminution du taux d’uvéite postopératoire. Les LIO à appui angulaire permettent de réduire le contact entre l’iris et l’optique de l’implant4.
  • Lorsque le patient présente une uvéite aigüe, parexemple en cas de maladie de Behçet ou d’uvéite dueà une arthrite juvénile idiopathique, il a été montré que l’implantation d’une LIO durant l’exérèse de la cataractene connaît qu’un succès mitigé ; il faut donc envisager l’aphakie, particulièrement chez les patients jeunes.

En cas d’uvéite de Fuchs et d’inflammation non granulomateuse, il a été montré qu’il est plus sûr d’implanter la LIO durant l’intervention primaire5.

Une autre complication postopératoire courante chez les patients présentant une uvéite est l’opacification du vitré. Réalisez d’abord l’exérèse de la cataracte ; ensuite, une fois que vous aurez évalué l’impact de l’opacification du vitré sur la vision du patient, décidez s’il y a lieu ou non de réaliser une vitrectomie par la pars plana5.

Prise en charge postopératoire

Il est conseillé de lutter énergiquement contre l’inflammation après une intervention de la cataracte chez un patient présentant une uvéite. Instillez des corticoïdes locaux toutes les heures pour commencer, puis diminuez la dose en fonction de la réaction. Vous pouvez ajouter des cycloplégiques durant les deux premières semaines postopératoires, car ils permettent de réduire les spasmes du sphincter de l’iris, de stabiliser la barrière hémato-aqueuse et de prévenir la formation de synéchies postérieures.

La réaction aux corticoïdes et l’inflammation peuvent entraîner une augmentation de la pression intraoculaire ; il faut donc surveiller cette dernière et traiter toute augmentation avec un collyre anti-glaucomateux. Évitez l’utilisation d’analogues des prostaglandines, car ces derniers favorisent l’inflammation. Les bêtabloquants, ainsi que les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique (par voie topique ou orale), peuvent être utilisés en toute sécurité pour traiter les pics d’augmentation de la pression intraoculaire. La survenue postopératoire d’un iris bombé (adhérence de l’iris à la LIO ou au vitré antérieur, empêchant la circulation de l’humeur aqueuse de la chambre postérieure à la chambre antérieure), en raison d’une occlusion ou séclusion pupillaire, se traite par une iridectomie périphérique au laser YAG.

D’autres complications peuvent entraîner une baisse de vision : un oedème maculaire cystoïde, une membrane épirétinienne ou une opacification de la capsule postérieure6. L’oedème maculaire cystoïde peut être traité en premier lieu par des corticoïdes locaux et des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Si le patient ne réagit pas, nous recommandons alors d’administrer une injection sous-ténonienne de triamcinolone (jusqu’à 40 mg dans 1 ml) ou des corticoïdes par voie intravitréenne. Les complications tardives, telles que la formation d’une épaisse membrane épirétinienne, peuvent entraîner un plissement important et une détérioration de la vision. Vous pouvez orienter ces patients vers un spécialiste de chirurgie vitréorétinienne qui pourra réaliser un pelage de la membrane épirétinienne. La survenue d’une membrane cyclitique et d’une hypotonie postopératoires requiert une vitrectomie par la pars plana et une membranectomie. L’opacification capsulaire postérieure est une autre complication tardive ; elle pourra être prise en charge par une capsulotomie au laser YAG plusieurs mois après la première intervention, une fois l’inflammation jugulée.

Lorsque l’on opère une cataracte post-uvéitique chez l’enfant, la présence d’une amblyopie et d’une inflammation récalcitrante peuvent entraîner un mauvais résultat visuel.

En conclusion, la prise en charge de la cataracte chez des patients présentant une uvéite est certes difficile, mais une bonne évaluation préopératoire et une bonne maîtrise de l’inflammation permettront cependant d’obtenir de bons résultats visuels. Communiquez avec le patient à chaque étape de la prise en charge ; expliquez-lui le pronostic visuel, les avantages et les inconvénients du traitement, ainsi que les facteurs de risque liés à l’intervention chirurgicale. Ceci contribuera à augmenter la satisfaction du patient, ce qui très important pour le chirurgien.

References

1 Bhargava R, Sharma SK, Chandra M, Kumar P, Arora Y. Comparison of Endothelial Cell Loss and Complications between Phacoemulsification and Manual Small Incision Cataract Surgery (SICS) in Uveitic Cataract. Nepal J Ophthalmol 2015;7(2):124-34.

2 Snyder ME. Cataract Surgery with Ciliary Sulcus Fixation of Intraocular Lenses in Patients with Uveitis. Am J Ophthalmol. 2000;130(2):257-8.

3 Leung TG, Lindsley K, Kuo IC. Types of intraocular lenses for cataract surgery in eyes with uveitis. Cochrane Database Syst Rev 2014;3:CD007284.

4 Kim WS, Kim KH. Uveitis Cataract. In: Challenges in Cataract Surgery 2016 (pp. 11-16). Springer, Berlin, Heidelberg.

5 Mehta S, Linton MM, Kempen JH. Outcomes of cataract surgery in patients with uveitis: a systematic review and meta-analysis. Am J Ophthalmol 2014;158(4):676-92.

6 Rahman I, Jones NP. Long-term results of cataract extraction with intraocular lens implantationin patients with uveitis. Eye 2005 2005;19(2):191-197.