RSOC Vol. 08 No. 09 2011 pp 09 - 10. Publié en ligne 09 janvier 2011.

Frottis de cornée et diagnostic

Astrid Leck

Chercheur, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Keppel Street, London WC1E 7HT, Royaume-Uni.

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Figure 1. Frottis de cornée ©  J Dart
Figure 1. Frottis de cornée © J Dart

Cet article se veut être un guide complet pour réaliser un frottis de cornée (Figure 1) et poser un diagnostic. Dans certains contextes (par exemple, dans les centres de santé primaires en milieu rural), l’ophtalmologiste n’aura pas accès, ou n’aura qu’un accès limité, aux services d’un laboratoire. Dans ce cas, la microscopie fournira des informations utiles au clinicien pour déterminer le meilleur traitement (les Figures 4 à 10 montrent du tissu cornéen infecté vu au microscope).

Réaliser un frottis de cornée

Matériel nécessaire :

  • aiguilles de calibre 21 ou spatule de Kimura
  • 2 lames de microscope propres
  • 2 géloses au sang frais
  • 1 gélose au glucose Sabouraud
  • 1 bouillon cœur-cervelle (pour les microorganismes fragiles)
  • 1 bouillon à la viande cuite (exclut les bactéries aéro-anaérobies facultatives)
  • 1 bouillon au thioglycolate
  • 1 gélose non nutritive (en cas de suspicion d’ Acanthamoeba sp. )

Afin que le clinicien ait les meilleurs chances de poser un diagnostic précis, il faut avoir tous ces milieux de culture à disposition. Dans certains centres de santé ne disposant pas de laboratoire bien équipés, certains de ces milieux seront difficiles à obtenir ou ne pourront pas être traités par un laboratoire. Pour ces cas de figure, le minimum requis est indiqué en gras sur la liste ci-dessus, par ordre d’importance. Les milieux de culture liquides (bouillons) doivent être utilisés quand la situation le permet. Si vous ne pouvez utiliser qu’un seul milieu liquide, donnez la préférence au bouillon cœur-cervelle. Il est essentiel d’inoculer plus d’un flacon. Les géloses non nutritives ne sont indiquées qu’en cas de suspicion d’infection amibienne.

Principes généraux

  • Si possible, supprimez l’usage des antibiotiques 24 heures avant de réaliser le prélèvement. Si c’est impossible, l’utilisation d’un milieu de culture liquide, le bouillon cœur-cervelle par exemple, permettra de diluer la concentration de l’antibiotique de façon à ce qu’elle soit inférieure à la concentration minimale inhibitrice (CMI).
  • Instillez un collyre anesthésique ne contenant pas de conservateurs.
  • Changez d’aiguille entre chaque prélèvement ; si vous utilisez une spatule de Kimura, passezla à la flamme entre deux prélèvements.
  • En cas de suspicion d’infection fongique ou amibienne, il est préférable de prélever dans la couche stromale de la cornée.
Figure 3. Étalez l'échantillon à la surface de la gélose en formant des « C »
Figure 3. Étalez l’échantillon à la surface de la gélose en formant des « C »
Figure 2. Lame étiquetée. Le cercle indique où placer l'échantillon
Figure 2. Lame étiquetée. Le cercle indique où placer l’échantillon

Ordre de préparation des échantillons :

  1. Lame pour coloration de Gram et lame pour autres colorations.
  2. Milieux de culture solides (géloses au sang frais, gélose au glucose Sabouraud, gélose non nutritive).
  3. Milieux de culture liquides (bouillon cœur-cervelle, bouillon à la viande cuite, bouillon au thioglycolate).

Si l’ulcère est de très petite taille ou si vous disposez de très peu de matériel cornéen, inoculez un milieu de culture solide et un milieu de culture liquide.

Prélèvement pour l’examen au microscope

  • Étiquetez la lame de façon à ce qu’elle comporte le nom du patient, sa date de naissance et le matricule attribué lors de son hospitalisation.
  • Tracez ou gravez un cercle sur la lame et placez le prélèvement à l’intérieur de ce cercle (Figure 2).
  • Séchez à l’air et couvrez avec une lame protectrice (fixez les deux extrémités avec un adhésif) ou bien placez dans une boîte servant à transporter des lames.

Inoculation des milieux de culture

  • Étalez délicatement le matériel prélevé à la surface de la gélose en traçant une succession de « C » (voir Figure 3) ; veillez à ne pas perforer la surface de la gélose.
  • Fixez le couvercle de la boîte de culture à sa base avec un adhésif, en faisant un tour complet.
  • Mettez à incuber dès que possible les milieux de culture inoculés. Il n’est pas souhaitable de placer les échantillons dans un réfrigérateur ; s’ils ne sont pas déjà en route pour le laboratoire, il est préférable de les conserver à température ambiante.
Figure 4. Staphylocoques. © MM Matheson
Figure 4. Staphylocoques. © MM Matheson
Figure 5. Streptococcus pneumoniae. © MM Matheson
Figure 5. Streptococcus pneumoniae. © MM Matheson
Figure 6. Pseudomonas sp. © MM Matheson
Figure 6. Pseudomonas sp. © MM Matheson

Poser un diagnostic

Microscopie : la coloration de Gram

  1. Séchez l’échantillon à l’air et fixez-le à la chaleur avec un bec Bunsen ou une lampe à alcool.
  2. Laissez la lame refroidir sur le râtelier qui servira à la coloration.
  3. Saturez la lame avec le colorant au violet de gentiane ou cristal violet ; laissez poser 1 minute.
  4. Rincez la lame à l’eau courante (propre).
  5. Saturez la lame avec le liquide de Lugol (solution d’iode iodo-iodurée) ; laissez pendant 1 minute.
  6. Rincez la lame à l’eau courante.
  7. Appliquez l’acétone et rincez immédiatement à l’eau courante (temps d’exposition à l’acétone <2 secondes).
  8. Colorez avec la solution de fuchsine pendant 30 secondes.
  9. Rincez à l’eau courante puis séchez avec du papier buvard.
  10. Examinez l’échantillon avec l’objectif 10 x.
  11. Déposez une goutte d’huile à immersion sur la lame et examinez-la avec l’objectif à immersion 100 x.

Retenez que :

  • Les coques Gram positifs les plus souvent associés à la kératite suppurative sont les Staphylocoques (Figure 4) et les Streptocoques (voir Figure 5, Streptococcus pneumoniae ).
  • Les bacilles Gram négatifs, comme les Pseudomonas sp. (Figure 6), peuvent être associés à une infection cornéenne.
  • Il est possible de poser un diagnostic définitif d’infection à Nocardia sp. (Gram variable).
  • Les levures apparaissent colorées en violet.
Figure 7. Levures (à gauche) et pseudohyphes (à droite) après coloration de Gram. © Astrid Leck
Figure 7. Levures (à gauche) et pseudohyphes (à droite) après coloration de Gram. © Astrid Leck
Figure 8. Hyphes fongiques visibles après coloration de Gram. © Astrid Leck
Figure 8. Hyphes fongiques visibles après coloration de Gram. © Astrid Leck
Figure 9. Hyphes fongiques colorées au bleu coton au lactophénol. © J Dart
Figure 9. Hyphes fongiques colorées au bleu coton au lactophénol. © J Dart

Bien qu’elle ne soit pas la coloration de choix pour les champignons, la coloration de Gram des prélèvements cornéens permet de visualiser les levures, les pseudohyphes et les hyphes fongiques, qui sont typiquement Gram négatives ou Gram variables. Pour obtenir un diagnostic plus définitif par microscopie en cas d’infection fongique, vous pouvez décolorer après la coloration de Gram et recolorer la lame avec un colorant plus approprié (voir Figures 9 et 10).

Microscopie : méthodes complémentaires

Pour visualiser les champignons, on peut utiliser des préparations fraîches colorées au bleu coton au lactophénol (Figure 9) ou à l’hydroxyde de potassium.

  1. Ajoutez sur la lame une goutte de liquide de montage au bleu coton au lactophénol
  2. Tenez la lamelle entre le pouce et l’index, puis déposez un côté de la lamelle sur la goutte de liquide de montage et abaissez doucement la lamelle en prenant soin de chasser les bulles d’air. La préparation est maintenant prête pour l’observation.
  3. Il faut commencer par observer la lame avec l’objectif à faible grossissement (x 10), puis passer à un grossissement plus élevé (x 40) pour un examen plus detaillé.
  4. Vous pouvez aussi utiliser du blanc de calcofluor ou une réaction à l’acide périodique Schiff pour colorer la lame.

Critères diagnostiques

Critères diagnostiques pour une culture de bactéries

  • croissance du même organisme au site d’inoculation et sur deux ou plusieurs cultures en milieu solide ; ou
  • croissance sur le site de l’inoculation dans un milieu solide d’un organisme qui correspond à ce qui a été observé en microscopie ; ou
  • croissance agglomérée sur un milieu de culture.

Critères diagnostiques pour une culture de champignons

  • observation au microscope, après coloration, d’hyphes fongiques dans l’échantillon de matériel cornéen ; ou
  • croissance sur le site de l’inoculation dans un milieu solide.
Figure 10. Préparation colorée au blanc de calcofluor. © PA Thomas
Figure 10. Préparation colorée au blanc de calcofluor. © PA Thomas
Figure 11. Trophozoïtes d'Acanthamoeba. © Astrid Leck
Figure 11. Trophozoïtes d’Acanthamoeba. © Astrid Leck

Infections amibiennes

La forme kystique d’ Acanthamoeba sp. dans un échantillon cornéen peut être visualisée au microscope par fluorescence directe, par exemple en utilisant du blanc de calcofluor (Figure 10), du bleu coton au lactophénol, de l’hématoxyline et de l’éosine, ou encore de l’acide périodique Schiff. En cas de suspicion d’infection cornéenne par Acanthamoeba sp., inoculez du matériel cornéen dans une gélose non nutritive en démarquant la zone de gélose inoculée. Au laboratoire, le carré de gélose correspondant à la zone inoculée sera excisé et retourné sur une gélose non nutritive ensemencée avec un tapis d’Escherichia coli. La croissance de trophozoïtes d’amibe (Figure 11) est impérative pour confirmer que le microorganisme est vivant et donc prouver que celui-ci est bien la cause de l’infection.