RSOC Vol. 04 No. 04 2007 pp 30 - 31. Publié en ligne 01 août 2007.

Faisons en sorte que les femmes utilisent plus souvent les services de soins oculaires

Susan Lewallen

Co-directrice


Paul Courtright

Co-directeur
Kilimanjaro Centre for Community Ophthalmology, Tumaini University/KCMC, PO Box 2254, Moshi, Tanzanie, Afrique de l’Est. www.kcco.net

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Y a-t-il un problème en ce qui concerne les femmes ?

Il peut paraître surprenant que, très souvent, dans les pays pauvres, les patients atteints de cécité ou de basse vision n’utilisent pas les services de soins oculaires existants. C’est cependant un fait bien connu des agents de santé oculaire qui travaillent dans ces pays. En Afrique, tout particulièrement, de nombreux programmes ont du mal à convaincre les patients de se faire opérer. Combien d’agents de santé oculaire savent également que l’accès aux soins et leur acceptation sont généralement plus problématiques pour les femmes que pour les hommes et qu’un nombre disproportionné d’aveugles dans le monde sont des femmes ?

Figure 1. Répartition du fardeau de la cécité entre les sexes
Figure 1. Répartition du fardeau de la cécité entre les sexes

C’est un fait aujourd’hui bien établi que la cataracte est la cause principale de cécité dans les pays pauvres. Les données présentées dans la Figure 2 sont extraites d’études réalisées en population générale dans plusieurs pays. La figure montre que les femmes représentent entre 60 et 65 % des personnes aveugles en raison d’une cataracte. Ceci s’explique en partie par le fait que les femmes vivent plus longtemps que les hommes et ont donc plus de chances de développer une cataracte. On observe également que les femmes présentent un risque de cataracte ajusté sur l’âge légèrement plus élevé2. La cécité par cataracte peut cependant être traitée par la chirurgie, ou même prévenue si l’opération est réalisée suffisamment tôt. C’est à ce niveau que se situe le déséquilibre crucial : le taux de chirurgie de la cataracte n’est pas le même pour les femmes que pour les hommes. La Figure 3 illustre la couverture chirurgicale de la cataracte mesurée par différentes études (ce chiffre mesure la proportion des besoins en chirurgie de la cataracte dans une population qui sont effectivement satisfaits). La couverture chirurgicale est plus élevée chez les hommes que chez les femmes3-5

Figure 2. Pourcentage estimé d’individus atteints de cataracte qui sont de sexe féminin
Figure 2. Pourcentage estimé d’individus atteints de cataracte qui sont de sexe féminin
Figure 3. Données sur la couverture chirurgicale de la cataracte provenant de diverses études
Figure 3. Données sur la couverture chirurgicale de la cataracte provenant de diverses études

Cette inégalité est souvent occultée, car la plupart des programmes comptabilisent le même nombre d’opérations de la cataracte chez les femmes que chez les hommes. Si vous consultez les registres de votre hôpital, il y a de fortes chances que la répartition par sexe des opérations de la cataracte soit égale à 50/50. Cependant, dans la mesure où les femmes présentent plus souvent une cataracte, elles devraient représenter 60 à 65 % des patients opérés de la cataracte pour que nous puissions parvenir à l’égalité des hommes et des femmes en matière de couverture chirurgicale de la cataracte. Nous constatons la même iniquité dans le cas du glaucome. Le glaucome chronique à angle ouvert (GAO) est la deuxième cause de cécité en Afrique subsaharienne. Il se rencontre aussi fréquemment chez les hommes que chez les femmes. Toutefois, dans les deux plus importants centres ophtalmologiques en Tanzanie, les hommes représentent 70 % des nouveaux cas de GAO6 (cet état de fait est corroboré par nos propres données).

Les femmes ne font pas l’objet d’une discrimination délibérée dans les hôpitaux et les centres de soins oculaires, mais elles doivent surmonter plus de difficultés que les hommes avant de pouvoir accéder aux services de soins. Nous devons réfléchir à ces problèmes spécifiques et concevoir des solutions.

Quelles sont les difficultés spécifiques rencontrées par les femmes ?

Le Community Eye Health Journal, ainsi que la Revue de Santé Oculaire Communautaire, ont publié des articles sur les obstacles qui empêchent les patients d’accéder aux services de soins. Nous considérons que ces obstacles se situent à trois niveaux : un manque de sensibilisation à l’existence des services, un accès aux services insuffisant et une acceptation insuffisante. Ces trois types d’obstacles concernent plus souvent les femmes que les hommes.

Sensibilisation

Les femmes sont généralement moins instruites que les hommes. Elles auront donc plus tendance à ignorer que certaines formes de cécité sont curables ; elles ne sauront pas à quel endroit il faut aller ou comment s’y rendre. Les femmes âgées, qui ne sont allées que peu ou pas à l’école et n’ont aucune expérience du milieu hospitalier, peuvent se poser plus de questions sur la chirurgie et être plus inquiètes que les hommes. Des obstacles liés à la langue ou une méconnaissance du système de santé peuvent entraîner chez certaines femmes un manque de sensibilisation aux services de soins de santé.

Accès

Toutes les personnes âgées éprouvent des difficultés à se déplacer loin de leur domicile pour se faire opérer, mais ceci est encore plus vrai pour les femmes que pour les hommes. Dans beaucoup de cultures, les femmes ne disposent que de peu d’argent ou n’ont que peu d’influence sur la manière dont l’argent est utilisé. Beaucoup de personnes âgées dépendent essentiellement de leurs enfants pour couvrir les frais de l’opération de la cataracte. En Tanzanie, nous avons observé que les jeunes chefs de famille ont tendance à moins encourager les femmes que les hommes à se faire opérer et à moins les soutenir matériellement. Dans beaucoup de cultures, les femmes ne peuvent voyager que si elles sont accompagnées par un homme et l’absence d’un compagnon de voyage peut également constituer un obstacle.

Acceptation

Dans certaines cultures, les attentes concernant la qualité de vie durant la vieillesse ne sont pas du même ordre pour les femmes que pour les hommes. Ainsi, les bienfaits d’une opération de la cataracte peuvent être perçus différemment en fonction du sexe du patient. Par exemple, un vieil homme s’attend à participer aux réunions de la communauté ; c’est également ce que la communauté attend de lui. Ceci suppose que le vieil homme soit mobile. Une femme, au contraire, aura plutôt tendance à rester à la maison.

Pour résumer, les hommes et les femmes rencontrent les mêmes obstacles, mais dans beaucoup de cas les femmes ont plus de difficultés à les surmonter.

Figure 4. Stratégie de rapprochement
Figure 4. Stratégie de rapprochement

Comment favoriser l’accès des femmes aux services de soins ?

L’expérience que nous avons acquise, en développant et en étudiant des programmes VISION 2020 en Afrique de l’Est, indique que plusieurs éléments essentiels doivent être en place pour qu’une communauté puisse accéder à un service de soins oculaires. Ceci est illustré dans la Figure 4. Deux composantes sont particulièrement importantes en ce qui concerne les femmes, à savoir, le transport et l’assistance socio-psychologique (« counselling »). Ces deux éléments doivent être incorporés dans la stratégie du programme, afin d’établir un rapprochement entre les services hospitaliers et la communauté et un meilleur accès des femmes aux services existants.

Transport

Dans les pays à faibles ressources, les hôpitaux sont très dispersés et les patients citent souvent comme obstacle la distance entre leur domicile et les services de soins. Dans un tel contexte, soit l’équipe chirurgicale se déplace jusqu’au patient, soit le patient rejoint l’équipe chirurgicale. Nous avons constaté que les femmes ont de bien plus grandes chances d’accéder aux services lorsque les programmes fournissent un mode de transport dans les zones rurales ; elles ont en effet moins tendance à se déplacer seules jusqu’à l’hôpital.

Assistance socio-psychologique (« counselling »)

On suppose généralement que cette tâche revient aux infirmiers(ères). C’est parfois le cas, mais très souvent, lors d’une séance de consultation ou de dépistage très chargée, ce rôle d’assistance et de conseil est négligé. L’infirmier(ère) a en effet d’autres tâches à accomplir. Il est préférable de désigner une personne dont la seule et unique tâche sera d’assurer cette fonction de conseil durant le temps de la consultation ou du dépistage. Ceci permettra aux patients et à leur famille de réellement obtenir des réponses aux questions qu’ils ou elles se posent. Il est très important de comprendre que le consentement à la chirurgie est une décision familiale et qu’il faut donc offrir à la famille un soutien socio-psychologique de qualité. Le conseiller doit connaître parfaitement tous les aspects du traitement chirurgical. Que se passera-t-il à l’hôpital ? Le patient sera-t-il tout seul ? L’opération est-elle douloureuse ? Quelle est la durée du séjour en hôpital ? Comment le patient rentrera-t-il chez lui ? Combien coûte l’opération et y a-t-il des dépenses supplémentaires ? Que faire si le patient préfère que l’intervention ait lieu dans un mois ? Avant de consentir à une opération, les patients ont besoin que quelqu’un d’avisé réponde à toutes les questions qu’ils se posent.

Les programmes peuvent aussi mettre en œuvre d’autres approches pour cibler les femmes, comme des programmes de rencontres éducatives au sein d’associations ou groupes de femmes qui traitent pour elles les problèmes de santé oculaire. Quand les femmes rencontrent d’autres femmes qui ont subi avec succès une opération, elles acceptent plus facilement de se faire opérer. Enfin, il ne faut pas oublier que les hommes – qu’il s’agisse des maris, des frères ou des fils des femmes atteintes de déficience visuelle – participent toujours à la prise de décision. Il faut donc que les hommes sachent que les femmes ont tout autant qu’eux « droit à la vue ».

Références

1 Abou-Gareeb I, Lewallen S, Bassett K, Courtright P. Gender and blindness: a meta-analysis of population based prevalence surveys. Ophthalmic Epidemiol 2001;8(1): 39-56.

2 Congdon N and Taylor HR. Age-related cataract. In: Johnson GJ, Minassian D, Weale RA, West S, editors. The Epidemiology of Eye Disease. New York: Arnold, 2003: 105-119.

3 Lewallen S, Courtright P. Gender and use of cataract surgical services in developing countries. Bull World Health Organ 2002;80(4): 300-303.

4 Anjum KM, Qureshi MB, Khan MA, Jan N, Ali A, Ahmad K et al. Cataract blindness and visual outcome of cataract surgery in a tribal area in Pakistan. Br J Ophthalmol 2006;90(2): 135-138.

5 Bassett KL, Noertjojo K, Liu L, Wang FS, Tenzing C, Wilkie A et al. Cataract surgical coverage and outcome in the Tibet Autonomous Region of China. Br J Ophthalmol 2005;89(1): 5-9.

6 Mafwiri M, Bowman RJ, Wood M, Kabiru J. Primary open-angle glaucoma presentation at a tertiary unit in Africa: intraocular pressure levels and visual status. Ophthalmic Epidemiol 2005;12(5): 299-302.