RSOC Vol. 15 No. 20 2018 pp 25-28. Publié en ligne 18 décembre 2018.

Évaluation et diagnostic : une approche rationnelle

Jeremy Hoffman

Academic Clinical Fellow, International Centre for Eye Health ; Assistant chef de clinique, Moorfields Eye Hospital, Londres, Royaume-Uni.


Matthew Burton

Professeur, International Centre for Eye Health ; Chef de clinique, Moorfields Eye Hospital, Londres, Royaume-Uni.


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Un examen systématique est nécessaire pour diagnostiquer les pathologies de la surface oculaire. CÔTE D’IVOIRE © Ferdinand Ama

Les pathologies de la surface oculaire peuvent affecter la vision et la qualité de vie des patients. Leurs signes et symptômes étant relativement limités, il faut procéder de manière systématique durant l’examen afin de poser le bon diagnostic.

La surface oculaire est essentielle à la santé de l’oeil et à une bonne fonction visuelle. Il s’agit d’un système complexe et intégré qui implique la cornée, la conjonctive, le film lacrymal, les glandes lacrymales, le système nasolacrymal et les paupières (y compris cils et glandes de Meibomius).

Le fonctionnement physiologique normal de la surface oculaire dépend de la bonne interaction de ces différents composants. Cette interaction permet de maintenir la transparence de la surface oculaire, d’empêcher la sécheresse oculaire et de protéger l’oeil des traumatismes et des infections. Tout changement affectant la structure ou la fonction d’un des composants de la surface oculaire peut en perturber l’équilibre délicat et entraîner des pathologies.

Les signes et symptômes des maladies de la surface oculaire sont relativement limités et il est nécessaire d’adopter une approche systématique pour bien évaluer et diagnostiquer ces affections.

Antécédents

En raison de l’éventail restreint des signes et symptômes présentés par les patients souffrant d’affections de la surface oculaire, il est très important d’effectuer un recueil soigneux des antécédents. Demandez à vos patients s’ils ont ressenti, ou ressentent actuellement, les symptômes suivants :

  • Vision réduite (en cas de perturbation du film lacrymal, la vision peut être légèrement trouble ; un trouble visuel plus grave indique plutôt une affection cornéenne ou autre)
  • Rougeur
  • Irritation ou sensation de grains de sable (ceci suggère une perturbation épithéliale)
  • Démangeaisons (ceci suggère une allergie)
  • Douleur (une douleur aiguë indique une affection touchant la cornée ; une douleur sourde suggère une inflammation de l’uvée ou de la sclère)
  • Écoulement purulent
  • Larmoiement, qu’il s’agisse d’une augmentation de la production lacrymale ou d’un épiphora (diminution du drainage lacrymal).

Il est important de noter avec soin quand et comment le problème est survenu. Demandez également s’il y a des antécédents de traumatisme oculaire ou corps étranger. Dans certains endroits, le port de lentilles de contact est fréquent, donc demandez aux patients s’ils en utilisent, comment ils les portent et comment ils les nettoient.

Examen

Votre examen de la surface oculaire doit se faire étape par étape, de manière systématique, afin de ne pas passer à côté de signes importants.

  • Vision. Commencez par mesurer l’acuité visuelle sans correction et avec trou sténopéique, ainsi que la meilleure acuité visuelle avec correction.
  • Paupières. Observez la position des paupières et la fermeture palpébrale et recherchez des signes d’entropion (retournement vers l’intérieur du bord de la paupière), de trichiasis (contact des cils avec la surface oculaire), de lagophtalmie (écart entre les paupières supérieure et inférieure lorsque l’oeil est fermé). Examinez le bord palpébral et les orifices des glandes de Meibomius et recherchez des signes de malposition, d’inflammation ou d’obstruction par des sécrétions. Tentez d’exprimer le meibum en exerçant une légère pression digitale sur les glandes de Meibomius.
  • Larmes. Évaluez la qualité du film lacrymal ; recherchez la présence de débris ou de sécrétions et mesurez la hauteur du ménisque lacrymal (pour avoir une idée du volume du film lacrymal). Pour évaluer le temps de rupture du film lacrymal, instillez une goutte de fluorescéine et chronométrez le temps nécessaire à la dispersion du film lacrymal ; un temps de rupture inférieur à 10 secondes est considéré comme anormal. Enfin, effectuez le test de Schirmer : placez la bandelette-test dans le cul-de-sac conjonctival inférieur et demandez au patient de fermer les yeux pendant cinq minutes. Pour être considéré comme normal, le résultat doit être supérieur à 15 mm ; s’il est inférieur à ce chiffre, ceci indique une production lacrymale insuffisante plus ou moins importante (9 à14 mm : insuffisance légère ; 4 à 8 mm : insuffisance modérée ; < 4 mm : insuffisance grave).
  • Conjonctive bulbaire et sclère. Recherchez la présence éventuelle d’inflammation, de tissu cicatriciel, d’hémorragies et d’épaisseurs ou gonflements anormaux (par exemple pinguécule, ptérygion, ou éventuelles tumeurs malignes).
  • Tarse. Éversez les paupières supérieure et inférieure et recherchez la présence éventuelle de tissu cicatriciel, corps étrangers, membrane inflammatoire, papilles et follicules.
  • Épithélium cornéen. À l’aide d’une lampe torche, recherchez la présence éventuelle de corps étrangers, d’infiltrats, d’oedèmes et de dépôts. La surface oculaire reflète-t-elle bien la lumière (surface brillante) ou est-elle rugueuse et/ou terne ? Testez également la sensibilité de la cornée, qui peut être réduite en cas d’herpès oculaire ou de zona ophtalmique.
  • Stroma cornéen. Recherchez la présence éventuelle d’opacités stromales. Évaluez leur taille, leur emplacement, leur aspect et leur épaisseur. Les opacités peuvent être du tissu cicatriciel ou des infiltrats inflammatoires actifs. Examinez les vaisseaux sanguins : le sang circule dans un vaisseau actif alors qu’un vaisseau inactif se présente comme une ligne grise ou claire exsangue.
  • Endothélium cornéen. Recherchez la présence éventuelle de cornea guttata, de plis dans la membrane de Descemet et de dépôts (dépôts sanguins, dépôts pigmentaires, ou précipités kératiques).
Tableau 1 Signes et symptômes des affections les plus courantes de la surface oculaire

Diagnostic

Les problèmes touchant la surface oculaire peuvent être répartis en deux catégories : affections infectieuses et affections non infectieuses. Les patients présentent un éventail limité de symptômes et c’est souvent la façon dont ces symptômes se présentent qui permet de différencier entre elles les affections de la surface oculaire (voir Tableau 1, illustrant les symptômes des affections les plus courantes). Par exemple, si une personne se plaint surtout de démangeaisons oculaires, vous devez envisager que la cause en est une conjonctivite allergique.

Il peut exister un recoupement entre les symptômes des différentes affections de la surface oculaire. Il est donc essentiel de procéder à un examen soigneux pour poser le bon diagnostic. Le poster en page 36 de ce numéro présente une liste (non exhaustive) des affections courantes et importantes de la surface oculaire et en illustre les caractéristiques.

Mieux comprendre la surface oculaire

La surface oculaire comprend la cornée, la conjonctive, le film lacrymal, les glandes lacrymales, le sytème nasolacrymal et les paupières (y compris les cils et les glandes de Meibomius). Ces éléments sont décrits en détail ci-dessous. La Figure 1 montre l’anatomie de la paupière supérieure et du segment antérieur de l’oeil (coupe transversale).

Figure 1. Anatomie de la paupière supérieure et du segment antérieur de l’oeil (coupe transversale) © Peter Mallen www.schepens.harvard.edu

Cornée

La cornée est le plus important élément réfracteur de l’oeil. Avec le cristallin, elle focalise les rayons lumineux sur la rétine. La cornée centrale (4 mm de diamètre) est essentielle à une bonne vision. La cornée est composée de cinq couches : l’épithélium, la couche de Bowman, le stroma, la membrane de Descemet et l’endothélium. Une cornée normale n’est pas vascularisée ; ses apports en oxygène et nutriments lui proviennent par diffusion de l’humeur aqueuse, des vaisseaux sanguins limbiques et de l’air. La cornée est très sensible ; elle est richement innervée par des fibres nerveuses provenant du nerf trijumeau. Une sensibilité cornéenne normale est essentielle à la fonction lacrymale, au réflexe de clignement et au maintien d’une surface épithéliale saine et intègre.

Lorsqu’il est lésé, l’épithélium cornéen peut se régénérer, de telle que sorte que de simples abrasions peuvent cicatriser sans laisser de taie à la surface de la cornée. Toutefois, si les cellules souches repeuplant la cornée sont atteintes, par exemple en cas de brûlure chimique, il en résultera un épithélium anormal ayant perdu sa transparence. La transparence de la cornée dépend également de l’agencement très ordonné des fibres de collagène au sein du stroma. Ces couches plus profondes ne se régénèrent pas aussi bien et la cicatrisation s’accompagne souvent de fibrose. Par ailleurs, il faut que la cornée soit maintenue dans un état de déshydratation relative par les cellules de la couche endothéliale ; si ces cellules ne fonctionnent pas bien, il peut en résulter un oedème cornéen ou une opacité.

Conjonctive

La conjonctive est composée d’une couche épithéliale recouvrant un tissu conjonctif lâche, le stroma. Elle recouvre l’oeil du bord de la cornée (limbe) aux culs-de-sac et tapisse la face interne des paupières. Elle contient des cellules caliciformes spécialisées qui sécrètent la couche mucinique du film lacrymal. Le stroma conjonctival contient des cellules immunitaires ayant un rôle de défense contre les infections. Parfois, le recrutement de cellules lymphoïdes forme des follicules visibles, particulièrement à la surface de la conjonctive tarsale. Des papilles peuvent également se former dans la conjonctive tarsale ; elles se caractérisent par une apparence en dôme, des cellules inflammatoires, un oedème et une dilatation vasculaire. Dans certains cas d’inflammation chronique de la surface oculaire, une fibrose conjonctivale peut se développer, avec raccourcissement des culs-de-sac, symblépharon (adhérences entre la paupière et le globe oculaire) et déformation palpébrale.

Film lacrymal

Le film lacrymal comporte trois couches. La couche superficielle lipidique (sécrétée par les glandes de Meibomius) réduit l’évaporation de la couche intermédiaire, qui est aqueuse et produite par la glande lacrymale. La couche mucinique profonde (sécrétée par les cellules caliciformes de la conjonctive) permet de stabiliser la couche aqueuse sur l’épithélium cornéen. Un bon film lacrymal permet le maintien d’un épithélium cornéen sain et bien hydraté et la transparence de la surface optique. Il protège également l’oeil des infections.

Examen de la surface oculaire. CAMBODGE © Sophiavid Choum / World Sight Day Photo Competition www.flickr.com/photos/IAPB

Glande lacrymale

La glande lacrymale se situe dans l’angle supéro-externe de l’orbite. Ses canalicules s’ouvrent dans le cul-de-sac conjonctival supérieur et sécrètent le liquide lacrymal à la surface de l’oeil. La sécrétion du film lacrymal est contrôlée par le système nerveux parasympathique. Une diminution de la production lacrymale peut être causée par des problèmes touchant la glande lacrymale, par l’obstruction des canalicules (par du tissu cicatriciel) et par des problèmes d’ordre neurologique.

Système nasolacrymal

Le système nasolacrymal draine les larmes de la surface de l’oeil. Le liquide est recueilli au niveau des points lacrymaux et circule dans les canalicules jusqu’au sac lacrymal. Du sac lacrymal, le liquide passe ensuite par le conduit lacrymal et est évacué dans les fosses nasales. Toute obstruction de ce système, où qu’elle se situe, entraîne un épiphora et prédispose l’oeil aux infections.

Paupières

Les paupières protègent l’oeil en le recouvrant. Elles se composent de plusieurs couches : la peau, le muscle orbiculaire, le cartilage tarse (y compris les glandes de Meibomius) et la conjonctive.