RSOC Vol. 01 No. 01 2004 pp 14 - 17. Publié en ligne 01 août 2004.

Evaluation des résultats de la chirurgie de la cataracte : méthodes et outils

Hans Limburg, PhD DCEH

Consultant, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene and Tropical Medicine, London WC1E 7HT, Royaume-Uni

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Méthodes utilisées pour évaluer les résultats chirurgicaux de la cataracte

1. Etude de population

Plusieurs études, réalisées auprès de la population non-voyante, et des évaluations rapides, réalisées à fin des années 1990, ont montré que parmi toutes les personnes opérées de la cataracte, 21 à 53 % présentaient une acuité visuelle de moins de 0,1 (6/60). 1,2,3,4 Ces chiffres incluent aussi bien les patients récemment opérés que ceux opérés il y a plusieurs dizaines d’années. Ils comprennent les opérations réalisées dans d’excellentes conditions comme dans de moins bonnes, par des chirurgiens plus ou moins expérimentés, parfois même par des soigneurs traditionnels (abaissement).*

Les lunettes d’aphaque peuvent avoir été perdues ou abîmées. Les personnes dont les résultats étaient initialement bons peuvent avoir développé des troubles de la rétine qui réduisent la vision avec l’âge. Les données provenant des enquêtes ne rendent peut-être pas justice aux récents progrès chirurgicaux avec les implants intra-oculaires, mais elles reflètent la perception du public, et déterminent leurs attentes et l’espoir qu’ils ont de recouvrer la vue après l’opération.

* L’abaissement est le déplacement « chirurgical » du cristallin opaque, généralement postéro-inférieur dans la loge vitréenne, souvent à l’aide d’une aiguille. C’est une méthode utilisée par certains guérisseurs traditionnels.

2. Analyse du suivi post-opératoire

Le suivi régulier des données préopératoires, opératoires et postopératoires de chaque patient opéré permet de calculer les résultats visuels et d’évaluer la qualité de la chirurgie de la cataracte. On estime que le fait d’encourager les chirurgiens des yeux à suivre leurs propres résultats améliore, en soi, dans le temps, les résultats de la chirurgie de la cataracte. Et de meilleurs résultats réduisent les craintes et motivent davantage de patients à venir se faire opérer. Les résultats ne doivent pas servir à comparer les chirurgiens ou les centres, car la sélection des cas, les compétences chirurgicales, les procédures et les moyens matériels, les périodes de suivi et d’autres facteurs influent sur les résultats et sont différents d’un centre et d’un chirurgien à l’autre. Un suivi régulier doit être utilisé pour évaluer les résultats de chaque chirurgien ou des centres au cours du temps. Cela peut ête utile pour évaluer la courbe d’apprentissage chirurgical des résidents pendant leur formation.

Figure 1a. Fiche de pointage manuel : acuité visuelle à la sortie de l’hôpital
Figure 1a. Fiche de pointage manuel : acuité visuelle à la sortie de l’hôpital
Figure 1b. Fiche de pointage manuel : acuité visuelle postopératoire (> 4 semaines)
Figure 1b. Fiche de pointage manuel : acuité visuelle postopératoire (> 4 semaines)

Les outils

Nous avons mis au point un système de fiche de « pointage » (enregistrement) manuel ainsi que deux programmes informatisés. Ces derniers utilisent plus de données et fournissent une analyse plus détaillée. Pour chaque situation, il est important de choisir la méthode la plus appropriée et utilisable de manière régulière et durable. Lorsque les opérateurs formés pour entrer les données ne sont pas disponibles, il est recommandé d’utiliser la méthode manuelle.

1. Fiches de pointage manuel

Ce système a été réalisé pour les unités ophtalmologiques ne disposant pas d’ordinateurs ou sans personnel à même d’entrer les données. Les données préopératoires, opératoires et postopératoires sont collectées dans le dossier opératoire normalement utilisé par le(s) chirurgien(s) ophtalmologiste(s). Sinon, les Formulaires standards de Chirurgie de la Cataracte (Cataract Surgery Record, CSR) peuvent être imprimés, remplis et insérés au dossier opératoire.

Les CSR permettront également une conversion ultérieure plus facile vers un système informatique. (Voir Figure 2). Les données sont entrées sur les fiches de pointage (Figures 1a et 1b), en utilisant une ligne par œil opéré. Chaque feuille peut contenir vingt enregistrements. Lorsque cent enregistrements ont été entrés (5 pages pleines), les totaux de chaque colonne sont égaux aux pourcentages. Si les patients opérés n’ont pas tous eu de visite postopératoire, l’interprétation des pourcentages de la colonne « > 4 semaines postopératoires » devra être prudente puisque les pourcentages seront le résultat de moins de cent cas.

Figure 2 : Fiche de données chirurgie de la cataracte PDF (430Kb)

La cause du « mauvais » résultat doit être mentionnée pour tous les cas dans cette catégorie, afin d’aider le chirurgien à décider si, pour améliorer les résultats, il est nécessaire de modifier les pratiques en cours. On distingue quatre catégories de causes pouvant mener à de mauvais résultats :

  • Sélection : facteurs de risque liés au patient, par exemple, co-morbidité affectant la vue.
  • Chirurgie : complications chirurgicales immédiates ou postopératoires.
  • Lunettes : vice de réfraction non corrigé, implant de puissance inappropriée.

Séquelles : complications postopératoires tardives. Il est relativement facile de modifier les procédures chirurgicales et les conditions de distribution des corrections optiques. Les procédures de sélection peuvent également être modifiées, mais la chirurgie ne doit pas être refusée aux patients si leur vue a une chance acceptable d’être améliorée par la chirurgie de la cataracte. Les séquelles postopératoires tardives sont plus difficiles à contrôler.

Lorsque plus d’un chirurgien opèrent, toutes les données peuvent être entrées sur un même formulaire. Sinon, chaque chirurgien peut remplir le sien. Cette seconde possibilité permet à chacun de suivre ses propres résultats dans le temps. Cependant le nombre d’interventions doit être suffisant pour permettre une interprétation pertinente des résultats.

2. Programme informatique (MS-DOS)

Ce programme est configuré sous Epi-Info 6,04 et fonctionne sous MS-DOS et Windows. Il peut fonctionner sur tout ordinateur IBM compatible disposant de 5 Mo d’espace disque. La collecte de données pour les deux systèmes informatiques est réalisée avec le formulaire chirurgical standard de la cataracte (Figure 2). Les données provenant de ce formulaire sont entrées dans l’ordinateur.

3. Programme informatique (Windows)

Ce programme est configuré sous FoxPro 6,0 et fonctionne sous Windows uniquement. Il est recommandé de disposer d’un Pentium d’au moins 190 MHz, et d’au moins 8 Mo d’espace disque. Les rapports produits par les deux programmes sont rigoureusement identiques, mais les graphiques du programme Windows sont de meilleure qualité et font apparaître les tableaux de données. Les utilisateurs familiers de Epi-Info peuvent personnaliser l’analyse avec le programme DOS.

Rapport continu

Le rapport continu présente les enregistrements par ordre chronologique (date d’opération) et par groupes de 100. Cela permet à l’utilisateur de suivre les tendances au cours du temps et d’avoir des pourcentages pertinents. Le rapport fournit les tableaux suivants :

  1. Complications opératoires : total et types de complications
  2. Pourcentage de bons, moyens et mauvais résultats à la sortie
  3. Cause de mauvais résultat (AV <0,10 ; < 6/60) à la sortie
  4. Pourcentage de bons, moyens, mauvais résultats 4 semaines ou plus après la sortie
  5. Cause de mauvais résultats (AV <0,10 < 6/60) 4 semaines ou plus après la sortie.

Le rapport continu peut être utilisé pour évaluer les résultats de la cataracte à n’importe quel moment. Attention à bien interpréter les pourcentages lorsque moins de 100 enregistrements ont été entrés.

Figure 3. Proportion de bons/moyens/mauvais résultats à 12 semaines ou plus après l’intervention, pour 100 yeux opérés
Figure 3. Proportion de bons/moyens/mauvais résultats à 12 semaines ou plus après l’intervention, pour 100 yeux opérés

Rapport annuel

La meilleure utilisation du rapport annuel est l’évaluation des résultats pour toute l’année, il permet aussi l’analyse des données d’un mois en particulier. Les tableaux suivants sont disponibles :

  1. Tranche d’âge et sexe des patients opérés
  2. Nombre d’interventions sur un premier œil et sur un second œil
  3. Proportion de pathologie oculaire connue dans l’œil opéré
  4. Acuité visuelle de l’œil opéré avant l’intervention, à la sortie, et au cours du suivi
  5. Acuité visuelle du meilleur œil avant l’intervention, à la sortie, et au cours suivi
  6. Bon/moyen/mauvais résultat à la sortie mois par mois (avec AV)
  7. Proportion de bons/moyens/mauvais résultats au cours du suivi (avec AV)
  8. Complications opératoires et types de complication par mois
  9. Complications opératoires par lieu d’intervention chirurgicale
  10. Complications chirurgicales par chirurgiens
  11. Complications chirurgicales par pathologie oculaire additionnelle
  12. Complications chirurgicales par type d’intervention
  13. Causes de mauvais résultats à la sortie et lors du suivi
  14. Pourcentage de mauvais résultats visuels à la sortie et lors du suivi, par type et lieu d’intervention.

Tandis que le système de fiche de pointage manuel ne peut enregistrer qu’une seule visite de suivi à quatre semaines ou plus après l’opération, le système informatique peut enregistrer, lui, trois visites de suivi : à 1-3 semaines, 4-11 semaines et 12 semaines ou plus après l’opération. L’étude pilote a montré que les meilleurs résultats visuels étaient obtenus au moins six mois après l’intervention chirurgicale et que les objectifs en matière de résultats visuels de l’Organisation Mondiale de la Santé étaient réalistes.5 Dans beaucoup de pays, les patients ne reviennent pas tous après l’opération. L’étude pilote a montré que les résultats des patients revenant se soumettre à un suivi sont similaires à ceux des patients qui ne sont pas revenus mais ont été visités à domicile.

Les diagrammes en bâtons représentant la proportion de bons, moyens et mauvais résultats par groupes de 100 yeux opérés (Figure 3) devraient être affichés dans les salles d’opération.

Les recommandations suivantes sont utiles pour évaluer la qualité :

  • Proportion de cas avec implant : un pourcentage cible peut être déterminé en fonction des conditions locales ; – S’il est inférieur, améliorer la disponibilité et le prix des implants et s’assurer que tous les chirurgiens sont à même de poser un implant intra-oculaire, et qu’ils sont bien équipés.
  • Le pourcentage de complications doit être inférieur à 10 %, avec rupture de la capsule postérieure et perte d’humeur vitrée, chacun ne dépassant pas 5 % ; -S’il est supérieur, améliorer la technique chirurgicale en demandant conseil à un chirurgien de la cataracte performant et expérimenté. S’assurer également que tous les chirurgiens sont bien formés à la pose d’implants intraoculaires, et qu’ils sont bien équipés.
  • À la sortie, plus de 50 % des cas doivent avoir une bonne vision et moins de 10 % de mauvais résultats ;
  • À au moins quatre semaines après l’intervention, plus de 80 % des cas doivent avoir une bonne vue et moins de 5 % de mauvais résultats ;
  • À quatre semaines ou plus après l’intervention, plus de 90 % des cas doivent avoir une bonne vue avec la meilleure correction et moins de 5 % de mauvais résultats ; – Sinon, analyser les causes des mauvais résultats. Si elles sont chirurgicales, prendre les mesures indiquées ci-dessus. Si c’est la réfraction, fournir tout au moins les meilleures lunettes de correction sphérique qui soient et à un prix abordable.
  • La tendance dans le temps est stable en dehors des limites d’excellence recommandées, ou s’aggrave ; – Analyser attentivement les raisons du manque d’amélioration et traiter les problèmes décelés.

L’OMS recommande à tous les chirurgiens de l’œil de suivre leurs propres résultats dans le temps, et d’identifier les causes des mauvais résultats (sélection, opération, corrections, séquelles). S’attaquer à ces causes est de nature à améliorer les résultats à venir de la chirurgie de la cataracte. Le suivi des résultats est une composante essentielle de la formation à la chirurgie de la cataracte. L’évaluation de la qualité et son amélioration doivent devenir une pratique courante indispensable.

Références

1. Zhao J, Sui R, Jia L, Fletcher AE, Ellwein LB. Visual acuity and quality of life outcomes in patients with cataract in Shunyi County, China. Am J Ophthalmol 1998; 126: 515-523.

2. He M, Xu J, Li S, Wu K, Munoz S, Ellwein LB, et al. Visual acuity and quality of life in patients with cataract in Doumen County, China. Ophthalmology 1999; 106: 1609-1615.

3. Limburg H, Foster A, Vaidyanathan K, Murthy GVS. Monitoring visual outcome of cataract surgery in India. Bull WHO 1999; 77: 455-460.

4. Dandona L, Dandona R, Naduvilath TJ, McCarthy CA, Mandal P, Srinivas M, et al. Population-based assessment of the outcome of cataract surgery in an urban population in southern India. Am J Ophthalmol 1999; 127: 650-658.

5. Limburg H, Foster A, Gilbert C, Johnson GJ, Kyndt M. Routine monitoring of cataract outcome – results from eight study centres. Submitted for publication.

Note : Cet article a été précédemment publié dans Community Eye Health, n°44, Vol 15, 2002.