Endophtalmie : comment lutter contre l’infection avant et après la chirurgie de la cataracte
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L’endophtalmie est une complication postopératoire rare, mais grave, de la chirurgie de la cataracte. Elle peut avoir des conséquences accablantes pour la vision du patient : certains patients perdent toute perception lumineuse.
Selon certaines études, l’incidence de l’endophtalmie se situe entre 0,13 % et 0,7 %1. Les bactéries de la surface de l’œil du patient (cornée, conjonctive) et des annexes de l’œil (glandes lacrymales, paupières et muscles oculomoteurs) sont considérées comme la source primaire de cette infection intraoculaire2. Les bactéries le plus souvent identifiées sont des coques Gram-positifs à coagulase négative (Staphylococcus epidermidis, principalement), qui sont isolés dans plus de 70 % des cas à culture positive2. Chez les patients à culture positive, le staphylocoque doré est isolé dans 10 % des cas, des streptocoques dans 9 % des cas, des entérocoques dans 2 % des cas, et d’autres espèces Gram-positives dans 3 % des cas1. Les bactéries à Gram négatif ne sont responsables que de 6 % des cas à culture positive ; toutefois, une infection par ce type de bactérie, tout particulièrement Pseudomonas aeruginosa, peut avoir des conséquences visuelles très graves1,3.
Conseils pour la prophylaxie de l’endophtalmie
- Instiller un collyre à la bétadine à 5 % avant l’intervention
- Placer soigneusement un champ opératoire sur les paupières et les cils avant l’intervention
- Utiliser des gants, des blouses et des masques stériles
- Réaliser des incisions étanches, de préférence en trois plans
- Prendre en charge efficacement les complications (par ex. rupture capsulaire)
- Les optiques de LIO en acrylique sont à préférer aux optiques en silicone
- Administrer une injection intracamérulaire de céfuroxime à la fin de l’intervention (1 mg dans 0,1 ml de solution isotonique salée).
Facteurs de risque préopératoires
Les affections ou conditions qui augmentent la présence de bactéries à la surface de l’œil sont des facteurs de risque pour le développement de l’endophtalmie1. Ces affections comprennent, entre autres, blépharite, conjonctivite, canaliculite, obstruction des glandes lacrymales, le port de lentilles de contact et la présence d’une prothèse oculaire dans l’orbite de l’œil adelphe.
Les anomalies palpébrales, en particulier la présence d’un entropion, augmentent également le risque d’endophtalmie. Il est souhaitable de corriger ou traiter ces facteurs de risque avant la chirurgie de la cataracte afin de diminuer le risque infectieux.
Il a également été montré que la prise récente d’un traitement immunosuppresseur, ainsi que des antécédents d’immunosuppression, sont des facteurs de risque significatifs pour l’endophtalmie4.
Préparation du patient
La préparation méticuleuse du patient avant la chirurgie de la cataracte est probablement le facteur qui contribue le plus à diminuer le risque d’endophtalmie. Certaines études ont montré que l’instillation locale de bétadine (povidone iodée) à 5 % dans le sac conjonctival avant l’intervention (voir page 8, Figure 1) réduit le risque d’endophtalmie de façon significative ; ceci est maintenant considéré comme faisant partie de la conduite à tenir en préopératoire2-4. L’effet microbicide de la bétadine se produit dans la minute qui suit l’instillation ; la bétadine tue 96,7 % des bactéries et cet effet dure au moins une heure5. La bétadine semble réduire plus efficacement l’infection qu’un traitement antibiotique préopératoire1,2.
Dans la mesure où les bactéries responsables de l’endophtalmie proviennent le plus fréquemment des paupières du patient, il est très important de recouvrir méticuleusement les paupières et les cils avec un champ (Figure 1) pour réduire la présence de bactéries dans le champ opératoire, ce qui en retour diminuera le risque d’endophtalmie1,2. Il n’est pas recommandé de couper les cils : cette pratique ne réduit pas la flore bactérienne périoculaire et ne diminue pas le risque d’endophtalmie5.
Préparation du chirurgien
La conduite à tenir comprend le nettoyage correct des mains (voir page 20), suivi par l’utilisation de gants et de blouses stériles. Par contre, l’utilisation des masques chirurgicaux a donné lieu à beaucoup de discussions. Une étude dans laquelle des boîtes de culture ont été placées dans le champ opératoire a montré que le port du masque chirurgical réduit de façon significative le nombre de germes6. Toutefois, d’autres études ont montré que le port du masque ne diminuait en rien la présence de bactéries en suspension dans l’air au bloc opératoire et n’avait pas non plus d’effet sur le taux d’infection des plaies en chirurgie générale6. Il y a d’autres arguments contre les masques chirurgicaux, à savoir, ils augmentent la condensation sur les microscopes opératoires, ce qui peut obscurcir la vue du chirurgien, il se peut qu’ils produisent un frottement qui entraîne la présence de squames de l’épiderme du visage dans le champ opératoire, et ils sont un obstacle à la communication6. Cela étant dit, une étude rétrospective récente a démontré que le port du masque chirurgical par le chirurgien et par l’aide opératoire diminue de façon significative le risque d’endophtalmie (p <0,001)4. Pour conclure, étant donné les conséquences accablantes de l’endophtalmie, nous recommandons le port du masque chirurgical.
Note : Le masque doit être porté correctement : il doit complètement recouvrir le nez, la bouche et le menton (Figure 2) et il ne doit jamais être porté autour du cou.
Technique chirurgicale et facteurs peropératoires
Incisions
Les incisions en cornée transparente couramment utilisées pour la phacoémulsification sont liées à un risque d’endophtalmie qui est significativement plus important que le risque lié aux incisions scérales tunnelisées (sans suture)2,8. Ceci s’explique peutêtre par des différences entre les deux types d’incision concernant la cicatrisation de la plaie et sa non-étanchéité potentielle. L’incidence d’une chambre antérieure effacée est plus élevée dans le cas d’une incision en cornée transparente que dans celui d’une incision sclérale tunnelisée2. Les incisions temporales en cornée transparente mettent plus de temps à cicatriser que les incisions sclérales tunnelisées et elles entraînent aussi plus souvent une boutonnière ou un traumatisme, ce qui facilite la pénétration de bactéries dans l’œil2.
Il est important de réaliser une incision cornéenne étanche pour réduire le risque d’infection intraoculaire. Une incision en cornée transparente directe et en deux plans risque de ne pas être étanche ; il est préférable de réaliser une incision en trois plans2. Si vous débutez votre incision dans la région vascularisée du limbe, ceci entraînera une réaction fibroblastique plus importante, ce qui est susceptible de favoriser la cicatrisation2. Les incisions cornéennes plus longues sont plus stables que les incisions les plus courtes, ce qui peut donc diminuer le risque de non-étanchéité et le risque d’endophtalmie2,9.
Complications
Les complications chirurgicales, en particulier une déchirure de la capsule postérieure, peuvent augmenter de façon significative le risque d’endophtalmie4,8. Ceci s’observe également dans les études animales. Une étude chez le singe, dans laquelle les auteurs avaient inoculé des bactéries dans la chambre antérieure, a montré que la capsule postérieure servait de barrière au développement de l’endophtalmie4. Une autre étude, chez le lapin, a montré que l’injection de bactéries dans le vitré entraînait plus facilement une endophtalmie que l’injection de bactéries en chambre antérieure4. Le lien entre endophtalmie et complications chirurgicales explique peut-être pourquoi l’endophtalmie est plus fréquente lorsque le chirurgien est plus expérimenté, les chirurgiens plus chevronnés ayant tendance à opérer les cas qui sont les plus difficiles techniquement4,8.
Lentilles intraoculaires
Le type de lentille intraoculaire (LIO) utilisé peut influer sur le risque d’endophtalmie. L’utilisation d’une LIO à optique en silicone comporte un risque d’endophtalmie plus élevé que celui lié à l’utilisation d’une LIO à optique en acrylique. Il est peu probable que ceci soit imputable au caractère hydrophobe du silicone, dans la mesure où une comparaison entre lentilles hydrophobes et hydrophiles a démontré qu’il n’y avait aucune différence entre les taux d’endophtalmie associés aux unes et aux autres. Il est plus probable que cette différence entre les risques d’endophtalmie associés à l’usage d’optiques en silicone ou en acrylique s’explique par l’interaction entre le biofilm et la surface de la lentille8. Le matériau utilisé pour l’haptique et le type de LIO (monobloc ou plusieurs pièces) ne semble pas influer sur l’incidence d’endophtalmie8. L’utilisation de LIO injectables comporte un risque d’endophtalmie moins élevé, peut-être en raison du fait que la LIO n’entre pas en contact avec le film lacrymal. Toutefois, il existe souvent une forte corrélation entre le mode d’insertion de la LIO (pince ou injecteur) et le site d’incision (incision sclérale tunnelisée ou en cornée transparente) ; on considère que c’est le site d’incision qui est le facteur de risque le plus important8.
Antibiotiques
Nous n’avons guère de preuves que l’utilisation d’antibiotiques dans le liquide d’irrigation durant l’intervention permet de diminuer le risque d’endophtalmie. La vancomycine est l’antibiotique le plus couramment utilisé dans le liquide d’irrigation, en raison de son action contre les bactéries Gram-positives. Toutefois, la demi-vie de la vancomycine dans la chambre antérieure est inférieure à deux heures ; en outre, la vancomycine n’atteint pas dans la chambre antérieure une concentration supérieure à CMI 90 pour les bactéries Gram-positives les plus courantes (la concentration minimale inhibitrice ou CMI 90 étant la concentration d’antibiotique à laquelle 90 % des bactéries sont détruites)1,2. L’usage peropératoire de la vancomycine est maintenant déconseillé2,4, en raison de certaines inquiétudes concernant l’émergence d’une résistance à la vancomycine, alliées au fait que l’on sait que la présence d’antibiotiques dans le liquide d’irrigation ne protège pas contre l’endophtalmie.
En revanche, l’injection intracamérulaire de céfuroxime (1 mg dans 0,1 ml de solution isotonique salée) à la fin de l’intervention a entraîné une diminution du nombre de cas d’endophtalmie. La Société européenne de chirurgie de la cataracte et de chirurgie réfractive (ESCRS) a prématurément mis un terme à l’étude multicentrique qu’elle avait mise en place, quand il est apparu que l’absence d’une injection de céfuroxime à la fin de l’intervention était associée à un risque d’endophtalmie cinq à six fois plus élevé (voir page 17)8.
Le céfuroxime semble également avoir un effet prophylactique contre l’endophtalmie lorsqu’il est administré en injection sousconjonctivale à la fin de l’intervention. La concentration de céfuroxime dans la chambre antérieure atteint un niveau thérapeutique 12 à 24 minutes après l’injection sous-conjonctivale et cette concentration continue d’augmenter après deux heures4. Il existe un certain nombre de preuves à cet effet : il a été montré que d’autres antibiotiques administrés par voie sous-conjonctivale réduisent le risque d’endophtalmie4.
Traitement et suivi postopératoires
Nous manquons de données pour déterminer si l’usage d’antibiotiques locaux en postopératoire permet de réduire efficacement le taux de survenue d’endophtalmies, bien qu’il s’agisse d’une pratique très répandue parmi les chirurgiens1 . Si l’opération de la cataracte s’est déroulée sans complication, il n’est pas nécessaire de pratiquer un examen de routine au premier jour postopératoire, en raison du faible taux de complications pouvant menacer la vue 10. Par contre, il est préférable d’examiner un patient au premier jour postopératoire si l’intervention ne s’est pas déroulée simplement, ou si l’ œil opéré présentait une pathologie concomitante (par exemple uvéite ou glaucome), ou s’il s’agissait d’un œil unique et si le patient n’a pas facilement accès à des services de santé oculaire10.
Résumé
De nombreux facteurs sont susceptibles d’entraîner une endophtalmie. Il est admis que les bactéries responsables proviennent de la surface de l’ œil du patient ou des annexes de l’ œil. Par conséquent, si vous prenez certaines mesures simples dans la préparation du patient (en particulier l’instillation de bétadine et le placement soigneux de champs opératoires pour isoler les paupières et les cils), celles-ci diminueront de façon spectaculaire les taux d’endophtalmie. L’utilisation d’antibiotiques en fin d’opération est également recommandée, tout particulièrement l’injection de céfuroxime dans la chambre antérieure ou sous la conjonctive.
Protocole pour le traitement de l’endophtalmie
- Hospitaliser le patient, arrêter son traitement antibiotique et préparer le patient pour le bloc opératoire.
- Réaliser une ponction de vitré avec ou sans capsulectomie.
- Administrer par injection intravitréenne 2 mg de vancomycine et 2 mg de céfuroxime ou ceftazidime (ou 0,5 mg d’amikacine si le patient est allergique aux pénicillines).
- Administrer par injection sousconjonctivale 50 mg de vancomycine et 125 mg de céfuroxime ou ceftazidime (ou 50 mg d’amikacine si le patient est allergique aux pénicillines).
- Faire analyser l’échantillon de vitré (examen au microscope et mise en culture).
- Contrôler le niveau de douleur éprouvé par le patient. Si la douleur s’atténue, cela signifie que l’infection commence à être maîtrisée.
- Commencer à instiller un collyre à 5 % de vancomycine et 5 % de ceftazidime toutes les heures.
- Si le segment postérieur n’est pas visible, réaliser si possible une échographie B.
- S’il ne se produit aucune amélioration au cours des premières 24 heures, envisager de renouveler la ponction de vitré et les injections d’antibiotiques.
- Envisager un traitement corticoïde par voie locale ou générale si vous êtes certain(e) que l’infection est en passe d’être maîtrisée (c’est-à-dire, la douleur s’atténue, les chaînes de fibrine se contractent, l’hypopyon diminue).
- Diminuer progressivement le traitement en fonction de la réaction du patient et des résultats de la mise en culture.
- Informer le patient de toute amélioration.
Note : La vancomycine et le céfuroxime (ou la ceftazidime) ne doivent pas être mélangés dans une même seringue. Injectez-les en utilisant deux seringues différentes.
Reproduit avec l’aimable autorisation du Royal College of Ophthalmologists, Royaume-Uni
Références
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