RSOC Vol. 04 No. 03 2007 pp 12 - 13. Publié en ligne 01 janvier 2007.

Dépistage et traitement des cas de glaucome chronique en Afrique rurale : quelques questions et réponses

Colin Cook

Ophtalmologiste CBMI, Groote Schuur Hospital VISION 2020 Project, Cape Town, Afrique du Sud.

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Les agents de santé primaire (infirmiers de clinique, agents de santé communautaires, guérisseurs traditionnels et autres) qui travaillent au sein de la communauté et dans des centres de santé primaire, devraient être impliqués dans le dépistage de patients atteints de glaucome.

Comment dépister des cas au niveau primaire ?

La recherche de cas de glaucome peut être intégrée dans le cursus de formation en santé primaire. Les agents de santé primaire peuvent dépister les cas de glaucome de la façon suivante :

  1. Mesure de l’acuité visuelle (« normale » ou « réduite »)
  2. Examen de la couleur de la pupille (« noire » ou « blanche »)
  3. Acuité visuelle réduite dans un œil ou les deux + pupille noire = « cécité avec pupille noire » / perte visuelle (« glaucome ») → Orienter le patient vers le niveau secondaire.

Dans un grand nombre de cas, la perte visuelle des patients atteints de « cécité avec pupille noire » n’est pas due au glaucome, mais ils peuvent présenter un défaut de réfraction ou une autre pathologie nécessitant de toutes façons une prise en charge au niveau secondaire.

Les agents de santé primaire pourraient examiner ainsi toutes les personnes âgées de plus de 40 ans se présentant à eux pour une raison quelconque ; ce dépistage pourrait être fait au moins tous les deux ans.

Comment dépister des cas au niveau secondaire ?

Les infirmiers spécialisés en ophtalmologie et les techniciens supérieurs en ophtalmologie pourraient rechercher des cas de glaucome au niveau secondaire. Dans le cadre de leur cursus, ces groupes professionnels spécialisés en ophtalmologie pourraient être formés au dépistage de cas de glaucome par :

1. Examen de la papille optique et estimation du ratio « cup/disc » vertical

2. Tonométrie (mesure de la pression intraoculaire ou PIO avec un tonomètre de Schiötz ou un tonomètre à aplanation)

  • PIO avec tonomètre de Schiötz < 28 mm Hg + ratio cup/disc vertical < 0,6 → sujet « normal »
  • PIO avec tonomètre de Schiötz ≥ 28 mm Hg + ratio cup/disc vertical < 0,6 → « suspicion de glaucome » → Orienter le patient vers le niveau tertiaire pour confirmation du diagnostic et traitement
  • PIO avec tonomètre de Schiötz < 28 mm Hg + ratio cup/disc vertical ≥ 0,6 → « suspicion de glaucome » → Orienter le patient vers le niveau tertiaire pour confirmation du diagnostic et traitement
  • PIO avec tonomètre de Schiötz ≥ 28 mm Hg + ratio cup/disc vertical ≥ 0,6 → « diagnostic de glaucome » → Orienter le patient vers le niveau tertiaire pour confirmation du diagnostic et traitement.

Les agents de santé au niveau secondaire pourraient examiner ainsi systématiquement toutes les personnes âgées de plus de 40 ans se présentant à eux pour une raison quelconque ; ce dépistage pourrait être fait au moins tous les deux ans. Bien qu’il soit possible de corriger la presbytie au niveau primaire, on pourrait limiter sa prise en charge au niveau secondaire : ceci fournirait l’occasion de dépister le glaucome parmi les patients.

Comment confirmer le diagnostic au niveau tertiaire ?

Tous les cas de « suspicion de glaucome » et les « diagnostics de glaucome » doivent être examinés par un ophtalmologiste au niveau de santé tertiaire, d’abord pour confirmer le diagnostic, mais aussi pour mettre en œuvre le traitement. Le relevé du champ visuel permet de confirmer le diagnostic, mais chez certains patients ce test ne sera pas réalisable ou pas fiable. Dans les cas où l’examen du champ visuel ne paraît pas réalisable ou pas fiable, il faut se fier uniquement à la mesure de la PIO et à l’examen de la papille optique.

Le traitement au niveau tertiaire : doit-il être médical ou chirurgical ?

Quels sont les arguments en faveur du traitement médical ?

  • Le traitement médical permet d’éviter la gêne et les dépenses occasionnées par une opération chirurgicale, ainsi que les risques inhérents à toute intervention.

Quels sont les arguments contre le traitement médical ?

  • Il est onéreux, il doit être poursuivi durant toute la vie, il occasionne des effets secondaires désagréables ; la posologie peut prêter à confusion ; les patients ont parfois du mal à obtenir et à entreposer les médicaments ; l’observance du traitement est mauvaise ; les prestataires de soins ont parfois du mal à s’approvisionner en médicaments de façon fiable.

Quels sont les arguments contre le traitement chirurgical ?

Il n’est pas réalisation simple, il coûte cher et comporte un risque ; l’intervention peut échouer.

Quels sont les arguments en faveur du traitement chirurgical ?

  • Une intervention chirurgicale revient moins cher à long terme que le traitement médical et elle permet de mieux contrôler la PIO. En outre, le déficit de champ visuel est moins important que lorsque le patient suit un traitement médical.

Après avoir pesé le pour et le contre, nous sommes arrivés aux conclusions suivantes :

  1. Dans nos programmes de prévention de la cécité, le glaucome doit avant tout être considéré comme une affection nécessitant un traitement chirurgical plutôt que médical.
  2. Le traitement envisagé est une trabéculectomie en première intention (avec traitement complémentaire par agent cytotoxique ou bêtathérapie par application de strontium 90, s’il y a un risque de fibrose et d’échec de la bulle de filtration).
  3. Il faut réserver le traitement médical pour les cas d’échec du traitement chirurgical (soit fibrose avec défaut de filtration, soit mauvais contrôle de la PIO après une trabéculectomie).

Qu’en est-il du suivi de cas ?

Le suivi des patients ayant subi une intervention chirurgicale peut se pratiquer au niveau secondaire. Dans la mesure où le contrôle de la PIO est adéquat, on peut examiner ces patients tous les 6 mois ; durant cet examen de suivi, il faut mesurer l’acuité visuelle et la PIO et examiner la papille optique.

L’infirmier spécialisé en ophtalmologie / le technicien supérieur en ophtalmologie doit tenir à jour un registre des cas de glaucome dans son district sanitaire, afin que l’on puisse contacter les patients qui ne se présentent pas pour leur suivi.

Il faut s’assurer qu’un ou plusieurs membres de la famille du patient atteint de glaucome sont présents durant l’examen.

Pourquoi ne pas estimer un Taux de Chirurgie du Glaucome (TCG) ?

Nous utilisons un taux de chirurgie de la cataracte (TCC) lorsque nous organisons des services de prise le charge de la cataracte. Serait-ce utile de prendre en compte un « taux de chirurgie du glaucome » dans la mise en place et l’évaluation des services de prise en charge du glaucome ?

En se basant sur quelques hypothèses, on pourrait calculer un « TCG » de la façon suivante :

  1. Dans une population d’un million de personnes, les personnes de plus de 40 ans à risque de développer un glaucome représentent une proportion de 25 %, soit 250 000 personnes.
  2. La prévalence du glaucome chez les personnes âgées de plus de 40 ans est estimée entre 1 et 2 %, ce qui donne entre 2 500 et 5 000 cas (en Afrique, cette prévalence doit être multipliée par deux).
  3. Parmi ces 5 000 cas, 50 % présentent un glaucome aux premiers stades, 10 % sont déjà aveugles et 40 % (2 000 personnes) présentent un glaucome modéré, que l’on peut détecter et traiter.
  4. Au fur et à mesure que leur glaucome évolue, les patients passent progressivement du stade de début à un stade intermédiaire, puis à un stade avancé. On peut estimer qu’il s’écoule dix ans environ entre les premiers signes de glaucome et la survenue de la cécité et qu’il faut quatre ans pour passer du stade de début au stade intermédiaire.
  5. Les cas présentant un glaucome à un stade intermédiaire représentent le groupe-cible prioritaire en ce qui concerne la détection de cas au sein de la communauté et la prise en charge chirurgicale.
  6. Par conséquent, chaque année, le taux de chirurgie du glaucome devrait être de 500 par million de personnes.

Les estimations de la prévalence, de l’incidence et du taux d’évolution de la maladie sont basées sur trop d’hypothèses pour que ce taux de chirurgie du glaucome soit fiable. On peut cependant considérer que ce chiffre de 500 par million de personnes par an représente le minimum d’interventions fistulisantes que nous devrions réaliser.

Comment aborder le glaucome dans un programme de prévention de la cécité : résumé

1. Dans une population d’un million de personnes, on estime à 2 000 le nombre d’individus présentant un glaucome modéré, que l’on peut détecter et traiter.

2. Le dépistage au niveau primaire peut se faire de la façon suivante :

  • mesure de l’acuité visuelle et examen de la couleur de la pupille
  • dépistage de toutes les personnes de plus de 40 ans, quel que soit le motif de leur visite
  • acuité visuelle réduite + pupille de couleur noire = « cécité avec pupille noire » (« glaucome ») ; aiguiller le patient vers le niveau secondaire.

3. Le dépistage au niveau secondaire peut se faire de la façon suivante :

  • mesure de la PIO et examen de la papille optique
  • dépistage de toutes les personnes de plus de 40 ans, quel que soit le motif de leur visite
  • il faut classer les patients en « sujet normal », « suspicion de glaucome » ou « diagnostic de glaucome », en fonction de leur PIO (< 28 mm Hg ou ≥ 28 mm Hg) et de leur ratio cup/disc vertical (< 0,6 ou ≥ 0,6).

4. Au niveau tertiaire, le diagnostic peut être confirmé par un examen plus complet (avec ou sans champ visuel).

5. Le glaucome doit être traité de la façon suivante :

  • le premier traitement envisagé est une trabéculectomie en première intention (avec traitement complémentaire si nécessaire). Le taux de chirurgie du glaucome doit s’élever à 500 par million de personnes par an
  • il faut recourir au traitement médical lorsque la trabéculectomie n’a pas réussi à contrôler la PIO.

6. Les patients dont la PIO a été contrôlée avec succès par une trabéculectomie doivent être suivis au niveau secondaire par des examens réguliers effectués tous les 6 mois. L’existence d’un registre (régulièrement tenu à jour) établissant la liste des patients atteints de glaucome permet de s’assurer que tous les patients sont suivis.