Complications de la chirurgie de la cataracte
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Il n’y a pas de situation plus consternante pour le chirurgien que l’échec d’une opération de la cataracte et il n’y en a pas de plus désolante pour le patient qui l’a subie. Ceci est d’autant plus vrai que cette intervention est celle dont chacun, chirurgien et patient, attend la réussite avec le plus d’assurance.
Les trente dernières années du XXème siècle ont en effet apporté des solutions presque parfaites non seulement aux techniques d’extraction, mais aussi aux solutions réfractives postopératoires. Microchirurgie, implantation, chirurgie à petite incision sans suture, phakoémulsification et anesthésie topique ont radicalement modifié le cours de l’intervention, sa pénibilité et la réfraction postopératoire.
Il n’en reste pas moins que l’opération de la cataracte est encore de nos jours une intervention mal partagée dans ses indications, dans sa réalisation et dans ses résultats. Non seulement parce qu’elle représente l’une des causes majeures de cécité dans les pays en développement, mais aussi parce que les progrès techniques qui ont accompagné son évolution exigent une formation très spécifique. Dans les pays industrialisés, le traitement de la cataracte s’assortit rarement de complications. Toutefois, la persistance de ces dernières démontre pourtant que, même réalisée dans les meilleures conditions techniques, avec une parfaite asepsie et par un chirurgien très entraîné, une intervention de cataracte peut réserver quelques bien mauvaises surprises.
Les complications opératoires de la cataracte sont d’inégale importance. Nombre de petits incidents liés à l’incision, une blessure de l’iris, un saignement profus, une capsulotomie irrégulière ou filée, trouvent leur solution dans l’immédiat. Il ne faut toutefois pas négliger la part d’une incision imparfaite et mal suturée qui peut être à l’origine d’un astigmatisme postopératoire inappareillable optiquement. Les complications beaucoup plus graves, dont l’issue peut être redoutable, sont la rupture capsulaire, l’issue de vitré ou la luxation du noyau ou du cristallin dans le vitré, et l’endophtalmie.
Importance des mauvais résultats visuels
Dans la perspective de VISION 2020 : le Droit à la Vue, il apparaît essentiel de relever le défi de réduire considérablement, en quelques années, le nombre des patients en attente d’intervention. Il s’agit de leur assurer une probabilité de succès sinon égale à celle des meilleures équipes, du moins plus élevée que celle qui ressort des statistiques que nous avons consultées. Ainsi, des études menées au Bangladesh1, au Kenya2 et au Pakistan3 ont montré que les résultats visuels obtenus, certes loin d’être négligeables, étaient cependant mauvais (soit acuité visuelle avec correction portée <1/10) pour 28 % des patients (voir Tableau 1). Parmi ces mauvais résultats, un premier tiers des cas revient à la difficulté d’obtenir des lunettes adaptées. Un second tiers est à mettre au compte d’une erreur de sélection des candidats à l’opération. Les authentiques complications opératoires représentent environ 25 % des mauvais résultats. La fréquence des complications reste donc importante et donne la mesure de l’effort qui doit être entrepris pour en réduire le nombre. Tableau 1. Causes des mauvais résultats visuels (acuité visuelle avec correction portée <1/10)
% du nombre total d’opérations ayant entraîné un mauvais résultat visuel | Causes des mauvais résultats : Absence de lunettes adaptées | Causes des mauvais résultats : Sélection des candidats à l’opération | Causes des mauvais résultats : Complications opératoires | |
---|---|---|---|---|
Bangladesh1 | 28 % | 37 % | 41 % | 22 % |
Kenya2 | 22 % | 34 % | 36 % | 30 % |
Pakistan3 | 34 % | 36 % | 39 % | 25 % |
Se préparer au pire
La décision d’opérer une cataracte engage la plus redoutable des responsabilités pour un ophtalmologiste. En effet, celui-ci s’engage, se propose de restaurer la vision à un patient qui l’a perdue, patient qui lui n’imagine nullement que la restauration visuelle ne soit pas au rendez-vous.
Cet engagement ne peut être pris qu’assorti d’une probabilité de succès raisonnable. Pour réussir une intervention et gagner, en somme, la « bataille » contre les complications, il faut, avant de s’engager, imaginer comment cette bataille pourrait être perdue et estimer les risques.
Le risque est heureusement faible dans de nombreuses circonstances mais, hélas, il est plus élevé lorsque l’examen révèle, par exemple, les indices d’une fragilité capsulaire, une subluxation du cristallin, une pseudoexfoliation capsulaire, des séquelles inflammatoires, un œdème cornéen, une cornea guttata, une myopie forte, une hypermétropie associée à une chambre antérieure étroite : tous ces signes laissent présager des difficultés techniques auxquelles il faut se préparer. Sans oublier la découverte au fond d’ œil d’une maculopathie dégénérative, d’une atrophie optique, des séquelles d’une thrombose veineuse, qui rendront vaine l’extraction du cristallin. Il ne faut pas non plus négliger les « grandes » pathologies générales, hypertensive, diabétique, sanguine, hémostatique, qui réserveront aux conditions opératoires des situations embarrassantes. Il nous faut aussi craindre l’obésité, ainsi que les hypertonies oculaires peropératoires, et redouter les anesthésies imparfaites qui chez un sujet indocile peuvent compromettre irréversiblement la conduite de l’intervention.
Entraînement du chirurgien et plateau technique
Les complications de la chirurgie de la cataracte sont également inhérentes à l’intervention elle-même. Elles sont largement tributaires de l’entraînement du chirurgien, d’une part, et de l’environnement technique dont il dispose, d’autre part.
La survenue de ces incidents dépend strictement de la qualité du premier temps opératoire, donc de la formation des chirurgiens de la cataracte. Même lorsque le plateau technique peut être considéré comme « nécessaire et suffisant », il n’en reste pas moins vrai que ce sont les mains du chirurgien qui pratiquent l’extraction du cristallin et mènent au succès opératoire et à la réhabilitation visuelle. L’expérience du chirurgien parviendra à assurer la prévention de la plupart des complications qui peuvent survenir au cours ou au décours de la chirurgie de la cataracte (voir l’article page 8).
Dans certains contextes, le chirurgien sera confronté à la survenue de complications pour lesquelles ni son habileté, ni son savoir, ni son expérience ne pourront rien, faute de pouvoir utiliser l’instrumentation nécessaire. Il est indispensable que le service dispose de l’outillage adéquat. Les complications capsulovitréennes ne pourront être traitées avec efficacité que par des mains expertes dans un centre spécialisé disposant d’un vitréotome ou par un chirurgien sachant pratiquer une vitrectomie « à l’éponge et aux ciseaux » (voir page 13). Le cas échéant, il faut que le chirurgien ait bénéficié d’une formation spécifique au maniement du vitréotome, sans quoi il y a fort à penser qu’une rupture capsulaire compliquée ne conduise à un sévère déficit visuel.
Enfin, il faut souligner que l’incidence des complications est corrélée au stade évolutif de la cataracte à l’heure de l’intervention. Il faut mettre au compte des cataractes hypermûres, crétacées, présentées par des patients qui consultent tardivement, le pourcentage élevé de ces complications. Or, il s’agit du type de cataracte qui se rencontre le plus fréquemment dans la pratique chirurgicale des ophtalmologistes des pays en développement. Les interventions pratiquées sur des cataractes d’intensité modérée permettent un bien meilleur contrôle de la dissection capsulaire et de l’extraction nucléaire et, par voie de conséquence, occasionnent moins de complications capsulovitréennes. Les difficultés qu’affronte le chirurgien en prenant en charge une cataracte très évoluée dans le contexte d’un environnement sous-équipé et d’une formation incomplète pour répondre à un incident peropératoire expliquent donc en partie le pourcentage de 25 % de complications que nous avons mentionné plus haut. D’autant plus que de telles complications font le lit de l’endophtalmie. Les conditions aseptiques drastiques des pays « du Nord » en ont réduit l’incidence à moins de 0,30 %4, mais c’est la plus redoutable des complications de notre chirurgie oculaire et celle dont les séquelles sont souvent visuellement catastrophiques en l’absence d’un traitement immédiat et adapté (voir articles pages 14 et 17).
Conclusion
Les complications de la chirurgie de la cataracte lancent un défi, l’un des nombreux défis qui s’inscrivent dans le contexte d’une démographie médicale en décroissance, avec à la clé une pénurie d’ophtalmologistes. Mais il s’agit d’un autre problème !
Références
1 Bourne RR, Dineen BP, Huq DM, Johnson GJ. Outcomes of cataract surgery in Bangladesh ; results from a population based nationwide survey. Br J Ophthalmol 2003;87: 813-9.
2 Mathenge W, Kuper H, Limburg H, Polack S, Onyango Q, Nyaga G et al. Rapid assessment of avoidable blindness in Nakaru district, Kenya. Ophthalmology 2007;114: 599-605.
3 Bourne RR, Dineen BP, Jadoon MZ, Lee PA, Khan A, Johnson GJ, Foster A, Khan D. Outcomes of cataract surgery in Pakistan : results from the Pakistan National Blindness and Visual Impairment Survey. Br J Ophthalmol 2007;9(4): 420-6.
4 Salvanet-Bouccara A, Forestier F et al. Groupe d’étude multicentrique des endophtalmies. Endophtalmies bactériennes. Résultats ophtalmologiques d’une enquête prospective multicentrique nationale. J Fr Ophtalmol 1992;12: 669-678.