RSOC Vol. 19 No. 27 2022 pp 10-12. Publié en ligne 21 septembre 2022.

Compétences et techniques de gonioscopie

Winnie Nolan

Ophtalmologiste chef de clinique, Moorfields Eye Hospital ; Professeur adjoint de clinique, ICEH, London School of Hygiene & tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.


Adeola Onakoya

Professeur d’ophtalmologie ; Directrice des services pour le glaucome, Département d’ophtalmologie, Lagos University Teaching Hospital/ College of Medicine, University of Lagos, Nigeria.


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L’évaluation ophtalmologique des patients présentant un glaucome doit inclure une gonioscopie minutieuse.

La gonioscopie est un examen qui permet de visualiser l’angle irido-cornéen, soit la zone située entre la cornée et l’iris, où se situe le trabéculum et où s’effectue le drainage de l’humeur aqueuse. Il est nécessaire d’utiliser des verres de gonioscopie pour visualiser cet angle.

La gonioscopie permet d’identifier les structures de l’angle irido-cornéen et elle permet d’estimer la largeur de l’angle ; l’examen gonioscopique est également nécessaire durant toute intervention affectant l’angle, par exemple intervention chirurgicale classique ou au laser.

Tout ce qui entrave le drainage par le trabéculum peut entraîner une augmentation de la pression intraoculaire. Il est donc crucial que tous les patients présentant un diagnostic récent de glaucome ou une suspicion de glaucome fassent l’objet d’un examen gonioscopique minutieux dans le cadre de leur évaluation ophtalmologique, afin de déterminer le mécanisme responsable de l’augmentation de la pression intraoculaire.

Nous aborderons dans cet article la technique gonioscopique de base nécessaire au diagnostic d’un glaucome primaire ou secondaire par fermeture de l’angle et utilisée dans le cadre de toute procédure affectant l’angle.

Structures de l’angle irido-cornéen

En allant de l’avant (face postérieure de la cornée) vers l’arrière (face antérieure de l’iris), on distingue :

  1. Anneau de Schwalbe. Délimite la membrane de Descemet du trabéculum antérieur. Il peut être localisé en identifiant le limbe scléro-cornéen optique (Figure 1).
  2. Trabéculum non pigmenté. Zone pâle adjacente à l’anneau de Schwalbe, qui ne draine pas l’humeur aqueuse.
  3. Trabéculum pigmenté. Zone brune/pigmentée où s’effectue le drainage de l’humeur aqueuse ; il est essentiel de déterminer si elle est visible ou non en gonioscopie.
  4. Éperon scléral. Bande blanchâtre étroite et dense située derrière le trabéculum ; se repère dans tous les yeux.
  5. Corps ciliaire. Bande brune terne située derrière l’éperon scléral.
Figure 1 Deux photographies (A et B) et deux illustrations (C et D) montrant les structures d’un angle ouvert visualisées durant l’examen gonioscopique. B montre un patient présentant une dispersion pigmentaire dans les zones de l’angle les plus pigmentées, particulièrement le trabéculum pigmenté. Certains patients présentent très peu de pigment (hypopimentation de l’angle) et il peut alors être difficile d’identifier les différentes structures de l’angle. L’image en bas à gauche correspond à une coupe transversale de l’image située en bas à droite. On y aperçoit le limbe scléro-cornéen optique, qui correspond à l’endroit où convergent le reflet de la face intérieure de la cornée et celui de sa face extérieure ; il montre la position de l’anneau de Schwalbe, ce qui peut être utile en cas d’hypopigmentation de l’angle. © Professor Alward and University of Iowa Health Care (www.gonioscopy.org) CC BY-NC 4.0

Verres de gonioscopie

Les lentilles utilisées en gonioscopie directe (Figure 2a), comme le verre de Swan-Jacobs, agissent comme un prisme et offrent une visualisation directe et panoramique de l’angle. Ces verres sont utilisés lors d’interventions chirurgicales intéressant l’angle, le patient étant allongé sur le dos en salle d’opération.

Figure 2a Gonioscopie directe. © European Glaucoma society CC BY-NC 4.0
Figure 2b Gonioscopie indirecte. © European Glaucoma society CC BY-NC 4.0

Les lentilles utilisées en gonioscopie directe (Figure 2b), comme le verre de Goldmann et le Magnaview (voir encadré à la fin de cet article), combinent un prisme et un miroir pour produire une image réfléchie de l’angle opposé. Cet examen gonioscopique est réalisé à la lampe à fente avec le patient en position assise.

Technique d’examen gonioscopique

Figure 3a Application d’un verre de gonioscopie indirecte avec un gel de couplage. © Winnie Nolan CC BY-NC 4.0
Figure 3b Application d’un verre de gonioscopie indirecte avec un gel de couplage. © Winnie Nolan CC BY-NC 4.0

Vous trouverez d’excellents tutoriels et vidéos en libre accès sur le site www.gonioscopy.org

  • Faire en sorte que l’éclairage de la pièce soit minimal et utiliser une lampe à fente avec un faisceau court (1 mm), ce afin d’éviter une ouverture artificielle de l’angle (un éclairage puissant induirait un myosis et une ouverture de l’angle).
  • Instiller un anesthésique local et expliquer l’examen au patient.
  • Demander au patient de garder les deux yeux ouverts, car cela réduit la pression exercée sur l’oeil que l’on doit examiner.
  • Nous recommandons aux praticiens moins expérimentés d’utiliser une lentille de gonioscopie indirecte avec un gel de couplage, pour augmenter la stabilité.
  • Appliquer un gel de couplage sur la lentille (par exemple un gel de carbomère).
  • Demander au patient de regarder vers le haut.
  • Appliquer le bord inférieur du verre à la surface de l’oeil, puis appliquer rapidement le reste de la lentille sur le globe oculaire (Figure 3).
  • Pour faciliter l’application de la lentille, abaisser la paupière inférieure avec l’index de la main tenant la lentille et, si nécessaire, relever la paupière supérieure avec le pouce de l’autre main.
  • Une fois la lentille appliquée sur la cornée, demander au patient de regarder droit devant lui.
  • L’angle inférieur doit être visualisé à travers le miroir supérieur, et inversement.
  • Faire tourner la lentille pour visualiser l’angle nasal et l’angle temporal. Pour visualiser au mieux le trabéculum et les autres structures de l’angle, il faut que le faisceau de lumière de la lampe à fente soit perpendiculaire au miroir et la lumière doit être décalée de 30 à 60 degrés.

Évaluation de l’angle et de son degré d’ouverture

Commencez par déterminer si l’angle est ouvert ou fermé. S’il n’est pas possible de visualiser le trabéculum pigmenté sans manipulation, alors il y a contact irido-trabéculaire. Une bonne méthode pour localiser le trabéculum consiste à identifier d’abord l’anneau de Schwalbe (voir Figure 1) puis à se déplacer vers l’arrière. Pour favoriser l’ouverture de l’angle et visualiser des structures plus postérieures, vous pouvez aussi demander au patient de déplacer son regard en direction du miroir, indenter la cornée, ou augmenter l’intensité de l’éclairage ; ces manoeuvres peuvent vous aider à faire la distinction entre une fermeture de l’angle par apposition et une fermeture par synéchies. Le classement de l’ouverture de l’angle (son degré d’ouverture) doit cependant être réalisé avec un éclairage faible, sans indentation, l’oeil étant en position primaire.

Figure 4 Classification de Shaffer. © Professor Alward and University of Iowa Health Care www.gonioscopy.org CC BY-NC 4.0
Figure 5 Angle irido-cornéen de 25 degrés. © Professor Alward and University of Iowa Health Care www.gonioscopy.org CC BY-NC 4.0

Il existe différents systèmes pour classer vos observations de la morphologie de l’angle irido-cornéen (voir références en fin d’article). En pratique, pour classer la largeur de l’angle, on utilise habituellement une version modifiée de la classification de Shaffer, qui se base sur la visibilité des structures de l’angle :

  • Grade 0 : aucune structure visible (l’angle est fermé).
  • Grade 1 : seul l’anneau de Schwalbe est visible (c’est-àdire, l’angle est pour ainsi dire fermé puisqu’il ne peut y avoir drainage de l’humeur aqueuse).
  • Grade 2 : le trabéculum pigmenté est visible (le drainage de l’humeur aqueuse est possible, mais l’angle est relativement étroit).
  • Grade 3 : l’éperon scléral est visible.
  • Grade 4 : le corps ciliaire est visible (l’angle est grand ouvert).

Il faut appliquer cette classification à chaque quadrant (supérieur, inférieur, nasal, temporal). Ce système est simple et rapide, mais il sera également utile d’estimer la mesure de l’angle en degrés (Figure 5), car ceci fournit plus de renseignements sur le risque de fermeture ultérieure de l’angle.

Lorsque vous êtes en train d’évaluer s’il y a fermeture de l’angle, ou si le patient présente un risque élevé de fermeture de l’angle, il est important de prendre en compte la situation clinique dans sa totalité (antécédents cliniques, symptômes, résultats d’autres examens, etc.). En pratique, si la largeur de l’angle est supérieure à 25 degrés et si l’éperon scléral est visible tout autour de l’angle, alors le risque de fermeture de l’angle est très probablement faible. Si le trabéculum pigmenté n’est pas visible en gonioscopie, c’est-à-dire qu’il y a contact irido-trabéculaire dans plus de deux quadrants (soit plus de la moitié) de l’angle, alors le risque de fermeture de l’angle est très probablement élevé. Dans ce cas, une intervention pour ouvrir l’angle peut être justifiée, en fonction de la présence ou non d’autres anomalies, telles une élévation de la pression intraoculaire ou la présence de facteurs de risque pour une fermeture aigüe de l’angle.

Lentilles utilisées en gonioscopie indirecte

Figure 6 Verre de Goldmann à deux miroirs (à gauche) et verre Magnaview à un miroir (à droite). © ICEH CC BY-NC 4.0
© ICEH CC BY-NC 4.0

Le verre de Goldmann et le verre Magnaview sont des lentilles utilisées pour la gonioscopie indirecte (Figure 6), qui requiert l’utilisation d’un gel de couplage pour combler l’espace entre le verre et la cornée afin de visualiser de manière stable et non déformée les structures et la configuration de l’angle. Ces verres comportent un ou deux miroir(s) au travers desquels l’observateur va visualiser l’angle. Le verre Magnaview est de plus grande taille que tous les verres de Goldmann et offre donc un grossissement plus important et une vue plus détaillée de l’angle. Ce verre peut cependant être plus difficile à insérer en cas de fente palpébrale étroite. Il peut être utilisé lors d’une trabéculoplastie sélective au laser.

Les verres de Zeiss, Posner et Sussman sont des lentilles utilisées en gonioscopie indirecte qui permettent de visualiser rapidement l’angle dans son ensemble sans avoir à appliquer un gel de couplage. Ces verres peuvent être utilisés pour la gonioscopie avec indentation ; le verre appuie sur la cornée et cette pression peut permettre d’ouvrir l’angle et de visualiser plus de structures (par exemple dans le cas d’un syndrome d’iris plateau). S’il y a des synéchies antérieures périphériques, l’angle ne s’ouvrira pas plus, même avec indentation. L’image visualisée n’est pas aussi stable ou claire que lorsque l’on utilise les verres de Goldmann ou Magnaview. Il peut se produire par inadvertance une indentation entraînant une striation de la cornée et une distorsion de l’image, ou encore une ouverture accidentelle de l’angle entraînant une erreur de classification de l’angle (qui paraît ouvert alors qu’il est en fait fermé).

Pour en savoir plus

American Academy of Ophthalmology. https://www.aao. org/disease-review/ gonioscopic-gradingsystems

European Glaucoma Society Guidelines. https://www.eugs.org/eng/guidelines.asp

University of Iowa Health Care. www.gonioscopy.org

Eyewiki. https://eyewiki.aao.org/gonioscopy