RSOC Vol. 17 No. 23 2020 pp 4-5. Publié en ligne 28 avril 2020.

Comment tirer le meilleur parti de la chirurgie de la cataracte chez les patients diabétiques

Tunde Peto

Professeure d’ophtalmologie clinique, Queen’s University Belfast, Institute of Clinical Sciences Building A, Belfast, Irlande, Royaume-Uni.


Frank Sandi

Ophtalmologiste et enseignant clinique, University of Dodoma, College of Health Sciences, Tanzanie.


Vineeth Kumar

Ophtalmologiste chef de clinique et spécialiste de chirurgie vitréorétinienne, Wirral University Teaching Hospital NHS Trust, Wirral, Royaume-Uni.


Opération de la cataracte à Dodoma. TANZANIE © Frank Albert Sandi
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L’opération de la cataracte peut avoir une incidence sur l’évolution des affections oculaires liées au diabète, mais elle peut être nécessaire pour permettre le traitement de ces affections et pour aider les patients à fonctionner efficacement. Voici des conseils pour tirer le meilleur parti de l’opération.

Le diabète est une maladie caractérisée par une glycémie (taux de sucre dans le sang) anormalement élevée, qui est due soit à un déficit en insuline (type 1), soit à une diminution de l’efficacité de l’insuline (type 2). La prise en charge du diabète de type 1 nécessite des injections d’insuline ; pour le diabète de type 2, la prise en charge consiste en un régime alimentaire, de l’exercice physique, et des comprimés ou injections d’insuline, au besoin.

L’impact de la cataracte est double :

1 La mauvaise visibilité de la rétine peut rendre inenvisageable le traitement (par laser ou injections intravitréennes) des complications oculaires du diabète comme la rétinopathie ou la maculopathie diabétique. En l’absence de traitement, ces complications peuvent évoluer jusqu’à atteindre un stade où la vision potentielle est si faible que l’exérèse de la cataracte n’entraînera pas d’amélioration visuelle.

2 La perte de vision due à la cataracte entraîne des difficultés pratiques, notamment en ce qui concerne l’administration en temps opportun des médicaments destinés à contrôler la glycémie. Cela est particulièrement vrai pour les personnes qui doivent s’injecter de l’insuline.

Malheureusement, la cataracte a tendance à se déclarer tôt chez les diabétiques et elle évolue rapidement si le contrôle de la glycémie n’est pas optimal. Ceci est très probablement dû à des changements osmotiques au niveau du cristallin, qui entraînent généralement des opacités cristalliniennes au niveau du cortex ou sous la capsule postérieure.

Identifier les patients atteints de diabète

Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, le diagnostic du diabète est souvent posé pour la première fois lorsqu’une personne se présente dans un service d’ophtalmologie pour une opération de la cataracte. Il est donc essentiel deprocéder à un relevé minutieux des antécédents médicaux, à un examen oculaire approfondi et à une mesure de la glycémie avant l’opération, afin d’identifier les personnes susceptibles d’être atteintes de diabète.

Les personnes jeunes qui présentent à la fois un diabète et une cataracte ont probablement négligé le contrôle de leur glycémie au fil des ans ou n’ont pas eu accès à des services leur permettant de bien contrôler leur diabète. Si la glycémie n’est pas contrôlée, il sera très difficile de prévenir une perte de vision due à une rétinopathie diabétique.

Orientation

Les patients atteints de cataracte qui sont en outre diabétiques doivent être orientés vers un endocrinologue ou un médecin dûment qualifié pour la prise en charge de leur diabète.

Veillez à ce que l’endocrinologue ou le médecin sache où référer les personnes diabétiques pour des examens réguliers de la rétine, au cours desquels un professionnel des soins oculaires recherchera des signes d’affections oculaires dues au diabète (rétinopathie diabétique et maculopathie diabétique).

Risques de la chirurgie de la cataracte

Il existe un risque d’évolution des affections oculaires liées au diabète suite à une opération de la cataracte. Ceci dépend des facteurs suivants :

  • Le degré de rétinopathie et de maculopathie au moment de l’intervention
  • La survenue ou non de complications durant l’intervention
  • Le contrôle de la glycémie.

Tous ces facteurs ont une incidence sur l’évolution de la rétinopathie. Squirrell et al.1 ont observé que, au sein du groupe de sujets qu’ils avaient étudiés, l’évolution de la rétinopathie était due en grande partie à l’histoire naturelle de la maladie et une phacoexérèse déroulée sans complications n’accélérait pas indépendamment l’évolution de la rétinopathie après l’opération. Note de la rédaction : il est important de noter que cette étude n’a pas comparé la phacoémulsification à la chirurgie de la cataracte à petite incision.

Zaczek et al.2 et l’étude observationnelle UK DR EMR (UK Diabetic Retinopathy Electronic Medical Record)3, menée au Royaume-Uni, ont montré que les yeux ayant un oedème maculaire préexistant présentaient le pire pronostic de réadaptation visuelle. Si le fond d’oeil est visible avant l’intervention et il y a présence de rétinopathie diabétique et/ou maculopathie diabétique, il est bon de suivre les recommandations de prise en charge détaillées dans le Tableau 1 avant l’opération de la cataracte, ce afin de prévenir une aggravation de la rétinopathie diabétique.

Tableau 1 Prise en charge des patients diabétiques après une opération de la cataracte

Diagnostic Prise en charge
Absence de rétinopathie diabétique (RD) Sortie d’hôpital et dépistage annuel
RD non proliférante légère Sortie d’hôpital et dépistage annuel ou bien observation à l’hôpital
RD non proliférante grave Photocoagulation panrétinienne au laser ou injections d’anti-VEGF (si les patients habitent loin de l’hôpital), ou bien observation à l’hôpital et angiographie fluorescéinique du fond d’oeil
RD proliférante Photocoagulation panrétinienne au laser ou anti-VEGF
OEdème maculaire diabétique (OMD) et RD non proliférante légère Anti-VEGF avec ou sans photocoagulation panrétinienne au laser
OMD et RD proliférante Anti-VEGF et photocoagulation panrétinienne au laser
Maculopathie diabétique Anti-inflammatoires non-stéroïdiens ou photocoagulation panrétinienne au laser ou anti-VEGF ou corticoïdes

Communication avec les patients

Il est important de gérer les attentes des patients atteints de cataracte qui sont également diabétiques, car la perte visuelle due à une maladie oculaire diabétique peut affecter le degré d’amélioration de la vision après l’opération.

Discuter avec les patients de tous les risques et avantages du traitement est une partie importante de la prise en charge, tant en préopératoire qu’en postopératoire, car cela aide les deux parties à comprendre clairement les résultats visuels potentiels de l’opération. Avant le recueil du consentement, il faut aborder la nécessité éventuelle d’interventions postopératoires telles qu’un traitement au laser et/ou des injections d’anti-VEGF. Il est important de s’assurer que le patient est en mesure de revenir au centre de soins pour ces traitements, et qu’il y est disposé.

Lorsque le patient présente une maladie à un stade plus avancé, demandez-lui quels traitements il a subi (par ex. traitement au laser, injections d’anti-VEGF ou injections intravitréennes de corticoïdes) ; ceci peut avoir une incidence sur les résultats de l’intervention.

D’un point de vue médico-légal, il est important de consigner soigneusement toutes les informations mentionnées ci-dessus.

Vous pouvez améliorer l’expérience des patients en leur expliquant clairement ce qu’ils devront faire pour prendre soin de leur oeil après l’opération et en expliquant dans quelles circonstances ils devront revenir au centre de soins. Désignez des membres du personnel spécifiques qui seront le premier point de contact des patients et identifiezles clairement. Ceci permettra de réduire au minimum le nombre de patients qui ne se présentent pas pour les visites postopératoires et les visites de suivi ultérieures.

Contrôle de la glycémie

La question du contrôle de la glycémie chez les patients diabétiques avant une opération de la cataracte s’est toujours posée. Cependant, aucune preuve publiée ne suggère qu’une glycémie élevée au moment de l’opération a un effet négatif sur le résultat4, et le risque qu’implique l’annulation de l’opération d’un patient (qui pourrait ne pas revenir) peut être plus grand que les avantages – s’il en existe – du report de l’opération jusqu’à ce que le patient contrôle mieux sa glycémie.

Pour autant, il n’est pas déraisonnable de prendre des mesures pour réduire la glycémie (par exemple, en administrant une injection supplémentaire d’insuline le jour de l’opération si un patient présentant un diabète de type 1 a une glycémie très élevée)5.

Considérations peropératoires

La chirurgie de la cataracte chez les patients diabétiques peut être compliquée en raison du diabète. Il peut y avoir mauvaise dilatation pupillaire en raison d’une hypotonie des muscles iriens secondaire à une neuropathie autonome ; c’est souvent le cas chez les patients atteints de diabète chronique. Si la dilatation est mauvaise, ou si le patient présente un myosis peropératoire, il pourra être nécessaire de réaliser une dilatation manuelle de la pupille, en utilisant des rétracteurs à iris ou en effectuant une iridectomie (voir pages 8–9).

Chez les patients diabétiques jeunes qui présentent une cataracte, il faut être particulièrement vigilant durant l’opération, car l’élasticité de leur capsule tend à entraîner des complications de type déchirure capsulaire. Vous pouvez colorer la capsule antérieure à l’aide d’une solution au bleu de trypan à usage oculaire.

L’inflammation postopératoire est souvent plus importante chez les patients diabétiques. Ceci peut entraîner une contraction de la capsule antérieure et un phimosis, qui vont limiter la visibilité de la rétine périphérique après l’opération.

Il faut donc réaliser un capsulorhexis de grande taille, ce qui signifie que l’optique de la lentille intraoculaire devra être d’au moins 6 mm de diamètre.

Prise en charge postopératoire

Dans l’idéal, les patients diabétiques qui ont récemment été opérés de la cataracte devraient subir un examen ophtalmologique minutieux, comprenant un examen détaillé du fond d’oeil, pour vérifier l’absence d’inflammation excessive et de signes de maladie oculaire diabétique. Proposez les traitements indiqués dans le Tableau 1.

Discussion

La chirurgie de la cataracte chez les patients diabétiques est un sujet complexe. Le niveau de rétinopathie au moment de l’opération, le degré de complexité de l’intervention chirurgicale et le contrôle du diabète ont tous un impact potentiel sur l’évolution des maladies oculaires diabétiques.

Malgré ces risques, la chirurgie de la cataracte peut être nécessaire pour permettre au patient de fonctionner efficacement et d’améliorer son adhésion au traitement médicamenteux qui lui a été prescrit pour son diabète. Il se peut aussi qu’une opération de la cataracte soit nécessaire pour permettre la prise en charge des maladies oculaires diabétiques par photocoagulation panrétinienne au laser ou par d’autres options thérapeutiques.

Références

1 Squirrell D et al. A prospective, case-controlled study of the natural history of diabetic retinopathy and maculopathy after uncomplicated phacoemulsification cataract surgery in patients with type 2 diabetes. Br J Ophthalmol 2002; 86:565–571

2 Zaczek A et al. Visual Outcomes after phacoemulsification and IOL implantation in diabetic patients. Br J Ophthalmol 1999; 83:1036-41

3 Denniston AK et al. The UK Diabetic Retinopathy Electronic Medical Record (UK DR EMR) Users Group, Report 2: real world data for the impact of cataract surgery on diabetic macular oedema. Br J Ophthalmol 2017; 101:1673–1678.doi:10.1136/bjophthalmol-2016-309838.

4 Keay L, Lindsley K, Tielsch J, Katz J, Schein O. Routine preoperative medical testing for cataract surgery. Cochrane Database Syst Rev. 2012 Mar 14;(3):CD007293. doi: 10.1002/14651858. CD007293.pub3.

5 Kumar et al, Glycaemic control during cataract surgery under locoregional anesthesia: a growing problem and we are none the wiser. Br J Anaesth 2016;17)6):687-691.