Chirurgie de la cataracte sans suture et sans phacoémulsification : une solution pour réduire la cécité par cataracte dans le monde ?
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Recherche d’une méthode appropriée de chirurgie de la cataracte sans suture
Au cours des dix dernières années, l’extraction extra capsulaire de la cataracte (EECC) ab-externo avec suture et implant de chambre postérieure (EECC/ICP) a largement été remplacée dans les pays industrialisés par la phacoémulsification. La petite incision auto étanche pratiquée au cours de la phacoémulsification permet une réhabilitation visuelle rapide et ce type de chirurgie est de plus en plus pratiqué en consultation externe. Dans les pays en développement, toutefois, la phacoémulsification n’est pratiquée que chez certains patients sélectionnés. Il s’agit généralement de patients ayant les moyens de payer les frais de traitement élevés, en raison, notamment, du coût du phacoémulsificateur et de consommables tels que les implants intra- oculaires pliables. Jusqu’à présent, dans les pays à faible revenu, la phacoémulsification n’a joué qu’un rôle limité dans la réduction de la cécité par cataracte. C’est pourquoi les chirurgiens ophtalmologistes des pays en développement sont en quête d’alternatives à la phacoémulsification. Il faudrait pouvoir disposer d’une technique chirurgicale facile à apprendre, offrant un bon résultat visuel sans correction et abordable financièrement pour la plupart des patients atteints de cataracte. Une telle technique ferait progresser la chirurgie de la cataracte dans les pays à faible revenu et contribuerait à atteindre l’objectif de VISION 2020 : le droit à la vue.
Techniques
Au début des années quatre-vingt, avec l’introduction d’une incision tunnellisée auto étanche aux États-Unis, les chirurgiens ont développé des instruments et des techniques permettant de segmenter le noyau cristallinien en plusieurs parties, afin de faciliter son extraction par un petit tunnel scléro-cornéen auto étanche1,2,3. Ces techniques connaissent actuellement un renouveau dans les pays en développement. La technique d’extraction du noyau, entier ou segmenté, par un tunnel auto étanche, sans avoir à suturer, porte plusieurs noms différents : à savoir, « Chirurgie de la cataracte à petite incision (CCPI) » (SICS ou Small Incision Cataract Surgery en anglais), « Chirurgie de la cataracte à petite incision manuelle (CCPI manuelle) » (Manual SICS en anglais), « Phacoémulsification manuelle », ou encore « EECC/ICP sans suture ». Les techniques de chirurgie sans suture sont décrites par John Sandford- Smith aux pages 6-8. Une autre approche consiste à extraire le noyau entier par hydroexpression à l’aide d’une ligne d’irrigation pour maintenir la chambre antérieure4-5, ou d’une canule à double courant de Simcoe6, ou encore en combinant irrigation et extraction à l’aide d’une anse d’irrigation7, suivant la méthode décrite en détail par John Sandford-Smith.
En 1997, une autre technique, l’extraction par « hameçon » ou petit crochet, a été développée à Lahan, au Népal. Après avoir pratiqué une capsulotomie linéaire ou un capsulorhexis curviligne continu, on extrait le noyau du sac capsulaire au travers du tunnel, en utilisant une aiguille en crochet de 30G de 1,25 cm (Fig. 1). Ceci minimise le risque de contact entre le noyau et l’endothélium. Plus de 160 000 opérations de la cataracte sans suture ont été pratiquées à Lahan suivant cette méthode et plus encore dans d’autres centres ophtalmologiques dans le monde.
Quels résultats post-opératoires peut-on obtenir ?
L’Organisation mondiale de la Santé classe les résultats d’opérations de la cataracte en trois groupes – bon, moyen et mauvais (Tableau 1) – et recommande de se donner pour but l’obtention d’une « bonne » acuité visuelle (AV) sans correction dans au moins 80 % des interventions et un « mauvais » résultat dans moins de 5 % des cas. Gogate9,10 a comparé la chirurgie de la cataracte à petite incision manuelle (CCPI) et l’extraction extra capsulaire de la cataracte (EECC) classique au cours d’un essai clinique aléatoire mené en Inde occidentale. À la page 9 de ce numéro, il expose les résultats de cette comparaison entre les deux techniques, en termes de sûreté, d’efficacité, de coût et de qualité de vie. D’autres études sont nécessaires sur les résultats des techniques de chirurgie de la cataracte sans suture, avec un suivi à long terme.
Il est intéressant de noter que, depuis que la chirurgie de la cataracte sans suture est devenue un procédé de routine à Lahan en 1998, le nombre d’opérations de la cataracte a triplé dans les cinq années qui ont suivi. Ceci indique que nos patients apprécient ce que nous faisons !
Tableau 1. Directives et recommandations de l’OMS concernant le résultat post-opératoire de la chirurgie de la cataracte avec implant intraoculaire.
Résultat | AV post-opératoire sans correction | AV post-opératoire avec correction |
---|---|---|
Bon (10/10 – 3/10) | 80 % | + 90 % + |
Moyen (<3/10 – 1/10) | 15 % | <5 % |
Mauvais (<1/10) | <5 % | <5 % |
Passage d’une chirurgie avec suture à une chirurgie sans suture : courbe d’apprentissage
La chirurgie de la cataracte sans suture est, sans aucun doute, plus difficile à apprendre que l’extraction extra capsulaire de la cataracte ab-externo avec suture et implant de chambre postérieure (EECC/ICP). Pour obtenir une incision auto étanche et un astigmatisme induit minimal, il faut être capable de construire un tunnel de façon très précise et posséder les compétences chirurgicales et l’expérience nécessaires pour travailler sur l’œil au travers d’un tunnel étroit. Aux pages 10-12 de ce numéro, Bernd Schroeder décrit les principales étapes de l’extraction de la cataracte sans suture, ainsi que ses complications et la façon de les gérer. Il rend compte également de la courbe d’apprentissage de chirurgiens dont les niveaux d’expérience de départ étaient différents.
Beaucoup de chirurgiens aujourd’hui tiennent à passer de la chirurgie de la cataracte avec suture à la chirurgie sans suture, mais ignorent si leur aptitude et leurs compétences chirurgicales correspondent aux critères nécessaires pour maîtriser la technique plus complexe de la chirurgie sans suture. Une auto- évaluation, après au moins 100 interventions consécutives en utilisant la technique d’EECC/ICP avec suture, permet de répondre à cette question. Le chirurgien sera capable d’aborder la nouvelle technique si des complications chirurgicales, en particulier une rupture de la capsule postérieure, sont survenues dans moins de 5 % des cas et si le nombre de patients présentant une AV post- opératoire sans correction inférieure à 1/10 (mauvais résultat) reste en dessous de 5 %. Malheureusement, le nombre d’ophtalmologistes désirant apprendre la technique de chirurgie de la cataracte sans suture est actuellement bien supérieur aux capacités d’accueil des centres de formations existants. Vous trouverez une liste des centres de formation et des ressources pédagogiques disponibles à la page 24.
Conclusion
La technique sans suture permet une récupération visuelle rapide et un retour à la vie normale le lendemain de l’intervention. Cependant, le résultat à long terme est identique à celui de la chirurgie de la cataracte avec suture11. Une incision stable et étanche, sans problèmes dus à la suture, représente un autre avantage important. L’intervention est en outre de courte durée et le coût des consommables est réduit. Cette technique s’est avérée convenir à une chirurgie de la cataracte intensive, à coût réduit et offrant de bons résultats12. La technique sans suture est plus difficile à apprendre que l’extraction extra capsulaire de la cataracte ab-externo avec suture et implant de chambre postérieure (EECC/ICP). Elle nécessite une formation supplémentaire. Cependant, une fois que le chirurgien maîtrise l’extraction de la cataracte sans suture et sans phacoémulsification, il peut jouer un rôle important dans la réduction de la cécité par cataracte dans le monde.
Références
1 G. T. Keener, « The nucleus division technique for small incision cataract extraction », dans Cataract Surgery : Alternative Small Incision Techniques, dir. G. W. Rozakis, A. Y. Anis et al., Thorofare (N.J), Slack Inc, 1990, 163-195.
2 L. L. Fry, « The Phacosandwich Technique », dans Cataract Surgery : Alternative Small Incision Techniques, dir. G. W. Rozakis, A. Y. Anis et al., Thorofare (N.J), Slack Inc, 1990, 71-110.
3 P. Kansas, « Phacofracture », dans Cataract Surgery : Alternative Small Incision Techniques, dir. G. W. Rozakis, A. Y. Anis et al., Thorofare (N.J), Slack Inc, 1990, 45-70.
4 M. Blumenthal, « Manual ECCE, the present state of the art », Klin. Monat. Augenheilkd, 1994, 205, 266-270.
5 R. Thomas, T. Kuriakose, R. George, « Towards achieving small-incision cataract surgery 99,8 % of the time », Indian J. Ophthalmol., 2000, 48, 145- 151.
6 S. Ruit, G. Poudyal, R. Gurung, G. Tabin, D. Moran, G. Brian, « An innovation in developing world cataract surgery : sutureless extracapsular cataract extraction with intraocular lens implantation », Clin. Experiment. Ophthalmol., 2000, 28, 274-279.
7 G. Natchiar, Manual Small Incision Cataract Surgery, Madurai, India, Aravind Publications, 2000.
8 A. Hennig, J. Kumar, D. Yorston, A. Foster, « Sutureless cataract surgery with nucleus extraction : Outcome of a prospective study in Nepal », Br. J. Ophthalmol., 2003, 87 (3), 266-270.
9 P. M. Gogate, M. Deshpande, R. P. Wormald, « Is manual small incision cataract surgery affordable in the developing countries ? A cost comparison with extracapsular cataract extraction », Br. J. Ophthalmol., 2003, 87, 843-846.
10 P. M. Gogate, M. Deshpande, R. P. Wormald, R. D. Deshpande, S. R. Kulkarni, « Extracapsular cataract surgery compared with manual small incision cataract surgery in community eye care setting in Western India : a randomized controlled trial », Br. J. Ophthalmol., 2003, 87, 667-672.
11 N. V. Prajna, K. S. Chandrakanth, R. Kim, V. Narendran, S. Selvakumar, G. Rohini et al., « The Madurai intraocular lens study II : clinical outcomes », Am. J. Ophthalmol., 1998, 125, 14-25.
12 A. Hennig, J. Kumar, A. K. Singh, S. Singh, R. Gurung , A. Foster, « World Sight Day and cataract blindness », Br. J. Ophthalmol., 2002, 86, 830-831. Albrecht Henning