RSOC Vol. 17 No. 23 2020 pp 10-11. Publié en ligne 28 avril 2020.

Chirurgie de la cataracte chez les patients présentant une dystrophie cornéenne endothéliale de Fuchs

Soujanya Kaup

Professeur adjoint, Yenepoya Medical College, Mangalore, Inde.


Suresk K Pandey

Directeur, SuVi Eye Institute & Lasik Laser Center, Kota, Inde


Une cornea guttata peut donner à la cornée un aspect de métal martelé à l’examen biomicroscopique. © Brice Critser eyerounds.org
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La chirurgie de la cataracte risque d’entraîner une décompensation cornéenne chez les patients présentant une dystrophie cornéenne endothéliale de Fuchs, mais on peut aussi combiner cette intervention avec une kératoplastie endothéliale pour traiter la maladie.

La dystrophie cornéenne endothéliale de Fuchs (DCEF) est une maladie évolutive qui affecte principalement la membrane de Descemet et l’endothélium et peut éventuellement aboutir à une décompensation cornéenne et une diminution de la vision. La DCEF se traite par une kératoplastie endothéliale (remplacement de la couche interne de cellules cornéennes lésées par le tissu d’un donneur), par exemple kératoplastie endothéliale de la membrane de Descemet.

Tableau de la maladie

Dans la pratique clinique, il n’est pas rare de se trouver face à un patient présentant à la fois une DCEF et une cataracte. La prévalence exacte de la DCEF n’est pas connue. Elle varie énormément en fonction de la situation géographique : on observe une prévalence plus élevée dans les pays européens et une prévalence plus faible en Australie, ainsi que dans les pays d’Amérique du Sud et d’Asie. La DCEF est la dystrophie cornéenne la plus répandue aux États-Unis1.

Les patients présentant une DCEF se plaignent souvent d’une perte visuelle, que l’on peut attribuer à la cataracte et/ou à la DCEF. La perte visuelle entraînée par la DCEF est généralement pire le matin et s’améliore durant la journée ; la raison en est que l’oedème cornéen s’aggrave pendant le sommeil et s’améliore durant la journée avec l’évaporation progressive du film lacrymal. L’éblouissement est souvent un symptôme gênant ; il est dû à la convergence de « gouttes » ou à la présence de pigment sur l’endothélium.

Détection

La présence de « gouttes » (cornea guttata) est un signe courant de dystrophie endothéliale. Ces « gouttes » sont des excroissances de collagène produites par les cellules endothéliales cornéennes en état de stress (voir photographie sur cette page) ; elles se forment au milieu de la cornée et éventuellement s’étendent sur toute la cornée.

Un examen rapide à la lampe à fente dans un centre de soins très fréquenté risque fort de ne pas détecter les cas précoces de DCEF. Il faut donc recueillir avec soin les antécédents du patient et lui demander si ses symptômes sont plus intenses le matin. Si possible, examinez les yeux sous un fort grossissement, afin de détecter la maladie à un stade précoce.

Considérations préopératoires

Le chirurgien de la cataracte se trouve face à un dilemme : est-ce qu’une intervention chirurgicale visant à traiter uniquement la cataracte permettra de soulager les symptômes du patient, ou bien est-ce qu’une telle opération risque d’entraîner une décompensation cornéenne et doit donc être associée à une kératoplastie endothéliale ? Il faut adapter son programme thérapeutique à chaque patient et prendre en compte des facteurs individuels comme la densité de la cataracte, l’état de la cornée et son épaisseur, la profondeur de la chambre antérieure et la taille de la pupille en mydriase.

La présence d’un oedème microkystique, d’un épaississement du stroma cornéen et d’une faible densité de cellules endothéliales centrales (moins de 1 000 cellules/mm2), sous microscopie spéculaire, indique une probabilité accrue de décompensation cornéenne après l’opération de la cataracte. Chez ces patients, il faudra combiner une opération de la cataracte et une kératoplastie endothéliale.

Dans la plupart des pays à faible ou moyen revenu, les microscopes spéculaires ne sont pas largement disponibles. Dans ce cas, on peut alors utiliser l’épaisseur de la cornée centrale comme preuve indirecte de la bonne santé de l’endothélium cornéen. Ceci est dû au fait qu’un dysfonctionnement des cellules endothéliales empêche ces dernières de bien pomper l’eau hors de la cornée, ce qui entraîne un oedème du stroma cornéen et par conséquent une augmentation de l’épaisseur de la cornée centrale. Il faut toutefois garder à l’esprit que l’épaisseur de la cornée centrale varie au sein d’une population normale et qu’il peut y avoir présence d’un oedème cornéen dans des yeux dont l’épaisseur cornéenne est normale.

Dans la pratique, une épaisseur cornéenne centrale supérieure à 640 microns, généralement mesurée par pachymétrie ultrasonore, peut indiquer une probabilité accrue de décompensation cornéenne ; ceci signifie alors qu’il faut réaliser une intervention combinée2.

Soutien psychologique des patients

Un bon soutien psychologique est essentiel à l’obtention d’un résultat favorable. Prévoyez suffisamment de temps pour permettre ce soutien et assurez-vous que le patient a compris ce qui suit :

  • Le rétablissement après l’opération peut prendre plus longtemps que d’habitude.
  • En cas de décompensation cornéenne, il faudra sans doute réaliser une kératoplastie endothéliale.
  • Après l’opération, les patients devront se rendre à des rendez-vous de suivi réguliers (expliquez-leur quand et où se rendre et tenez-les au courant du soutien financier éventuellement disponible pour couvrir les frais de transport).

Considérations techniques

Choix de la lentille intraoculaire

Lorsque vous combinez l’exérèse de la cataracte avec une kératoplastie endothéliale, nous recommandons l’implantation d’une lentille intraoculaire (LIO) monofocale et asphérique standard, avec optique de plus grand diamètre (au moins 6,0 mm). Une greffe endothéliale augmente l’asphéricité négative de la cornée et diminue la sensibilité au contraste ; il faut donc éviter l’utilisation de LIO multifocales. Après une greffe endothéliale, il se produit une hypermétropisation. Par conséquent, lorsque la probabilité de décompensation est très élevée, on calcule la puissance de la lentille intraoculaire avec une réfraction-cible de – 1,25 D. Évitez d’implanter une LIO de chambre antérieure en cas de déchirure capsulaire postérieure.

Choix de la technique chirurgicale

La chirurgie de la cataracte à petite incision manuelle (CCPI manuelle) et la phacoémulsification entraînent des pertes de cellules endothéliales qui sont du même ordre3. Le choix de la technique chirurgicale est donc discutable et dépendra de la densité de la cataracte, de l’état de la cornée, de l’expérience du chirurgien et de sa maîtrise de chaque technique chirurgicale. À titre personnel, les auteurs de cet article préfèrent la phacoémulsification car elle présente plusieurs avantages (petite incision, chambre antérieure fermée et possibilité de moduler la puissance et contrôler les flux pour minimiser la perte cellulaire). D’autres chirurgiens, qui ont plus d’expérience de la CCPI manuelle que de la phacoémulsification, préfèrent la technique de CCPI ; une CCPI est d’ailleurs sans doute la meilleure option lorsque le chirurgien a une forte expérience de cette technique, particulièrement lorsque le patient présente une cataracte très dense, une pupille de petite taille et une atteinte zonulaire. Le laser femtoseconde est récemment venu s’ajouter à l’arsenal des techniques d’exérèse de la cataracte ; il permet de réaliser un capsulorhexis et de fragmenter le noyau. Il s’agit là d’une technique coûteuse dont les résultats ne semblent pas meilleurs que ceux des techniques traditionnelles ; elle n’est donc pas couramment utilisée, même dans les pays qui allouent d’importantes ressources à la santé.

Choix du viscoélastique

Il faut utiliser un viscoélastique dispersif à base de chondroïtine sulfate pour protéger la cornée et il est important de couvrir l’endothélium avant de réaliser le capsulorhexis. La technique « soft shell » est particulièrement efficace ; elle consiste à mettre d’abord un viscoélastique dispersif en contact avec l’endothélium puis à utiliser un viscoélastique hautement cohésif. Il faut complètement enlever le viscoélastique afin de prévenir une augmentation de la pression intraoculaire après l’opération.

Choix de la solution d’irrigation

Le choix de la solution d’irrigation peut également contribuer à la survie des cellules endothéliales. Si vous utilisez couramment le lactate de Ringer dans votre unité de soins, il est préférable, dans le cas de patients présentant une DCEF, d’utiliser plutôt une solution saline équilibrée. Une solution saline équilibrée, ou toute autre solution contenant du glutathion, du bicarbonate de sodium et du glucose, crée un environnement plus physiologique et minimise la perte de cellules endothéliales.

Fermeture de la plaie

Lorsqu’il y a atteinte fonctionnelle des cellules endothéliales, les incisions risquent de ne pas bien se refermer ; il est préférable de suturer plutôt que de recourir à une hydratation excessive du stroma cornéen.

OEdème de cornée et kératopathie bulleuse après chirurgie de la cataracte. Noter les microkystes épithéliaux diffus et la présence de bulles plus grandes, à gauche du faisceau. © Brice Crister © Eyerounds.org

Soins postopératoires

Quelle que soit la technique employée pour épargner les cellules épithéliales, on court toujours un risque d’oedème cornéen important et prolongé en postopératoire. La prise en charge postopératoire de ces patients nécessitera vraisemblablement des instillations plus fréquentes de corticoïdes et de solution saline hypertonique (par exemple collyre de NaCl à 5 %) pour favoriser la réduction de l’oedème. Il est également recommandé de mettre en place des visites de suivi à intervalles réguliers pour évaluer la transparence de la cornée. On peut s’attendre à un excellent résultat chez beaucoup de patients, y compris ceux qui présentaient une faible densité de cellules endothéliales avant l’opération4.

Messages à retenir

  • Si l’épaisseur cornéenne centrale est supérieure à 640 microns, la densité de cellules endothéliales est inférieure à 1 000 cellules/mm2 et/ou il y a présence d’un oedème microkystique, il faut envisager de combiner l’opération de la cataracte avec une kératoplastie endothéliale.
  • Choisissez la technique d’exérèse de la cataracte en fonction de l’expérience qu’a le chirurgien de chaque technique chirurgicale, en fonction de la densité de la cataracte et de la santé de la cornée.
  • Si vous réalisez une phacoémulsification, nous conseillons d’utiliser les paramètres avancés, la méthode « phaco-chop », la technique « soft shell », ainsi qu’une phacémulsification de torsion plutôt que longitudinale.
  • Pour obtenir un résultat favorable, il est essentiel d’offrir un soutien psychologique aux patients avant l’opération.

Phacoémulsification : quelques conseils

Minimiser la perte de cellules endothéliales durant la phacoexérèse La meilleure façon de diminuer l’énergie ultrasonore consiste à utiliser une méthode mécanique, comme le « phaco-chop », pour fragmenter le noyau. Réglez la puissance de l’appareil pour administrer des impulsions de plus petite durée ou des rafales d’énergie ultrasonore afin de minimiser la perte de cellules endothéliales. La pédale du phacoémulsificateur permet d’administrer des impulsions qui durent 1 à 2 secondes, alors que les réglages de puissance permettent d’obtenir des intervalles beaucoup plus petits, par exemple de 2 à 4 millisecondes. Il est conseillé de toujours utiliser une nouvelle aiguille de phacoémulsification dans ces cas et d’associer phacoémulsification latérale (transversale ou torsionnelle) et phacoémulsification longitudinale.

Quand opérer

Toute intervention intraoculaire au niveau du segment antérieur tend à entraîner une perte plus ou moins importante de cellules endothéliales. Aux stades précoces, la cataracte est moins dense et sa phacoémulsification nécessite moins d’énergie ultrasonore. Lorsque la cataracte est à un stade plus avancé, l’énergie ultrasonore nécessaire et le flux de liquide dans la chambre antérieure peuvent entraîner une perte plus importante de cellules endothéliales. Par conséquent, si l’on envisage une phacoémulsification pour prendre en charge la cataracte, il est préférable de réaliser l’intervention à un stade plus précoce.

Viscoélastique

Il faut réinjecter régulièrement du viscoélastique dans la chambre antérieure, car il peut être chassé par le liquide d’irrigation durant la phacoémulsification.

Irrigation

La circulation de la solution d’irrigation peut créer des courants allant contre les cellules endothéliales et entraîner des lésions. Réglez l’appareil pour que le débit soit faible, réalisez de petites incisions et restez à distance de l’endothélium cornéen.

References

1 Eghrari AO, Gottsch JD. Fuchs’ corneal dystrophy. Expert Rev Ophthalmol. 2010 Apr;5(2):147-159.

2 Seitzman GD, Gottsch JD, Stark WJ. Cataract surgery in patients with Fuchs’ corneal dystrophy: expanding recommendations for cataract surgery without simultaneous keratoplasty. Ophthalmology 2005;112:441-6.

3 George R, Rupauliha P, Sripriya AV, Rajesh PS, Vahan PV, Praveen S. Comparison of endothelial cell loss and surgically induced astigmatism following conventional extracapsular cataract surgery, manual small-incision surgery and phacoemulsification. Ophthalmic Epidemiol. 2005;12(5):293-7.

4 Yamazoe K, Yamaguchi T, Hotta K, Satake Y, Konomi K, Den S, Shimazaki J. Outcomes of cataract surgery in eyes with a low corneal endothelial cell density. J Cataract Refract Surg. 2011;37(12):2130-6.