RSOC Vol. 20 No. 29 2023 pp 10-11. Publié en ligne 08 mars 2023.

Chirurgie de la cataracte à haut volume opératoire au Népal Le Sagarmartha

Reena Yadav

Spécialiste de la cornée, Sagarmatha Chaudhary Eye Hospital, Lahan, Népal ; chercheuse principale au Népal du programme de recherche collaboratif entre la London School of Hygiene and Tropical Medicine et le NNJS (Nepal Netra Jyoti Sangh).


Abhishek Roshan

Cadre supérieur de gestion, Sagarmatha Chaudhary Eye Hospital, Lahan, Népal.


Sanjay Kumar Singh

Professeur adjoint et directeur médical, Sagarmatha Chaudhary Eye Hospital, Lahan, Népal.


L’équipe prépare le patient sur la gauche à la chirurgie, pendant que le chirurgien opère le patient sur la droite. NÉPAL © Astrid Leck CC BY-NC 4.0
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Le Sagarmartha Choudhary Eye Hospital a une approche efficace de la chirurgie de la cataracte fondée sur le travail d’équipe, qui lui permet d’améliorer le volume chirurgical et de réduire les dépenses en veillant à une utilisation efficace du temps de chaque membre de l’équipe, rendant de ce fait le service plus abordable.

Le Sagarmartha Choudhary Eye Hospital (SCEH) est un hôpital de 450 lits situé dans l’est du Népal, dans la plaine du Terai, près de la frontière avec l’Inde. En 2021, il a pris en charge plus de 48 000 patients atteints de cataracte ; 60 % étaient originaires du Népal et 40 % de l’Inde. Pendant la haute saison, nous réalisons chaque jour 300 à 400 opérations de la cataracte, six à sept jours par semaine. En moyenne, les chirurgiens effectuent 60 à 70 opérations de la cataracte par jour, mais pendant la haute saison une équipe peut effectuer jusqu’à 100 opérations pendant une garde de 12 heures.

L’hôpital contrôle régulièrement le résultat des opérations pratiquées afin d’améliorer la qualité et les normes, ce qui lui a permis de se forger une excellente réputation. La plupart des patients estiment que la chirurgie proposée est abordable. Une opération par la technique de chirurgie de la cataracte à petite incision manuelle (CCPI) coûte environ 1 200 roupies népalaises (soit moins de 10 $ US), ce qui correspond à environ 10 % du salaire mensuel minimum au Népal et dans l’état indien voisin, le Bihar. Par conséquent, le SCEH ne fait plus une promotion active de ses services de chirurgie de la cataracte au Népal, car il n’en ressent pas le besoin. En Inde, par contre, il existe des motivateurs qui recrutent des patients dans la communauté pour des opérations de la cataracte et organisent le voyage en bus pour se rendre à l’hôpital.

Comment atteindre un volume opératoire élevé ?

Le processus est extrêmement organisé ; chaque membre du personnel, du chirurgien à l’agent de sécurité, est conscient de son rôle dans le parcours du patient. Chaque chirurgien travaille entre deux tables d’opération en même temps. Le temps que le chirurgien retire le cristallin cataracté du premier patient et effectue la suture conjonctivale, le patient sur la table adjacente est prêt à se faire opérer. Les chirurgiens utilisent la technique de l’extraction par « hameçon » pour extraire le cristallin1, décrite entre autres dans un de nos précédents numéros2. L’opération ne prend que trois à quatre minutes au total pour un patient parfaitement préparé.

L’équipe clinique et chirurgicale

L’équipe clinique se compose de deux ophtalmologistes généralistes expérimentés et de cinq ophtalmologistes chefs de cliniques qui sont des surspécialistes : un ophtalmopédiatre, une spécialiste de la cornée, un spécialiste du glaucome et deux spécialistes de la rétine. Tous les surspécialistes partagent leurs journées entre la chirurgie de la cataracte et leur propre surspécialité.

Il y a également sept étudiants stagiaires en chirurgie de la cataracte (que nous appelons anterior segment fellows) : ce sont des ophtalmologistes népalais récemment diplômés qui sont à différents stades d’un rigoureux programme de formation interne de deux ans en chirurgie de la cataracte (voir encadré à la fin de cet article).

Les assistants en ophtalmologie du SCEH ont un rôle élargi. Ils effectuent un examen détaillé de l’oeil de chaque patient et recueillent les antécédents oculaires et systémiques. Le niveau de difficulté de l’opération et la probabilité de complications sont ensuite discutés avec le chirurgien superviseur principal, qui affecte les patients aux stagiaires en fonction du niveau d’expérience de ces derniers. Cette approche garantit une qualité élevée, et les complications sont moins fréquentes.

Le SCEH emploie également des agents de santé oculaire qui sont formés pour effectuer les contrôles préopératoires et préparer les patients à la chirurgie. Ceci inclut l’administration d’une anesthésie péribulbaire, la mise en place d’un fil de suture dans le droit supérieur, la mise en place du blépharostat, la réalisation d’une péritomie conjonctivale et la cautérisation du tissu scléral hautement vascularisé.

Gestion de la qualité

Tous les trois mois, les opérations de la cataracte font l’objet d’un audit et le personnel présente et discute les cas difficiles en vue d’améliorer les pratiques.

Si un chirurgien ou un chirurgien stagiaire rencontre des complications opératoires, un chirurgien senior interviendra si nécessaire. Le chirurgien responsable est invité à suivre de près l’évolution du patient et à faire une présentation, qui sera suivie d’une discussion, sur la complication et la manière dont elle aurait pu être évitée ou mieux gérée (ceci peut inclure l’examen d’enregistrements vidéo). Le chirurgien stagiaire pourra alors bénéficier d’une supervision plus étroite si nécessaire.

Le résultat de la chirurgie de la cataracte est mesuré le premier jour après l’opération, à la fin du premier mois après l’opération et lors de la visite de suivi à trois mois. Lors du suivi à un mois, plus de 60 % des patients opérés de la cataracte avaient une acuité visuelle sans correction supérieure ou égale à 3/10e.

Dépenses

La commande des consommables en gros (rendue possible par le volume élevé des opérations chirurgicales) permet de limiter les coûts. La plupart des instruments chirurgicaux sont stérilisés et réutilisés : par exemple, les kératomes et couteaux Crescent (généralement utilisés pour cinq patients), ou encore les canules à double courant de Simcoe (nettoyées, puis stérilisées à la vapeur et réutilisées).

C’est l’efficacité du parcours des patients dans le système de soins oculaires qui permet de faire les économies les plus importantes. Le SCEH a mis au point des mécanismes qui permettent de réduire le temps que le patient passe dans la salle d’opération et donc d’optimiser le temps de travail de chaque membre de l’équipe ; il s’agit notamment de la formation des agents de santé oculaire à la préparation des patients et à l’anesthésie, ou encore de l’aménagement de la salle d’opération pour permettre la préparation d’un patient pendant que le chirurgien opère un autre patient. Ceci réduit les frais généraux par patient et donc le coût global, permettant ainsi au SCEH de proposer des opérations à un prix abordable.

© JSCEH (Information and Technology Department CC BY-NC-SA 4.0

Durabilité

Le SCEH dispose d’un service de consultation externe séparé pour les patients aux revenus plus élevés, qui propose toute une gamme de services de santé oculaire, notamment la chirurgie de la cataracte par phacoémulsification. Les revenus de ce service de consultation externe permettent de subventionner la prise en charge des patients à faible revenu. Le SCEH bénéficie également de l’aide d’organismes donateurs qui prennent en charge les coûts des équipements, du développement des ressources humaines et des consommables chirurgicaux.

Aide aux femmes

Au Népal, bien que les femmes et les filles soient davantage touchées par la cécité que les hommes et les garçons, elles sont moins susceptibles de se rendre dans les hôpitaux ophtalmologiques, et ce pour diverses raisons3 (voir aussi l’article à la page 16). Le SCEH désagrège par sexe l’utilisation des services de cataracte et a pris des mesures pour adapter les installations aux besoins des femmes, en proposant par exemple des bureaux d’inscription, des files d’attente et des toilettes séparées pour les hommes et les femmes, un espace fermé pour l’allaitement, ainsi qu’une conseillère pour les femmes. Actuellement, le nombre d’opérations de la cataracte chez les femmes est supérieur de 3 % à celui enregistré chez les hommes.

Formation à la chirurgie de la cataracte

Les stagiaires en chirurgie de la cataracte, que nous appelons anterior segment fellows, suivent un programme de formation rigoureux de deux ans.

Les candidats doivent être des ophtalmologistes enregistrés auprès du Conseil médical népalais et ils doivent se soumettre à un examen écrit et un entretien au SCEH avant de pouvoir intégrer le programme. Les candidats retenus doivent également réussir l’examen protocolaire du SCEH avant d’être autorisés à examiner des patients dans le service de consultation externe.

Après avoir passé un mois au service de consultation externe, ils commencent leur formation à la chirurgie par deux journées dans la salle d’opération, pendant lesquelles ils observent les interventions chirurgicales pratiquées. Ils entreprennent ensuite une semaine de pratique de la suture dans le laboratoire de travaux pratiques. Après ça, les stagiaires s’entraînent à suturer la peau durant des dacryocystorhinostomies chez l’adulte. Une fois qu’ils ont acquis cette compétence, nous leur donnons l’opportunité de suturer la cornée, sous la surveillance d’un chirurgien expérimenté, chez des patients présentant un traumatisme cornéen ou scléro-cornéen et un potentiel visuel très faible.

Lorsque leur coordination main-oeil est bien établie et lorsqu’ils peuvent effectuer la prise en charge chirurgicale des traumatismes oculaires aisément et de manière indépendante, les stagiaires se voient confier des cas de chirurgie de la cataracte spécialement sélectionnés.

La formation à la chirurgie de la cataracte se déroule de manière systématique et comporte plusieurs étapes. Les stagiaires sont formés à chaque étape pendant une période d’un mois, sous la surveillance d’un formateur. Ils ont le droit de réaliser une opération de la cataracte de manière indépendante après une évaluation finale par le superviseur. La gestion des complications est d’abord assurée par le superviseur, puis est progressivement confiée aux stagiaires en fonction de leurs performances individuelles.

Les auteurs souhaitent remercier Astrid Leck et Elmien Wolvaardt pour leurs contributions au présent article.

Pour plus d’informations, se rendre sur le site : www.erec-p.org/sagarmatha

Références

1 Hennig A. Nucleus management with fishhook. Indian J Ophthalmol. 2009;57(1):35-7. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2661531/

2 Hennig A. Chirurgie de la cataracte sans suture et sans phacoémulsification : une solution pour réduire la cécité par cataracte dans le monde ? Revue de Santé Oculaire Communautaire, volume 2 nº 1 (2005) : 4–5.

3 Sapkota YD, Limburg H. Epidemiology of blindness in Nepal: 2012. Kathmandu: Nepal Netra Jyoti Sangh, 2013.