RSOC Vol. 20 No. 29 2023 pp 7-8. Publié en ligne 08 mars 2023.

Augmenter le nombre d’opérations de la cataracte : mon expérience à l’Hôpital Sabatia entre 2005 et 2011

Demissie Tadesse Bekele

Conseiller régional en santé oculaire, CBM Africa East & South Africa Regional Office, Addis-Abeba, Éthiopie.


L’Hôpital ophtalmologique Sabatia. KENYA © WWW.SABATIAEYEHOSPITAL.ORG CC BY-NC-SA
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En six ans, l’Hôpital Sabatia a réussi à tripler le nombre d’opérations de la cataracte, en améliorant ses systèmes, en créant un environnement de travail favorable, en accueillant plus de patients et en les traitant plus rapidement.

L’hôpital ophtalmologique Sabatia, situé dans un petit village rural du comté de Vihiga, au Kenya, est le principal hôpital de soins oculaires dans la région ouest du Kenya, dont la population s’élève à plus de 4 millions d’habitants.

Quand j’ai rejoint l’hôpital en qualité de directeur médical, en 2005, l’établissement réalisait en moyenne 1 500 opérations de la cataracte par an ; ce nombre était bien inférieur à son potentiel, et il était également très insuffisant au vu des besoins de la population dans sa circonscription (voir encadré). La situation financière de l’hôpital était également précaire.

Pour permettre à l’hôpital d’offrir des services de soins oculaires de haute qualité et à haut volume, notamment des opérations de la cataracte, nous avons travaillé d’arrache-pied pour mettre en place les systèmes d’administration, de ressources humaines, de financement et de gestion nécessaires à ces améliorations ; il nous a fallu également créer un environnement de travail favorable où tout le monde pourrait travailler en équipe.

Volume annuel des opérations de la cataracte : quel nombre viser ?

Comment déterminer le nombre d’opérations de la cataracte que devrait réaliser un établissement de soins oculaires chaque année ? C’est ce que l’on appelle le taux-cible de chirurgie de la cataracte ; on le calcule en multipliant la population vivant dans la circonscription de l’établissement par le taux de chirurgie de la cataracte (TCC) par million de personnes nécessaire pour lutter contre la cécité par cataracte dans la région ou le pays.

Une étude menée en 2013 a estimé que le TCC nécessaire pour éliminer la déficience visuelle (avec un seuil de 3/10e) imputable à la cataracte en Afrique était de 1 200 à 4 500 opérations par an pour une population d’un million de personnes1. Ce nombre se base sur des estimations de la prévalence de la déficience visuelle par cataracte dans la population (en utilisant par exemple la méthode d’appréciation rapide de la cécité évitable, ou ARCE2) et sur l’incidence de la cataracte dans la population (estimation du nombre de nouveaux cas par an dans la population). Cette incidence dépend de plusieurs facteurs, notamment l’âge de la population.

Pour estimer le TCC nécessaire dans la région ouest du Kenya, nous avons multiplié la population de notre circonscription (environ 4 millions) par le TCC mentionné plus haut (1 200 à 4 500 par million de personnes). Le TCC-cible dans notre région était donc compris entre 4 800 et 18 000 opérations par an.

Même avec le plein appui des membres du personnels de l’hôpital et de l’organisation non gouvernementale internationale CBM, il nous a fallu presque un an pour développer et renforcer ces systèmes et mettre l’hôpital sur la bonne voie.

Notre premier objectif était d’augmenter le nombre d’opérations de la cataracte réalisées chaque année, tout en maintenant la qualité de ces interventions. Pour ce faire, il nous fallait à la fois prendre en charge plus de patients et les traiter plus rapidement.

Nous avons immédiatement mis en place trois changements-clés dans nos politiques et notre manière de travailler :

  1. Nous avons ouvert notre service de consultation externe pendant nos heures de travail, au lieu de ne l’ouvrir que quelques heures par jour.
  2. Les patients avec cataracte se présentant sans rendezvous à la clinique (de leur propre chef ou à la suite d’une orientation) étaient admis en consultation et même opérés le jour même, à condition d’être en bonne santé et de vouloir se faire opérer.
  3. Les patients sortaient le lendemain, ce qui allait à l’encontre de la tendance à hospitaliser pendant plusieurs jours.

Nous savions toutefois que ces changements ne seraient pas suffisants.

Services de stratégie avancée

Comme l’Hôpital Sabatia est situé en zone rurale, il n’est pas facile de s’y rendre. Pour améliorer l’accès aux soins, notamment pour les personnes vivant dans des lieux isolés ou appartenant à des communautés défavorisées, l’hôpital a développé des partenariats avec des églises, des hôpitaux, des centres de santé, des entreprises et des organisations communautaires dans les zones environnantes. Ces partenaires nous ont aidé de différentes manières :

  • En parlant de la cataracte aux membres de la communauté et en les encourageant à venir se faire opérer par différents moyens de communication, tels que des émissions de radio, des interventions durant les services religieux ou dans des lieux publics comme les marchés.
  • En subventionnant des opérations : les entreprises locales et les Lions Clubs ont financé le coût des opérations pour les patients n’ayant pas les moyens de payer.
  • En nous aidant à titre bénévole pendant les activités de stratégie avancée, notamment pour dépister les cas, orienter les patients ayant besoin d’une intervention et prendre rendez-vous pour eux.
  • En nous prêtant des lieux qui pouvaient être utilisés comme bloc opératoire durant les activités de stratégie avancée dans les centres de santé, les hôpitaux de district et les établissements scolaires.
  • En permettant à leurs employés d’offrir leur soutien à l’hôpital dans les domaines suivants : assistance psychologique aux patients, prise de rendez-vous, admission à l’hôpital, bloc opératoire et suivi postopératoire.

En intensifiant nos efforts et en renforçant la productivité et la qualité des hôpitaux de base et des services de stratégies avancée, nous avons pu améliorer la réputation de notre hôpital. Ceci a permis à l’hôpital d’être de mieux en mieux reconnu comme un prestataire de soins oculaires important dans l’ouest du Kenya. Par conséquent, un plus grand nombre de patients se sont présentés dans nos services et nous avons pu également augmenter notre capacité grâce au soutien financier et matériel accru d’organisations caritatives et autres. À l’origine, le coût de l’opération était financé par des organisations caritatives, mais ensuite, grâce aux revenus supplémentaires générés par l’augmentation du nombre de patients, nous avons pu améliorer la qualité, acheter des équipements et subventionner les patients qui n’avaient pas les moyens de se faire opérer.

Formation en soins oculaires primaires

L’hôpital a lancé son programme de formation en soins oculaires primaires (cours de perfectionnement des compétences en ophtalmologie) afin de mettre en place des services de soins oculaires primaires dans les centres de santé et les hôpitaux de district de sa circonscription. Ceci a permis d’identifier plus de patients présentant une cataracte et de les orienter vers les hôpitaux de base et les lieux de stratégie avancée. Ceci a également permis de plus motiver les patients pour se faire opérer, de faciliter le suivi, et enfin d’améliorer considérablement le nombre d’opérations de la cataracte ainsi que les résultats postopératoires.

Toutes ces stratégies et ces efforts ont amélioré le volume chirurgical annuel, qui est passé de 1 500 opérations en 2005 à plus de 5 000 opérations en 2011. Parallèlement, l’hôpital a réalisé plus de recettes, ce qui nous a permis de motiver davantage le personnel, d’acheter des équipements de meilleure qualité, d’améliorer l’infrastructure, de réaliser plus d’opérations de la cataracte avec de meilleurs résultats et de développer le service de soins oculaires.

Références

1 Lewallen S, Courtright P, Etya’ale D, Mathenge W, Schmidt E, Oye J, Clark A, Williams T. Cataract incidence in sub-Saharan Africa: What does mathematical modeling tell us about geographic variations and surgical needs? Ophthalmic Epidemiol 2013;20:5:260-266.

2 Kuper H et al. Appréciation rapide de la cécité évitable. Revue de santé oculaire communautaire vol 4 nº 4 (2007) : 40 –41. https://www.cehjournal.org/wp-content/uploads/appreciation-rapidede-la-cecite-evitable.pdf