RSOC Vol. 06 No. 07 2009 pp 21 - 23. Publié en ligne 01 janvier 2009.

Anesthésie oculaire : principes, techniques et complications

Ahmed Fahmi

Ophtalmologiste pédiatrique, CCBRT Disability Hospital, Dar Es-Salaam, Tanzanie. Courriel: [email protected]


Richard Bowman

Ophtalmologiste, CCBRT Disability Hospital ; Maître de conférences honoraire, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Royaume-Uni. Courriel: [email protected]

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Théorie

L’œil et ses annexes sont innervés par le trijumeau, qui se divise en trois branches : ophtalmique, maxillaire et mandibulaire. Les fibres sensitives de l’œil et des annexes cheminent dans la branche ophtalmique du trijumeau, à l’exception de celles de la paupière inférieure qui cheminent dans sa branche maxillaire. En bloquant ces fibres sensitives, vous créez une anesthésie (aucune douleur n’est ressentie).

L’influx moteur des muscles oculomoteurs et du muscle élévateur de la paupière supérieure chemine par l’oculomoteur (IIIème paire crânienne), le pathétique (IVème) et le moteur oculaire externe (VIème). En bloquant l’influx moteur de ces muscles, vous les paralysez et créez ainsi une akinésie, de telle sorte que l’œil ne bouge pas durant l’intervention chirurgicale.

L’influx moteur du muscle orbiculaire des paupières, responsable de la fermeture légère ou forcée de l’œil, chemine par le nerf facial (VIIème paire crânienne). En bloquant ces fibres sensitives, vous obtiendrez une meilleure exposition durant l’intervention. Cela réduira également le risque d’hernie du contenu oculaire si le patient essaie de fermer ses paupières de force après que le chirurgien a ouvert le globe oculaire.

Anatomie

Il est important de se remémorer l’anatomie et de connaître précisément les différents sites d’injection possibles pour réaliser l’anesthésie.

Le diamètre antéropostérieur moyen du globe est de 24,15 mm (les valeurs allant de 21,7 à 28,75 mm). La longueur axiale des yeux myopes se situe parmi les valeurs supérieures de cet intervalle. Une longueur axiale élevée augmente le risque de perforation du globe, en particulier si vous réalisez un bloc rétrobulbaire.

La longueur de l’orbite osseuse est comprise entre 40 et 45 mm. En moyenne, l’équateur anatomique se situe 13 à 14 mm derrière le limbe le long de la surface du globe.

Dans sa partie la plus proche de l’orbite osseuse, le globe oculaire est à environ 4 mm du plafond de l’orbite, à 4,5 mm de sa paroi latérale, à 6,5 mm de sa paroi interne et à 6,8 mm du plancher orbitaire.

L’espace rétrobulbaire se situe à l’intérieur du cône des muscles oculomoteurs. Les zones relativement avasculaires de l’orbite se limitent à l’orbite antérieure dans les quadrants temporal inférieur et temporal supérieur. Le quadrant nasal supérieur très vascularisé n’offre que peu de place.

La capsule de Tenon représente le prolongement antérieur de la dure-mère qui entoure le nerf optique. Par conséquent, l’espace sous-ténonien se trouve en continuité avec l’espace sous-dural et constitue en fait une voie anatomique allant du limbe à l’espace rétrobulbaire. Comme la conjonctive fusionne avec la capsule de Tenon 2 à 3 mm derrière le limbe, vous pouvez facilement accéder à l’espace sous-ténonien en réalisant une petite entaille aux ciseaux à cet endroit.

Choix de la technique d’anesthésie

Décidez à l’avance de la technique que vous allez utiliser. Une anesthésie rétrobulbaire produit une anesthésie et une akinésie plus efficaces et agit plus rapidement. Cependant, cette technique comporte un risque plus élevé de survenue de complications rares, mais sérieuses, telles une perforation du globe, une hémorragie rétrobulbaire, ou l’injection d’anesthésique dans le liquide céphalorachidien (LCR). En apprenant à bien maîtriser cette technique, vous réduirez ces risques de manière significative.

La réalisation d’une anesthésie péribulbaire diminue la probabilité de complications. Toutefois, ce type d’anesthésie met plus de temps à agir et est moins efficace, comporte un risque de chémosis potentiel plus élevé, et exerce plus de pression sur l’œil. Si la longueur axiale de l’œil est supérieure à 27 mm, il faut éviter d’utiliser un bloc rétrobulbaire.

Lorsque l’anesthésie rétrobulbaire ou péribulbaire s’avère insuffisante, vous pouvez la compléter par une anesthésie sous-ténonienne. Administrée seule, l’anesthésie sous-ténonienne peut s’avérer utile durant des interventions plus courtes, à condition que le patient coopère. L’anesthésie sous-ténonienne est plus souvent réalisée par un chirurgien ophtalmologiste que par un anesthésiste. Ce type d’anesthésie permet de réinjecter de l’anesthésique à la demande, facilement et sans danger. L’anesthésie sous-ténonienne a moins tendance à entraîner des complications générales qu’une anesthésie rétrobulbaire ou péribulbaire1.

Complications des anesthésies rétrobulbaire et péribulbaire

Les signes d’une hémorragie rétrobulbaire sont une orbite dure et dense sans rétropulsion du globe, un proptosis et une hémorragie sous-conjonctivale. La prise en charge est généralement classique : il faut remettre l’intervention à plus tard. Toutefois, si l’œil semble très dur, vous devez réaliser une canthotomie latérale en urgence, afin de soulager la pression exercée sur le globe : effectuez un clampage du canthus externe avec une pince de Halsted pendant 30 secondes, puis coupez celui-ci.

La perforation du globe est une complication rare et grave. Vous en diminuerez les effets négatifs si vous reconnaissez cette complication à temps, avant d’injecter l’anesthésique. Vous devez suspecter une perforation du globe si l’ œil devient mou lorsque vous insérez l’aiguille. Si l’aiguille a transpercé le globe, celui-ci restera immobile lorsque vous demanderez au patient de regarder à droite et à gauche. Pour éviter cette complication, soyez très méticuleux : avancez l’aiguille doucement et faites particulièrement attention lorsque l’ œil présente une longueur axiale importante (il faut alors maintenir l’aiguille à plus grande distance du globe).

Les complications générales surviennent très rarement, mais elles sont extrêmement graves et peuvent se révéler fatales. Ces complications surviennent lorsque l’anesthésique est injecté dan un vaisseau sanguin ou dans le liquide céphalorachidien. Vous pourrez éviter cette deuxième situation en n’enfonçant pas l’aiguille à plus de 24 mm du point d’entrée et en demandant au patient de regarder droit devant lui (ceci a été prouvé par tomodensitométrie). Les complications générales se manifestent par un collapsus circulatoire, un trouble de la conscience (somnolence), un pouls irrégulier, ou des convulsions.

La solution anesthésique

Composants

La lignocaïne à 2 % est l’agent anesthésique le plus utilisé. Elle agit rapidement et son effet dure environ une heure. L’effet de la bupivacaïne à 0,5 % dure pendant trois heures ou plus ; cet anesthésique peut être utile pour des procédures longues, comme la chirurgie vitréorétinienne.

La hyaluronidase permet d’augmenter l’efficacité de l’anesthésie car elle facilite la diffusion de la lignocaïne ou de la bupivacaïne dans les tissus. Vous pouvez utiliser la hyaluronidase à une concentration d’environ 50 unités/ml (dans une fourchette de 25 à 75 ml).

L’adrénaline ralentit l’absorption des agents anesthésiques dans la circulation générale. Ceci permet de prolonger leur durée d’action et de réduire le risque de toxicité générale. Elle s’utilise à une concentration de 1/100 000.

Étapes de base pour toutes les techniques

  • Présentez-vous d’abord au patient. Expliquez la procédure de façon succinte, simple et compréhensible, et rassurez-le patient.
  • Vérifiez l’identité exacte du patient, l’œil devant être opéré et le type d’intervention requis.
  • Mesurez et notez la pression artérielle, le pouls, la fréquence respiratoire du patient. Ceci vous servira de base pour suivre les signes vitaux. Répétez ces observations toutes les deux ou trois minutes après l’injection. Si possible, utilisez le monitorage par oxymétrie de pouls durant l’injection et l’intervention.
  • Vérifiez que vous disposez du matériel et des médicaments nécessaires à la réanimation, au cas où surviendrait une complication générale.
  • Allongez le patient à plat dans une position sûre et confortable. Sa tête doit être soutenue.
  • Demandez au patient de regarder droit devant lui (pas vers le haut ou vers son nez) ; tenez la main du patient devant son œil et demandez-lui de la regarder.
  • Tirez légèrement le piston de la seringue avant d’injecter l’anesthésique, afin de vérifier que l’aiguille n’a pas traversé un vaisseau sanguin (du sang apparaîtra) ou une gaine durale (du liquide céphalorachidien apparaîtra).
  • Évaluez l’efficacité de l’anesthésie en demandant au patient de regarder dans les quatre directions cardinales du regard.
  • Remémorez-vous les complications éventuelles (voir encadré à la page 21), cherchez leurs manifestations cliniques et soyez prêt à les prendre en charge. Il vous faut anticiper la survenue de complications chez les yeux à grande longueur axiale et chez les patients qui refusent de coopérer. Les membres de l’équipe devraient suivre chaque année une formation de réanimation, afin de se familiariser avec la prise en charge des complications sérieuses.
Figure 1. Anesthésie rétrobulbaire : faire passer l’aiguille à la jonction du tiers extérieur et du tiers médian du rebord orbitaire inférieur, puis tout de suite derrière l’oeil sur 15 mm. L’aiguille doit être parallèle au plancher orbitaire et dirigée vers le bas. © Richard Bowman et Ahmed Fahmi
Figure 1. Anesthésie rétrobulbaire : faire passer l’aiguille à la jonction du tiers extérieur et du tiers médian du rebord orbitaire inférieur, puis tout de suite derrière l’oeil sur 15 mm. L’aiguille doit être parallèle au plancher orbitaire et dirigée vers le bas. © Richard Bowman et Ahmed Fahmi
Figure 2. L’anesthésique est injecté lorsque la direction de l’aiguille a changé, de telle sorte que son extrémité pointe en haut et en dedans en direction de l’éminence occipitale opposée. Noter le relâchement de la paupière supérieure. © Richard Bowman and Ahmed Fahmi
Figure 2. L’anesthésique est injecté lorsque la direction de l’aiguille a changé, de telle sorte que son extrémité pointe en haut et en dedans en direction de l’éminence occipitale opposée. Noter le relâchement de la paupière supérieure. © Richard Bowman and Ahmed Fahmi

Anesthésie rétrobulbaire

  • Préparez l’injection : 2 à 3,5 ml de la solution anesthésique dans une seringue avec une aiguille aiguisée de calibre 23 faisant 24 mm de long (pas 38 mm). L’aiguille doit avoir un biseau court.
  • Palpez le rebord orbitaire inférieur et faites passer l’aiguille à travers la peau ou la conjonctive à la jonction du tiers extérieur et du tiers médian de ce rebord. Le biseau de l’aiguille doit être dirigé vers le haut. L’aiguille doit tout de suite passer derrière l’œil sur 15 mm ; elle doit être parallèle au plancher orbitaire et dirigée vers le bas (Figure 1). Vous sentirez peut-être une résistance lorsque l’aiguille traversera le septum orbitaire.
  • Changez la direction de l’aiguille, de telle façon que son extrémité pointe vers le haut et vers l’intérieur vers l’arrière. Vous devez sentir une résistance lorsque l’aiguille traverse le cône des muscles oculomoteurs. Au total, l’aiguille ne doit pas avancer de plus de 24 mm à partir du plan cutané (Figure 2).
  • Injectez l’anesthésique lentement et vérifiez qu’il y a dilatation pupillaire et relâchement de la paupière supérieure.
  • Fermez doucement les paupières, couvrez avec un pansement et appliquez immédiatement une pression appuyée tout en restant douce, pendant 5 à 10 minutes. Ceci peut être fait manuellement ou bien avec un ballon spécial gonflé à 30 mm Hg.

Note : si l’anesthésie échoue la première fois, vous ne pourrez répéter l’injection qu’une seule fois.

Figure 3. Anesthésie péribulbaire : insertion de l’aiguille à travers le cul-de-sac conjonctival sous le limbe latéral, après avoir exposé le cul-de-sac conjonctival inférieur en tirant doucement la paupière inférieure vers le bas. © Richard Bowman and Ahmed Fahmi
Figure 3. Anesthésie péribulbaire : insertion de l’aiguille à travers le cul-de-sac conjonctival sous le limbe latéral, après avoir exposé le cul-de-sac conjonctival inférieur en tirant doucement la paupière inférieure vers le bas. © Richard Bowman and Ahmed Fahmi
Figure 4. Pour la deuxième injection, faire progresser l’aiguille entre la caroncule et le canthus interne, puis en direction postéro-interne pour l’éloigner du globe. © Richard Bowman and Ahmed Fahmi
Figure 4. Pour la deuxième injection, faire progresser l’aiguille entre la caroncule et le canthus interne, puis en direction postéro-interne pour l’éloigner du globe. © Richard Bowman and Ahmed Fahmi

Anesthésie péribulbaire

Cette anesthésie se pratique en deux injections ; une injection inférotemporale et une injection entre la caroncule et le canthus interne.

  • Préparez la seringue, soit 7 à 10 ml de solution anesthésique dans la même seringue que pour une anesthésie rétrobulbaire.
  • Exposez le segment inférieur du cul-de-sac conjonctival en tirant doucement la paupière inférieure vers le bas (Figure 3).
  • Instillez une goutte de collyre anesthésique local.
  • Insérez l’aiguille à travers le cul-de-sac conjonctival sous le limbe latéral. Faites-la passer vers l’arrière et latéralement, sur pas plus de 24 mm. Éloignez l’aiguille du globe en la dirigeant légèrement vers le bas (Figure 3).
  • Injectez au niveau de l’équateur. L’injection inférotemporale (4 à 5 ml au total) peut être pratiquée en trois « fois » : 1 ml immédiatement derrière le muscle orbiculaire, 1 ml juste devant l’équateur, et 2 ml une fois que l’aiguille a dépassé le globe.
  • Pour la deuxième injection (3 à 4 ml au total), vous ferez progresser l’aiguille entre la caroncule et le canthus interne, puis en direction postéro-interne (pour l’éloigner du globe) sur environ 24 mm, pour injecter 3 à 4 ml de l’anesthésique (Figure 4). Si vous injectez directement à travers la caroncule, ceci risque de provoquer un saignement abondant.
  • L’abord nasal supérieur est maintenant considéré comme étant trop dangereux (en raison d’une forte vascularisation et d’un manque d’espace) et il doit être abandonné.
Figure 5. Anesthésie sous-ténonienne : en tenant les ciseaux à ténotomie perpendiculairement à la surface de l’ œil, effectuer une petite entaille (0,5 mm) à travers la conjonctive et la capsule de Tenon, 2 à 3 mm derrière le limbe dans le quadrant inféro-interne du globe. © Richard Bowman et Ahmed Fahmi
Figure 5. Anesthésie sous-ténonienne : en tenant les ciseaux à ténotomie perpendiculairement à la surface de l’ œil, effectuer une petite entaille (0,5 mm) à travers la conjonctive et la capsule de Tenon, 2 à 3 mm derrière le limbe dans le quadrant inféro-interne du globe. © Richard Bowman et Ahmed Fahmi
Figure 6. Lorsque vous êtes au-delà de l’équateur, votre main et la seringue doivent effectuer une rotation pour s’éloigner du globe, afin que l’extrémité de la canule puisse demeurer dans l’espace rétrobulbaire. © Richard Bowman et Ahmed Fahmi
Figure 6. Lorsque vous êtes au-delà de l’équateur, votre main et la seringue doivent effectuer une rotation pour s’éloigner du globe, afin que l’extrémité de la canule puisse demeurer dans l’espace rétrobulbaire. © Richard Bowman et Ahmed Fahmi

Anesthésie sous-ténonienne

  • Préparez 2 à 3,5 ml de solution anesthésique.
  • Instillez une goutte de collyre anesthésique. Un petit tampon imbibé d’améthocaïne et placé dans le segment inférieur du cul-de-sac conjonctival pendant une minute sera particulièrement efficace.
  • Cautérisez l’emplacement avant de réaliser la petite incision ou entaille ; ceci sera extrêmement utile pour limiter les risques d’hémorragie sous-conjonctivale et d’élargissement imprévu de l’incision. Pour ce faire, appliquez doucement le cautère bipolaire, en touchant à peine la surface de la conjonctive, sans appuyer. Cela vous aidera également à éloigner la capsule de Tenon de la sclère.
  • Avec des ciseaux à ressort type Castroviejo, effectuez une petite entaille (0,5 mm de long) à la fois à travers la conjonctive et la capsule de Tenon, 2 à 3 mm derrière le limbe, dans le quadrant inféro-interne du globe. N’ouvrez pas les ciseaux plus qu’à moitié. Il est essentiel de trouver le plan sous-ténonien, c’est-à-dire de disséquer jusqu’à la sclère. Pour vous aider, vous pouvez tenir les lames de ciseaux de telle façon que leur plan soit perpendiculaire, plutôt que parallèle, à la surface de l’œil (Figure 5).
  • Utilisez une canule à bout mousse spécialement conçue à cet effet pour injecter l’anesthésique. Toutefois, si vous ne disposez pas de cette canule spécifique, vous pouvez utiliser une canule à voie lacrymale. Montez la canule sur une seringue contenant l’anesthésique.
  • Passez la canule à travers la petite entaille. Celle-ci devrait être juste de taille à enserrer la canule.
  • Avancez la canule vers l’arrière, son extrémité touchant la courbure du globe, jusqu’à l’espace rétrobulbaire. Lorsque vous êtes au-delà de l’équateur, votre main et la seringue doivent effectuer une rotation pour s’éloigner du globe, afin que l’extrémité de la canule puisse demeurer dans cet espace (Figure 6).

Référence

1 Eke T, Thompson JR. Serious complications of local anaesthesia for cataract surgery: a 1-year national survey in the United Kingdom. Br J Ophthalmol 2007; 91(4): 470-5.