RSOC Vol. 20 No. 29 2023 pp 12-13. Publié en ligne 10 mars 2023.

Améliorer les résultats de l’opération de la cataracte grâce à un processus d’amélioration de la qualité

Chandrashekharan Shivkumar

Services de cataracte et d’implants intraoculaires, Aravind Eye Hospital, Tinurelveli, Inde.


Haripriya Aravind

Responsable, Services de cataracte et d’implants intraoculaires, Aravind Eye Hospital, Chennai, Inde.


Ravindran D Ravilla

Directeur, Aravind Eye Care System, Madurai, Inde.


Figure 1 Technicienne en biométrie utilisant la technique de biométrie par aplanation avec un échographe. INDE © Mohan Raja CC BY-NC 4.0
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Un suivi continu et une démarche systématique d’amélioration de la qualité peuvent permettre d’améliorer les résultats pour les patients.

Les Hôpitaux de soins oculaires Aravind (Aravind Eye Care System ou AECS), soit un réseau de 14 hôpitaux, réalisent au total plus de 300 000 opérations de la cataracte par an. Plus de 60 % de ces opérations sont subventionnées ou ne coûtent rien au patient, et elles sont réalisées en utilisant la technique de chirurgie de la cataracte à petite incision manuelle (CCPI).

Grâce aux avancées des techniques chirurgicales et de la technologie des implants intraoculaires, la chirurgie de la cataracte peut maintenant restaurer la vue et corriger les vices de réfraction. Dans la mesure où beaucoup de patients n’auront pas accès à des lunettes de correction, ou n’en auront pas les moyens, il est important que les patients aient une bonne acuité visuelle après l’opération avec leur correction existante. Prenant en compte les données récentes montrant l’impact de la déficience visuelle modérée (acuité visuelle comprise entre 3/10e et 5/10e) sur le fonctionnem ent quotidien des individus1,2, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande maintenant un seuil d’acuité visuelle avec correction existante de 5/10e ou plus après une opération de la cataracte3.

Dans le cadre de notre stratégie d’amélioration continue de la qualité des services de cataracte, nous avons décidé de tester une autre méthode pour réaliser l’examen de biométrie oculaire, dans le but d’améliorer l’acuité visuelle postopératoire avec la correction existante. La biométrie oculaire est la mesure des dimensions de l’oeil afin de prédire la puissance de l’implant intraoculaire qui conviendra au patient. Le degré d’exactitude de la prévision de la puissance de l’implant intraoculaire (ou « calcul d’implant ») est l’un des facteurs ayant le plus d’influence sur l’acuité visuelle avec correction optique existante après la chirurgie de la cataracte. L’exactitude de l’examen de biométrie oculaire se mesure en notant le pourcentage de patients dont l’écart réfractif (la différence entre la réfraction-cible, estimée durant l’examen de biométrie, et la réfraction postopératoire) se situe dans un intervalle donné d’erreur de prévision ; ce nombre est exprimé sous forme d’équivalent sphérique, en dioptries (D).

Notre processus d’amélioration de la qualité comporte les étapes suivantes :

  1. Identifier le problème (qu’est-ce qui doit changer ?) et recueillir des données de base sur les résultats et le volume chirurgical, avant d’effectuer des changements.
  2. Établir des normes et convenir de seuils de référence sur lesquels seront basées ces normes.
  3. Décider des méthodes et des équipements nécessaires pour apporter une amélioration.
  4. Introduire les changements et former le personnel.
  5. Mesurer l’impact.
  6. Recueillir des données pour piloter le processus d’amélioration continue.

Identifier le problème et recueillir les données de base

Jusqu’à 2012, le calcul d’implant se faisait par des méthodes de biométrie ultrasonore par une technique de contact ou par aplanation ; la raison étant que ces méthodes sont faciles et rapides, particulièrement dans des services traitant un nombre très élevé de patients (Figure 1). Toutefois, dans la mesure où cette méthode implique un contact direct avec la cornée, cela peut entraîner une compression de la cornée et donc des erreurs de lecture.

Figure 1 Technicienne en biométrie utilisant la technique de biométrie par aplanation avec un échographe. INDE © Mohan Raja CC BY-NC 4.0

Les Hôpitaux Aravind utilisent un système de dossier médical électronique appelé CatQA pour suivre les résultats et les processus et les améliorer en continu. Lorsque nous avons analysé les données du système CatQA issues de nos hôpitaux, nous avons constaté que seulement 40,4 % des patients ayant subi un examen de biométrie avec échographe et une CCPI présentaient une erreur de prévision située dans un intervalle de ± 0,5 dioptrie, et que 85 % présentaient une erreur de prévision située dans un intervalle de ± 1,0 dioptrie.

Établir des normes

Nous avons décidé de baser nos normes de précision en biométrie oculaire sur les seuils utilisés par le système de santé du Royaume-Uni, le NHS (National Health Service) : soit une erreur de prévision située dans un intervalle de ± 0,5 dioptrie chez 60 % des patients opérés, et dans un intervalle de ± 1,0 dioptrie chez 90 % des patients opérés4.

Trouver les méthodes et les équipements nécessaires pour apporter une amélioration

Il existe des données probantes5 montrant que la biométrie par immersion avec un échographe donne de meilleurs résultats que la biométrie avec contact et peut être utilisée pour tous les types de cataracte (bien que la biométrie optique donne globalement de meilleurs résultats que la biométrie avec un échographe elle ne convient pas pour les cas de cataracte avancée, qui sont beaucoup plus fréquents dans des contextes à faible revenu comme le nôtre).

En nous basant sur ces données, ainsi que sur les ressources humaines et financières dont nous disposions, nous avons décidé de changer de technique dans tous nos hôpitaux de soins oculaires et de passer de la biométrie par aplanation avec un échographe à la biométrie par immersion avec un échographe.

Figure 2 Technicienne en biométrie utilisant la technique de biométrie par immersion avec un échographe. INDE © Mohan Raja CC BY-NC 4.0
© Mohan Raja CC BY-NC 4.0

Effectuer des changements de manière graduelle

La technique de biométrie par immersion a été progressivement mise en oeuvre de 2013 à 2018 ; nous avons d’abord modernisé l’équipement, puis reformé les membres du personnel qui réalisent la biométrie oculaire. Nous avons structuré la formation et suivi de près le personnel formé. À la fin de l’année 2018, la totalité de nos hôpitaux (14 en tout) utilisaient la technique de biométrie par immersion (Figure 2).

Mesurer l’impact

Pour mesurer l’impact des changements apportés, nous avons récolté des données sur le degré de précision du calcul d’implant un an après l’introduction de la technique de biométrie par immersion, puis à nouveau en 2021. L’impact du changement était évident quand nous avons comparé ces données avec les données de base recueillies en 2012 (voir Tableau 1).

Tableau 1 Proportion de patients vus en consultation (sur une période de 12 mois) présentant une erreur de prévision située dans un intervalle de ± 0,5 dioptrie et dans un intervalle de ± 1 dioptrie (le seuil étant 60 % < 0,5 D et 90 % < 1,0 D).

Erreur de prévision dans un intervalle de ± 0,5 dioptrie Erreur de prévision dans un intervalle de ± 1 dioptrie
Biométrie avec contact (2012) 46 278 (40,4 %) 97 410 (85,0 %)
Biométrie par immersion, un an après son introduction 84 036 (54,6 %) 147 758 (96,0 %)
Biométrie par immersion (mars 2022) 71 871 (67,7 %) 101 874 (96,0 %)

Suite à l’adoption de la technique de biométrie par immersion dans nos 14 hôpitaux, nous avons observé que parmi les 153 868 patients chez qui nous avions utilisé la biométrie par immersion, l’erreur de prédiction était de ± 0,5 dioptrie dans 54,6 % des cas (contre 40,4 % auparavant) et de ± 1 dioptrie dans 96,0 % des cas (contre 85 % auparavant).

Recueil de données et amélioration en continu

Nous continuons à surveiller systématiquement l’erreur de prévision et à apporter des améliorations lorsque c’est nécessaire (Figure 3), grâce à un processus de suivi continu des résultats et d’amélioration de la qualité.

Figure 3 Suivi continu des résultats pour améliorer la qualité

D’autres opportunités d’amélioration de la qualité se sont présentées à nous et ont entraîné les améliorations supplémentaires observées entre 2019 et 2021 (voir Tableau 1) ; il s’agissait notamment de l’utilisation d’une meilleure formule de calcul de la puissance de l’implant et d’une formation supplémentaire en biométrie pour le personnel concerné.

En 2021, bien que nous ayons réalisé moins d’opérations (en raison de la pandémie de COVID-19), et ce sur des cataractes plus avancées, nos résultats ont été nettement supérieurs aux seuils du NHS puisque l’erreur de prévision se situait dans un intervalle de ± 0,5 dioptrie pour 68,2 % des patients et dans un intervalle de ± 1 dioptrie pour 94,9 % des patients (Tableau 1).

Nous avons observé parallèlement une amélioration de la proportion de patients ayant une meilleure acuité visuelle (AV) postopératoire une fois que nous avons adopté la technique de biométrie par immersion. La proportion de patients présentant en postopératoire une AV non corrigée supérieure ou égale à 3/10e est passée de 63,0 % en 2012 à 83,9 % en 2021 (Tableau 2). De même, la proportion de patients présentant en postopératoire une AV non corrigée supérieure ou égale à 5/10e est passée de 31,0 % en 2012 à 59,8 % en 2021 (Tableau 2).

Tableau 2 Proportion de patients vus en consultation (sur une période de 12 mois) présentant une acuité visuelle (AV) sans correction ≥ 3/10e et ≥ 5/10e, avant et après l’adoption de la technique de biométrie par immersion.

Nombre (et %) de patients ayant une AV sans correction ≥ 3/10e Nombre (et %) de patients ayant une AV sans correction ≥ 5/10e
Biométrie avec contact (2012) 114 560 (63,0 %) 34 936 (31,0 %)
Biométrie par immersion (2021) 89 560 (84,4 %) 61 587 (58,0 %)

En conclusion, ce processus d’amélioration de la qualité centré sur le patient a favorisé la sécurité des patients, l’efficacité thérapeutique et une utilisation efficace des ressources. Le suivi constant des résultats nous a fourni les informations nécessaires pour nous améliorer en continu et affiner les processus d’amélioration de manière souvent peu coûteuse (par exemple en utilisant de meilleures formules de calcul d’implant). La première étape de ce processus consiste à identifier les opportunités d’amélioration ; celles-ci seront différentes dans chaque institution.

Nous invitons tous ceux qui sont impliqués dans les services de traitement chirurgical de la cataracte à adopter ce processus cyclique d’amélioration continue, car cela permet d’obtenir le meilleur résultat possible pour les patients, quel que soit le nombre d’opérations réalisées.

Remerciements

Nous tenons à remercier les personnes suivantes pour leur contribution : M. Thulasiraj Ravilla, directeur exécutif, et Mme Dhivya Ramsamy, professeure au Lions Aravind Institute of Community Ophthalmology (LAICO), AECS, Madurai, Inde.

Références

1 O’Conor R, Smith SG, Curtis LM, Benavente JY, Vicencio DP, Wolf MS. Mild visual impairment and its impact on self-care among older adults. J Aging Health. 2018;30:327–41.

2 Cumberland PM, Rahi JS. Visual function, social position, and health and life chances: the UK Biobank study. JAMA Ophthalmol 2016;134:959-66.

3 Keel S, Müller A, Block S, Bourne R, Burton MJ, Chatterji S, et al. Keeping an eye on eye care: monitoring progress towards effective coverage. Lancet Glob Health. 2021(10):e1460-4.

4 Sheard R. Optimising biometry for best outcomes in cataract surgery. Eye. 2014;28:118-25.

5 Pereira A, Popovic M, Lloyd JC, El-Defrawy S, Schlenker MB. Preoperative measurements for cataract surgery: a comparison of ultrasound and optical biometric devices. Int Ophthalmol. 2021;41(4):1521-30.