Améliorer la qualité de la chirurgie de la cataracte
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La qualité est un concept difficile à décrire et il n’en existe aucune définition claire. Chacun a son opinion sur ce que signifie la qualité et la décrit de façon différente.
Prenons l’exemple d’une course en taxi. Comment décrire la qualité de la course ? Votre description sera-t-elle basée sur la politesse du chauffeur, le luxe du véhicule, ou le fait que vous soyez arrivé à destination sans encombre ? Si vous posez la question au chauffeur, comment décrira-t-il la qualité de la même course ? Il utilisera sans doute d’autres critères, comme le fait qu’il n’a pas eu de panne, ou qu’il n’a pas rencontré d’embouteillages. Il y a donc manifestement différentes façons de mesurer ou de décrire la qualité, et celles qui vous intéressent dépendent de qui vous êtes.
De même, il existe différentes façons de décrire la qualité de la chirurgie de la cataracte. Divers critères peuvent être utilisés, certains intéressant davantage les patients, d’autres les chirurgiens. La qualité de la chirurgie de la cataracte peut être décrite en termes de :
- efficacité clinique
- sécurité du patient
- expérience du patient
- rapport coût-efficacité (rentabilité)
- équité (égalité d’accès aux soins).
Ces critères sont également définis comme des « dimensions » de la qualité. Dans cet article, nous analyserons les trois premiers.
Efficacité clinique
L’efficacité clinique mesure le succès de l’intervention chirurgicale (le patient a-t-il une bonne vision après l’opération ?).
Lorsque l’on demande à des chirurgiens de décrire la qualité d’une opération, la plupart mentionnent le résultat de l’intervention (l’acuité visuelle). En d’autres termes, ils définissent la qualité comme l’efficacité clinique. D’autres indicateurs d’efficacité clinique incluent les données cliniques du patient avant, pendant et après l’intervention. Pris ensemble, ces aspects des soins décrivent la qualité clinique.
Acuité visuelle
L’acuité visuelle (AV) est la mesure clinique la plus courante de la qualité de la chirurgie de la cataracte. C’est ainsi que l’on mesure et décrit le succès de l’intervention et il est donc essentiel que l’AV soit bien mesurée. Malheureusement, cette dernière est souvent mesurée de façon inexacte, souvent par du personnel peu expérimenté ou non formé. Même si une mauvaise mesure de l’AV n’a pas d’effet direct sur le patient, elle empêche les chirurgiens et l’hôpital d’évaluer correctement l’efficacité clinique de leurs soins. Un fort taux de mauvais résultats après une opération de la cataracte est inquiétant et doit donner lieu à une enquête pour en identifier les raisons potentielles. Un faible taux de mauvaise AV postopératoire est une bonne nouvelle, mais il ne faut pas pour autant le tenir pour acquis.
La mesure de l’AV doit être standardisée et systématique. Tous les membres du personnel doivent mesurer celle-ci de la même façon, en suivant les mêmes étapes, et doivent la noter de la même façon dans le dossier du patient. Ainsi, l’AV consignée dans le dossier d’un patient devrait être la même quelle que soit la personne qui l’ait mesurée. Les points suivants sont les normes minimales à suivre lors de la mesure de l’AV :
- L’AV de tous les patients devant subir une opération de la cataracte doit être mesurée avant et après l’opération. Dans le cas de patients hospitalisés, elle doit être mesurée quotidiennement. Dans le cas de patients en traitement de jour, elle doit être mesurée à chaque visite de suivi.
- L’AV doit être mesurée à l’aide d’une échelle optométrique standard composée de lettres clairement visibles sur un fond blanc (de préférence rétro-éclairé), à une distance standard.
- Dans la mesure du possible, l’acuité avec trou sténopéïque doit être mesurée pour chaque patient.
Déterminer le niveau de base pour mesurer l’amélioration de la performance
- Pour mesurer votre niveau de base, mesurez et consignez l’acuité visuelle (AV) postopératoire après 200 opérations de la cataracte consécutives, à l’un ou à plusieurs des moments suivants : lors de la sortie de l’hôpital, durant la première visite de suivi et/ou la deuxième visite de suivi.
- Mettez en œuvre les activités prévues pour améliorer la qualité.
- Une fois que ces activités sont en place et sont devenues routinières, mesurez et consignez l’AV après 200 opérations de la cataracte consécutives aux mêmes moments qu’à l’étape 1 ci-avant (soit lors de la sortie de l’hôpital, durant la première visite de suivi, etc.).
- Répétez tous les mois ou tous les trimestres pour suivre les progrès accomplis.
Établir un niveau de base
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié des recommandations1 concernant le pourcentage souhaitable de résultats visuels bons, limites ou mauvais après opération. Malheureusement, ces recommandations ne précisent pas quand après l’opération ce résultat doit être mesuré. Il est plus utile d’établir un niveau de base (voir encadré sur cette page) pour mesurer l’amélioration de la performance.
L’existence d’un niveau de base permet aux hôpitaux de comparer leur performance actuelle à leur performance passée et de se donner des objectifs d’amélioration ou de changement de leur performance. Ce niveau de base peut également leur permettre de comparer leur performance à celle d’hôpitaux similaires.
Pour établir le niveau de base d’un établissement de santé, il suffit de noter l’AV après un nombre défini d’opérations, à des moments précis (par exemple lors de la sortie, durant la première ou la deuxième visite de suivi) et de déterminer la proportion d’opérations après lesquelles le patient présente une AV donnée à un moment donné (soit par exemple une AV de 6/10 lors de la première visite de suivi). Cette proportion est alors utilisée comme niveau de base pour évaluer si les résultats se sont améliorés à une date ultérieure. La consignation de l’AV après 200 opérations consécutives est généralement suffisante pour établir le niveau de base.
Une fois établi, le niveau de base permet également de définir des objectifs d’amélioration. Par exemple, l’hôpital peut souhaiter augmenter d’un certain pourcentage la proportion de patients présentant une AV de 6/10 à la première visite de suivi au cours des six mois à venir et mettre des mesures en place pour obtenir ce résultat.
Biométrie
La biométrie, ou calcul de la puissance de la lentille intraoculaire avant l’opération, est tout aussi importante qu’une bonne technique chirurgicale pour assurer un bon résultat visuel.
Lorsque cela est cliniquement possible, tout hôpital doit systématiquement avoir recours à la biométrie avant une opération de la cataracte. Si cela n’est pas possible, l’équipe de soins doit décider s’il est souhaitable de continuer à proposer des opérations de la cataracte, car le risque d’obtenir une mauvaise AV postopératoire est alors très élevé.
Complications
L’autre indicateur important de la qualité clinique est le taux de complications (soit le nombre de complications pour 100 opérations). Les complications de la chirurgie de la cataracte sont nombreuses et il est important qu’elles soient consignées dans le dossier du patient, honnêtement et de manière détaillée.
Tout chirurgien rencontre des complications. Il est important de les enregistrer, de les comprendre et de les traiter. Il s’agit d’étapes importantes pour permettre d’assurer la qualité de la chirurgie de la cataracte pratiquée par un individu et par une institution.
Toutes les autres données cliniques pertinentes doivent être notées systématiquement pour chaque opération de la cataracte effectuée (voir encadré à la page 41). Sans ces informations, il est impossible pour l’hôpital ou le chirurgien de comprendre sa charge de travail, d’identifier les problèmes et de procéder aux changements éventuellement nécessaires.
Remarque : le taux de complication peut être mesuré pour établir un niveau de base, comme cela est décrit pour l’AV dans l’encadré page 39.
Sécurité du patient
Plus d’un patient hospitalisé sur 10 subit un préjudice sans lien avec sa maladie. Ces incidents sont en grande partie évitables et la reconnaissance de l’ampleur du problème a conduit l’OMS à lancer un programme pour la sécurité des patients. La crainte de poursuites judiciaires et d’indemnisations onéreuses a conduit de nombreux hôpitaux, même dans des pays à faible revenu, à prendre au sérieux la sécurité des patients.
La sécurité des patients dans la chirurgie de la cataracte est cruciale. Un préjudice peut survenir à tout moment durant le parcours du patient, qu’il s’agisse d’un trébuchement dû à un obstacle dans le service de consultation externe ou d’une endophtalmie due à une mauvaise stérilisation des instruments. La plupart des incidents peuvent être évités s’il existe à l’hôpital une culture de sécurité du patient et si le personnel soignant est motivé.
La sécurité des patients peut être abordée de deux façons : rétrospectivement, en menant des enquêtes à la suite d’incidents indésirables pour en déterminer la cause, et prospectivement, en prenant des mesures pour éviter les préjudices.
Les enquêtes rétrospectives sur les incidents sont essentielles, à condition toutefois qu’elles soient menées de façon systématique et juste. Il est souhaitable que l’hôpital n’entretienne pas en pratique une « culture de la faute » et admette au contraire que, généralement, les incidents relatifs à la sécurité des patients sont le fruit d’une série d’erreurs. L’objet de l’enquête est d’identifier les erreurs produites et leurs raisons principales. Le rejet de la « culture de la faute » ne signifie pas pour autant que l’on rejette la notion de responsabilité ; il est important que toute personne responsable d’un incident soit sanctionnée de façon adéquate. Chaque hôpital devrait avoir une politique d’enquête sur les incidents relatifs à la sécurité des patients, ainsi que des directives claires sur les responsabilités de chacun et les actions à mettre en œuvre en cas d’incident.
Il vaut mieux prévenir que guérir et un hôpital doit mettre en œuvre autant d’actions préventives que possible. L’OMS a publié des directives pour aider les hôpitaux de pays à faible revenu à assurer la sécurité des patients2.
La plupart des incidents relatifs à la sécurité des patients ont lieu dans la salle d’opération. Il est donc particulièrement important d’assurer que le patient ne subisse aucun préjudice dans cet environnement. Même si tous les hôpitaux reconnaissent l’importance de la stérilisation des instruments et du port de gants, combien pensent qu’il est important de vérifier le nom du patient, la puissance de la lentille intraoculaire à insérer ou l’œil à opérer?
La plupart des chirurgiens ont déjà opéré le mauvais patient ou le mauvais œil ou inséré la mauvaise lentille intraoculaire. Pour faciliter la prévention de tels incidents, le Service de santé national britannique (NHS) a adapté la liste de contrôle de la sécurité chirurgicale de l’OMS à la chirurgie de la cataracte. Cette liste est disponible en ligne3 et son utilisation pour toutes les opérations de la cataracte est fortement recommandée.
Il est largement reconnu que l’importance accordée à la sécurité du patient par la direction et le personnel d’un hôpital détermine la probabilité que les patients subissent un préjudice.
Un hôpital où existe une bonne culture de sécurité des patients présente les caractéristiques suivantes :
- soins axés sur le patient, en particulier traitement respectueux des patients
- environnement de qualité avec disponibilité du matériel nécessaire
- équipe clinique solide qui travaille bien ensemble
- soutien adéquat de la direction.
Il existe des outils qui permettent d’évaluer la culture de sécurité du patient au sein de l’hôpital et d’identifier les points qui demandent à être renforcés.
Expérience du patient
Au début de l’article, nous avons utilisé comme exemple la façon de décrire la qualité d’une course en taxi. Les prestataires de services en dehors du domaine de la santé demandent fréquemment à leurs usagers de décrire leur expérience, afin d’évaluer la qualité de leurs services. Les hôpitaux ont maintenant commencé à mesurer l’expérience du patient afin d’évaluer la qualité des services reçus par leurs usagers, les patients.
Autrefois, certaines études mesuraient la satisfaction des patients concernant les soins reçus. Malheureusement, dans les pays à faible revenu, la plupart des patients s’estiment très satisfaits même s’ils n’ont pas reçu des soins de qualité. La raison semble en être que les patients ne veulent pas parler de l’hôpital ou du personnel soignant en termes négatifs, mais cela conduit à un niveau artificiellement élevé de satisfaction. L’autre problème est que le niveau de satisfaction du patient ne présente qu’un intérêt limité pour l’hôpital. La satisfaction ou l’insatisfaction n’apprend rien à l’hôpital sur ses services ni sur la façon de les améliorer.
Ces questions de satisfaction du patient ont conduit à recourir au concept d’expérience du patient comme mesure de la qualité. L’expérience du patient décrit les opinions du patient sur son expérience des différents aspects de sa prise en charge. Par exemple, le patient a-t-il trouvé l’hôpital propre ? Quelles instructions lui ont été données par le personnel après l’opération ? Ces questions correspondent à des points qui peuvent être vérifiés en interne. Si suffisamment de patients signalent des problèmes spécifiques, des actions peuvent être prises pour remédier à la situation.
Comment mesurer la qualité
Pour connaître la qualité de son service de chirurgie de la cataracte, il faut qu’un hôpital puisse la mesurer. Il existe un ensemble d’outils qui permettent de recueillir et d’analyser les données relatives aux soins et à la sécurité des patients. La collecte de données relatives à l’expérience du patient est un peu plus compliquée, mais des mesures simples comme une boîte à suggestions ou des groupes de discussion de patients (dans lesquels les patients, après l’opération, se retrouvent avec un conseiller pour discuter de leur expérience) peuvent être mis en place pour permettre aux patients de donner des retours d’expérience sur lesquels l’hôpital peut agir.
Recueillir des données sur la qualité
Voici les ressources requises pour le recueil de données sur la qualité :
- Des outils (ordinateur et logiciels) qui permettent de saisir les données sur la qualité
- Une personne pour collecter et saisir les données
- Une personne pour analyser et interpréter les résultats
- Un forum (réunion) pour discuter des résultats avec le personnel (car chacun a un rôle à jouer dans l’amélioration de la qualité)
- Un leadership solide pour prendre des décisions parfois difficiles et promouvoir les changements.
Créer le changement
Il est toujours difficile de changer les comportements humains. Le personnel répète les mêmes gestes depuis des années et il relève souvent du défi de lui faire accepter le changement. Il est toutefois essentiel d’apporter des changements si l’on veut améliorer la qualité. On peut toujours faire mieux !
Communiquer
Le premier pas vers une amélioration de la qualité est d’établir un dialogue ouvert et honnête avec les membres du personnel concernant les problèmes potentiels et la meilleure façon de les régler. Par exemple, qu’est-ce qui empêche le personnel soignant de mesurer correctement l’acuité visuelle (AV) ? L’équipement est-il en cause, ou le personnel est-il supposé mesurer l’AV de 45 patients en seulement 30 minutes, ou encore a-t-il l’impression que jamais personne ne vérifie ce qu’il consigne dans le dossier médical ? Les membres du personnel ont souvent des idées pratiques et contextuelles sur la façon dont les choses pourraient être améliorées.
Procéder par tâtonnements
Il est rare qu’un changement majeur soit possible ou même efficace. Les changements se produisent plutôt par étapes progressives. Un aspect important de l’amélioration de la qualité consiste à effectuer de petits changements et à vérifier leur efficacité. Vous pouvez par exemple modifier la façon dont l’AV des patients est évaluée afin que cette étape soit plus facile à mettre en œuvre par les membres du personnel concerné, puis discuter de l’efficacité de ce changement avec l’ensemble du personnel.
Intégrer le changement
Lorsque de nouvelles idées sont introduites, certains les adoptent, mais les gens ont souvent tendance à reprendre leurs anciennes habitudes de travail au bout d’un moment. Il est donc essentiel que toute activité d’amélioration de la qualité fasse l’objet d’un suivi et d’un soutien, et ce pas uniquement à court terme.
Conclusion
Nous souhaitons souvent réaliser autant d’opérations de la cataracte que possible, mais l’expérience montre que, dans de nombreux environnements à faible revenu, le résultat visuel est fréquemment sousoptimal. Il n’est pas simple d’améliorer le résultat visuel ; cela demande une approche globale de la prise en charge du patient, centrée à la fois sur l’efficacité clinique, la sécurité du patient et l’expérience du patient.
Au minimum, chaque hôpital devrait collecter des données sur l’efficacité clinique de chaque opération de la cataracte. Il doit également avoir en place des protocoles de sécurité des patients comme la liste de contrôle de la sécurité chirurgicale de l’OMS (voir page 29), ainsi que des procédures décrivant les actions à mettre en œuvre si un patient subit un préjudice. Enfin, la collecte d’informations sur l’expérience des patients est importante pour s’assurer que les patients reçoivent les soins dont ils ont besoin.
Il n’est pas facile de mettre en œuvre des changements dans le service de chirurgie de la cataracte. Ceci requiert une bonne communication et de la persévérance. Les changements ne se produisent pas du jour au lendemain et doivent être soutenus et encouragés. Ceci requiert un leadership efficace de la part de l’équipe de direction.
Références
1 Organisation mondiale de la Santé. Informal consultation on analysis of blindness prevention outcomes. Genève : OMS, 1998.
2 www.who.int/topics/patient_safety/fr/
3 www.nrls.npsa.nhs.uk/resources/?EntryId45=74132
Groupe de discussion sur la qualité clinique
Le International Centre for Eye Health à Londres a lancé un Groupe de discussion sur la qualité clinique (« Clinical quality group ») qui vise à offrir un forum au personnel clinique souhaitant améliorer la qualité de ses services. Un bulletin d’information en langue anglaise sera envoyé régulièrement et les membres du Groupe pourront entrer en contact avec d’autres cliniciens pour qui la qualité est essentielle. Pour participer, contacter Robert Lindfield à l’adresse [email protected]