RSOC Vol. 15 No. 19 2018 pp 14-15. Publié en ligne 26 mars 2018.

Amélioration de l’accès des personnes âgées aux soins oculaires : exemple d’une province en Afrique du Sud

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Elderly gentleman wearing spectacles, reading a piece of paper
Il faut que les personnes âgées aient accès aux soins oculaires dans la communauté. AFRIQUE DU SUD © Brien Holden Vision Institute

La cécité affecte en majorité les personnes âgées et celles-ci ont donc des besoins plus importants en santé oculaire. L’entretien présenté ici offre des suggestions pour sensibiliser les personnes âgées et les décideurs, et pour collaborer avec les gouvernements locaux afin d’améliorer l’accès des personnes âgées aux soins oculaires.

Les personnes âgées ont besoin d’un meilleur accès à des soins oculaires de qualité : 82 % des personnes atteintes de cécité dans le monde ont plus de 50 ans alors que cette tranche d’âge ne représente que 19 % de la population mondiale1. En Afrique du Sud, les 80 % de la population qui ne peuvent s’offrir une assurance maladie privée onéreuse dépendent de l’état pour des soins de santé abordables2. Les personnes âgées ont accès à des centres de soins primaires au sein de la communauté dans lesquels nombre de leurs besoins de santé sont couverts gratuitement. Néanmoins, les soins oculaires sont essentiellement fournis par des optométristes privés (généralement basés dans le centre-ville) et dans les hôpitaux de districts ou universitaires, qui ont du mal à répondre à la demande.

Afin de remédier au manque de soins oculaires destinés aux personnes âgées, le Brien Holden Vision Institute (BHVI) travaille avec les services de santé des provinces du KwaZulu-Natal et du Gauteng pour améliorer et étendre les soins oculaires dans les centres de soins primaires. C’est la province du KwaZulu-Natal, avec le projet « Giving Sight in KZN », qui a atteint en premier cet objectif. Sally Crook, de l’organisation Seeing is Believing qui a soutenu ce travail, a discuté avec France Nxumalo des difficultés rencontrées dans le transfert du projet à la province du Gauteng. France Nxumalo a dirigé pour le BHVI le projet au Gauteng et occupe maintenant un poste au sein du Ministère de la Santé en Afrique du Sud.

Sally Crook : Comment ce projet a-t-il vu le jour ? Frances Nxumalo : Le Brien Holden Vision Institute a commencé à collaborer avec le Département de la santé du Gauteng en 2010, au départ pour améliorer la santé oculaire scolaire. Toutefois, lorsque nous nous sommes penchés sur le système de santé dans son ensemble, nous avons découvert que l’accès à la santé oculaire des personnes âgées à Soweto, une zone très désavantagée sur le plan socioéconomique, faisait cruellement défaut. Les temps d’attente pour voir un optométriste étaient très longs et il était impossible d’avoir des lunettes de vue à un prix abordable. Les patients les plus âgés allaient directement à l’hôpital universitaire, avec pour résultat de longues listes d’attente.

Le Département de la santé était au départ réticent à l’adoption du modèle déjà en place dans la province du KwaZulu-Natal, mais nous avons mené des actions de plaidoyer qui se sont soldées par une visite des dirigeants du Gauteng au KwaZulu-Natal. Le Département de la santé a par la suite convenu d’ajouter les soins oculaires aux services déjà fournis par les centres de santé primaire locaux où les personnes âgées se rendaient déjà pour leurs autres besoins de santé. Le Département de la santé a convenu de fournir des locaux, un accès aux systèmes d’information sur la santé du district, ainsi que le personnel (infirmiers et optométristes) et les services.

Comment avez-vous aidé le Département de la santé à comprendre les besoins de soins oculaires des personnes âgées ?

Le plaidoyer a été déterminant. Nous avons partagé avec les dirigeants les données de prévalence démontrant les besoins de soins oculaires des personnes âgées. Nous avons également organisé la visite au KwaZulu-Natal pour leur montrer le modèle de soins oculaires primaires déjà en place dans cette province. Les dirigeants du Gauteng ont pu alors discuter du modèle avec leurs homologues du KwaZulu-Natal et ont constaté comment le programme était mis en oeuvre tant au niveau primaire que du district.

Que s’est-il passé une fois que le Département de la santé du Gauteng a accepté le projet ?

Les infirmiers qui travaillent dans les cliniques ont été formés aux soins oculaires primaires afin d’être en mesure de dépister les patients les plus âgés et de les orienter vers d’autres services. Des optométristes ont dû être recrutés et il a fallu également résoudre la question des équipements et des consommables. Treize des centres de santé primaire de Soweto disposent maintenant d’optométristes à plein temps et il est prévu que chacun des centres de santé primaire restants de la province ait à terme un optométriste à plein temps. Dans certains centres, où les infirmiers sont particulièrement sollicités, des promoteurs de la santé (un type de personnel déjà employé dans les centres de santé primaire) ont été formés pour aider au dépistage.

Dans quelle mesure le nouveau modèle a-t-il amélioré l’accès aux soins des personnes âgées ?

Les personnes âgées se rendaient déjà dans des centres de santé primaire pour leurs autres besoins de santé. Elles ont donc désormais facilement accès à des services de dépistage de certaines affections oculaires et de correction des vices de réfraction. Des aiguillages clairs existent pour orienter les patients vers des services de prise en charge de maladies chroniques, comme le diabète et l’hypertension, et l’accès au traitement de la cataracte s’est amélioré grâce à l’aiguillage vers l’hôpital de district local. Seuls les patients dont les besoins sont plus complexes sont envoyés à l’hôpital de province. Les lunettes de lecture sont délivrées gratuitement, mais les lunettes faisant l’objet d’une ordonnance ne le sont pas. Le gouvernement travaille actuellement à un modèle viable de distribution de ce type de lunettes.

Les gens ont-ils recours aux nouveaux services ?

Le nombre de personnes âgées se rendant dans les centres de santé primaire a augmenté et est toujours en hausse. Les gens apprécient les nouveaux services de soins oculaires et y ont recours, car il est beaucoup plus facile d’y accéder : ces services sont plus proches de leur domicile et les temps d’attente plus courts. Le Département de la santé a remarqué que l’amélioration de l’accès au niveau primaire et au niveau du district a également réduit la pression exercée au niveau de l’hôpital universitaire.

Ce modèle est-il viable ?

Oui, il est viable, car il est intégré au système du Département de la santé, ce qui signifie que le personnel, les locaux et le matériel sont tous pris en charge par le gouvernement. La fourniture de lunettes reste un problème, car les fonctionnaires dans les centres de santé primaire ne peuvent pas accepter de paiement en liquide pour des lunettes ou des services.

Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés de cette expérience ?

  • Le plaidoyer est important et doit se poursuivre. Nous avons dû apporter des preuves pour montrer le bien-fondé du modèle que nous proposions. Le fait que les dirigeants aient pu voir de leurs propres yeux ce qui fonctionnait déjà au KwaZulu-Natal nous a aidés à les intéresser à la question.
  • La participation précoce du gouvernement est essentielle. L’engagement de celui-ci était nécessaire pour employer un nouveau corps de métier (des optométristes) et il empêche également l’effondrement du projet à l’avenir.
  • Il est important de savoir s’adapter et d’être prêt à changer de stratégie si nécessaire. Par exemple, lorsque les infirmiers des centres de santé primaire n’avaient pas assez de temps pour prodiguer tous les soins oculaires nécessaires, nous avons formé des promoteurs de santé afin qu’ils puissent s’acquitter d’une partie de la charge de travail.

Étude de cas Améliorer l’accès aux soins pour les personnes âgées de la communauté*

Madame Hien (à gauche) a aidé cette patiente à se faire opérer de la cataracte. VIETNAM © Fred Hollows Australia
Madame Hien (à gauche) a aidé cette patiente à se faire opérer de la cataracte. VIETNAM © Fred Hollows Australia

Nguyen Thi Hien vit et travaille dans la communauté de Que Phong, située dans la province de Quang Nam, au Vietnam. Cela fait plus de 30 ans qu’elle offre des soins aux membres de sa communauté et cela fait 10 ans qu’elle est agent de santé villageois.

Bien que Madame Hien soit une bénévole passionnée et compétente, elle n’avait jamais reçu de formation en soins oculaires primaires. En 2006, elle a été invitée à participer à une formation de santé oculaire primaire avec d’autres agents de santé villageois. Les participants à cette formation ont acquis des connaissances sur la prévention de la cécité et appris à prodiguer des soins oculaires de base à la communauté locale, notamment à diagnostiquer et traiter des affections oculaires simples et à orienter les patients ayant besoin d’une opération de la cataracte ou autre traitement chirurgical.

À l’issue de cette formation, Madame Hien a décidé de sensibiliser sa communauté à la prévention de la cécité. En particulier, elle est entrée en contact avec les clubs du troisième âge afin de sensibiliser les personnes âgées de la communauté à la chirurgie de la cataracte. La première fois qu’elle s’est rendue dans un de ces clubs, la plupart des membres savaient très peu de choses sur la cataracte et la prévention de la cécité. Ils ont commencé par mettre en doute ce que disait Madame Hien, mais elle a fait preuve de persévérance et a fini par persuader plusieurs patients de se rendre avec elle à l’hôpital de district, afin qu’ils puissent se faire opérer de la cataracte. Ces opérations ont été couronnées de succès et les informations concernant la disponibilité et la qualité de l’opération de la cataracte se sont répandues très rapidement dans tous les clubs du troisième âge. Madame Hien a offert ses conseils et son soutien au nombre croissant de personnes s’intéressant à l’opération de la cataracte. Elle a également invité les patients (de plus en plus nombreux) déjà opérés de la cataracte à se rendre dans les clubs du troisième âge pour parler de leur expérience et décrire la façon dont l’opération avait changé leur vie.

Madame Hien est maintenant à la tête du village de Gia Cat Tay et elle continue à sensibiliser la communauté aux services de soins oculaires et à envoyer beaucoup de patients à l’hôpital de district pour se faire opérer.

*Cette étude de cas a été précédemment publiée dans le Community Eye Health Journal vol. 25 nº78, page 27.

Références

1 Evans J. Eye care for older people. Comm Eye Health J 2008. 66(21):21-23.

2 http://www.southafrica.info/about/health/health.htm#.V1636IuraN5