RSOC Vol. 04 No. 04 2007 pp 25 - 27. Publié en ligne 01 août 2007.

Accès aux soins oculaires : mieux et autrement !

Daniel Etya’ale

Coordonnateur de VISION 2020 pour l’Afrique, Programme de prévention de la cécité, Organisation mondiale de la Santé, 20 Avenue Appia, CH-1211, Genève 27, Suisse.

Related content
Hall d’attente d’un service d’ophtalmologie à Dakar. SÉNÉGAL. Daniel Etya'ale
Hall d’attente d’un service d’ophtalmologie à Dakar. SÉNÉGAL. Daniel Etya’ale

Introduction

Le thème de ce numéro, « améliorer l’utilisation des services de soins oculaires », est à la fois ambitieux et opportun. Ambitieux, parce qu’il aborde un sujet vaste et complexe, dont on parle souvent mais par rapport auquel peu a vraiment changé au fil des ans. Opportun, parce l’obligation des résultats qui sous-tend toute la stratégie de l’initiative VISION 2020 : « le droit à la vue » rend le présent statu quo de moins en moins acceptable. Comment expliquer, en effet, que face à une cécité jusqu’à 80 % évitable dans de nombreux pays, l’accès aux soins oculaires dans ces pays reste à peine le cinquième de ce qu’il devrait être et la prise en charge de la cataracte cécitante couvre rarement plus de 25 % des besoins actuels ? Un décalage d’autant moins compréhensible que, dans le même temps, la prise en charge clinique et chirurgicale de nombreuses maladies oculaires – dont la cataracte – a connu des avancées remarquables et, dans certains cas, révolutionnaires.

Presque tous les articles retenus pour débattre du thème ci-dessus se rapportent à la cataracte. Ceci est normal et s’explique par le fait que non seulement la cataracte constitue à elle seule la moitié de toutes les causes de cécité, mais aussi et surtout parce que, pour de nombreux pays en développement, les activités liées à cette maladie restent encore les seules ayant cours avec une certaine régularité et dont le volume dépasse le seuil symbolique. Parce que beaucoup de concepts et stratégies débattus dans les pages suivantes sont en fait assez génériques et partant, débordent largement le cadre de la seule cataracte, il faut espérer que la réflexion ainsi suscitée pourra s’étendre aux autres maladies prioritaires pour lesquelles les stratégies de prise en charge en sont encore, hélas, à leurs premiers balbutiements.

Santé oculaire communautaire. RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO. Daniel Etya'ale
Santé oculaire communautaire. RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO. Daniel Etya’ale

Le rôle fondamental des structures d’accueil

Comme le démontrent pratiquement tous les auteurs de cette série, ce qui reste à faire pour identifier, éduquer, motiver et mobiliser les malades oculaires au niveau de la communauté, faciliter leur cheminement vers les services de soins oculaires, et accélérer leur prise en charge une fois qu’ils y sont, reste considérable et urgent. Mais tous ces efforts auraient un impact fort limité, si l’on ne s’intéressait pas en même temps à transformer en profondeur les modalités et les structures d’accueil de ces services. L’expérience de l’Afrique, où les rapports annuels d’activités de VISION 2020 commencent à être régulièrement disponibles, suggère qu’à quelques exceptions près, l’ensemble des structures de soins oculaires dans cette vaste région souffrent à la fois de sous-utilisation et de sous-productivité chroniques – parfois depuis de très nombreuses années – et que très peu parmi celles-ci seraient capables aujourd’hui de résorber le surcroît de malades qu’entraînerait un recrutement agressif et massif de ceux-ci au niveau de la communauté. Un goulot d’étranglement majeur qu’il convient donc d’éliminer en priorité ! La vraie question, toutefois, c’est comment et où commencer ?

Les causes de sous-utilisation et de sous-productivité chroniques des services de soins oculaires sont multiples, restent encore dans l’ensemble mal connues et varient en fonction des secteurs (public, ONG, privé), mais aussi au sein d’un même secteur. Par exemple, dans le secteur public – actuellement le plus affecté – il existe, d’une part, des structures bien ou suréquipées, avec du personnel en nombre suffisant, mais toujours peu performantes et donc sous-utilisées ; d’autre part, des structures aux infrastructures si obsolètes et un environnement de travail si démotivant qu’ils condamnent pratiquement leur personnel à la médiocrité et à la sous-productivité !

Il serait donc illusoire, voire dangereux, de proposer « une solution qui marche » pour toutes les structures, pour tous les pays. D’où l’intérêt, avant toutes choses, d’une analyse situationnelle adaptée, « contextualisée ». Une analyse qui s’attacherait non seulement à inventorier, de la manière la plus détaillée possible, les contraintes liées à chaque secteur (public, ONG, privé) et à l’intérieur de chaque secteur, mais aussi qui identifierait les mesures spécifiques et supplémentaires à développer en faveur des plus vulnérables : les femmes, les enfants, les pauvres des bidonvilles et des zones rurales, ainsi que tous les oubliés du système. Une analyse, enfin, qui devrait déboucher sur un véritable plan de redynamisation des services de soins oculaires et dont la finalité serait un environnement accueillant, au service des malades et où il fait bon travailler. Un projet à long terme, certes, mais dont il faut dès à présent poser les bases de succès et accélérer la mise en œuvre !

Améliorer l’accueil et la prise en charge des malades à l’hôpital

Pour beaucoup de malades, l’arrivée à l’hôpital constitue rarement la fin de leurs problèmes, et nombreux sont ceux qui vivent leur séjour à l’hôpital comme un vrai parcours du combattant. Un sentiment qui, malheureusement, lorsqu’il est rapporté trop souvent à la communauté, n’encourage pas forcément d’autres à revenir. Toute approche visant à améliorer la prise en charge des malades au niveau de l’hôpital doit donc s’intéresser non seulement à proposer la meilleure offre de soins possible, qui soit abordable au plus grand nombre et exécutable dans les délais les plus courts possibles, mais aussi être sensible à la perception de cette offre des soins par ceux qui en sont bénéficiaires. D’où l’intérêt des enquêtes de contrôle de qualité régulières et couvrant la totalité du « circuit du malade », c’est-à-dire, l’ensemble des principales étapes par lesquelles le malade doit passer, jusqu’à la solution de son problème. D’où l’intérêt aussi d’une grande transparence dans la tarification des diverses prestations proposées et leur communication aux patients. Par exemple, il est très difficile pour un malade de ne pas se sentir « piégé » par le système si, une fois arrivé à l’hôpital, de nombreux coûts indirects commencent à se greffer au coût officiel de la cataracte qui lui avait été préalablement communiqué, et pour lequel il s’était préparé pendant de nombreux mois !

Mais l’amélioration de l’accueil suppose aussi une analyse sans complaisance de la capacité et des moyens (notamment infrastructurels et humains) d’un service à prendre en charge, et avec célérité, tous les malades oculaires qui lui sont référés ou s’y présentent spontanément. Par exemple, dans le cadre de la prise en charge chirurgicale de la cataracte, une telle analyse devrait trouver des réponses précises et satisfaisantes aux questions suivantes : les équipes en place sont-elles suffisantes, en nombre, en expérience et en compétences ; quelle est leur capacité à prendre en charge un gros volume de malades oculaires ; combien de boîtes de cataracte complètes existe-t-il dans le service ; le service dispose-t-il d’un système de stérilisation autonome, ou le partage-t-il avec tous les autres services chirurgicaux ; les consommables essentiels comme les implants, les sutures, les médicaments pré et post-opératoires sont-ils disponibles toute l’année, ou seulement trois mois sur douze comme c’est encore malheureusement le cas dans beaucoup de structures ; le bloc opératoire permet-il de programmer, si nécessaire, des interventions chirurgicales chaque jour, ou est-il « partagé » avec d’autres services ? Et bien d’autres encore. Dans de nombreuses situations, et parce que la réponse à ces questions dépasse souvent le cadre de compétences du chef de service d’ophtalmologie, il est souvent utile de savoir comment faire du Directeur Général de l’hôpital, un ami du service.

L’urgence de la formation d’un personnel de soins oculaires « new look »

Cet appel a déjà été lancé lors d’un article précédenta mais reste toujours aussi actuel. Car à la lecture détaillée de la quasi-totalité des articles proposés dans ce numéro, on ne peut s’empêcher d’observer que la vaste majorité des solutions proposées font moins appel à des prouesses techniques qu’à des principes d’organisation et de gestion. Des domaines malheureusement dans lesquels un très faible nombre de techniciens des yeux ont des connaissances suffisantes et, moins encore, des compétences utiles. Et cet état de fait continuera ainsi tant que les programmes de formation actuels continueront de former les personnels de santé dans une approche centrée presque exclusivement sur le malade individuel à l’hôpital – et rarement sur ceux bien plus nombreux au niveau de la communauté ; une approche purement clinique, passive et attentiste qui, de surcroît, ne prépare pas les futurs responsables de demain aux tâches de planification, de gestion, de négociation et de leadership. Des domaines de compétence pourtant toujours indispensables, surtout dans les pays en développement où il n’est pas si rare de voir des néophytes, sans autre expérience que clinique, être « projetés » à des postes de responsabilité du jour au lendemain. Si l’on veut donc changer en profondeur, et de manière durable, l’utilisation des services des soins oculaires et partant, la prise en charge des malades, il est urgent que l’on corrige le problème à la source. En s’assurant notamment, à l’instar de ce qui se fait déjà dans beaucoup de pays d’Asie, que tous les programmes de formation comportent des volets non optionnels en santé communautaire, en administration et en gestion. Ces aspects importants et complémentaires des formations actuelles cesseraient ainsi d’être le domaine réservé de quelques « dévoyés et illuminés en santé publique », et feraient désormais partie du « bagage technique standard » de tout ophtalmologiste, technicien supérieur en soins oculaires et tout autre personnel de santé oculaire, formés dans les pays aux ressources limitées.

Conclusion

Les articles proposés dans les pages qui suivent ne constituent qu’un échantillon des discussions et des expériences en cours de par le monde. Des idées et expériences qui malheureusement et jusqu’à présent, restent encore des exceptions plutôt que la règle. Certaines sont pourtant connues depuis plusieurs années et ont déjà fait l’objet de plusieurs publications. Que faudrait-il pour qu’enfin les choses bougent ? Ce qui est clair en tous cas, c’est qu’il faudrait désormais préférer les approches plus globales qui s’inscrivent d’emblée sur le long terme, et qui intègrent et prennent en compte, autant que possible, tous les aspects communautaires, structurels, gestionnaires et perceptuels évoqués dans ces pages. La prise en charge des maladies en général, et oculaires en particulier, est un processus continu, qui commence à la communauté et se termine à l’hôpital, et doit désormais être conçu et exécuté comme tel. Un défi énorme pour la plupart des programmes existants, mais un défi urgent à relever, car la prise en charge de tous les exclus actuels de nos systèmes de soins oculaires est à ce prix.

a Etya’ale D. Au-delà de VISION 2020 : mettre progressivement en place aujourd’hui les équipes de soins oculaires de demain. Revue de Santé Oculaire Communautaire, août 2006;3(2): 26-28.