RSOC Vol. 01 No. 01 2004 pp 21 - 22. Publié en ligne 01 août 2004.

Traitement du trachome par l’azithromycine

Sheila K West, PhD

Professeur, Dana Center for Preventive Ophthalmology, The Wilmer Eye Institute, Baltimore, Maryland 21287-9019, USA

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Bénévole de santé communautaire Kerege Joseph administrant une dose d’azithromycine.  Danny Haddad
Bénévole de santé communautaire Kerege Joseph administrant une dose d’azithromycine. Danny Haddad

Introduction

La nouvelle Initiative Mondiale de l’Organisation Mondiale de la Santé a un objectif ambitieux : éradiquer le trachome cécitant d’ici 2020. L’Alliance Mondiale pour l’Élimination du trachome (GET) 2020 repose sur une stratégie à quatre volets, destinée à réduire le trachome actif grâce à une distribution d’antibiotiques au niveau communautaire, à une éducation sanitaire sur l’hygiène du visage et à l’assainissement de l’environnement. Elle vise également à réduire la perte de la vision due au trichiasis, en fournissant les services chirurgicaux adéquats. La stratégie CHANCE – Chirurgie, Antibiothérapie, Nettoyage du visage et Changement de l’Environnement (qui correspond à l’anglais SAFE : Surgery, Antibiotics, Facial Cleanliness and Environmental Hygiene) – est actuellement mise en place ou prévue dans plusieurs pays, dont dix où le traitement antibiotique sera basé sur l’administration d’azithromycine, partie d’un programme de donation de Pfizer, Inc., par le biais de l’Initiative Internationale de la Lutte contre le Trachome.

L’azithromycine représente une innovation dans le traitement antibiotique communautaire de l’infection oculaire par Chlamydia Trachomatis. Le trachome est une maladie communautaire, qui se concentre dans les quartiers et les familles, touchant prioritairement les enfants.2 Dans ces conditions, le traitement de quelques cas ne prévient pas une réinfection de source familiale ou de voisinage, à moins que le traitement ne soit plus étendu. De plus, la réinfection à partir de sites extra-oculaires est possible si seul un traitement topique a été pratiqué,2 et une réinfection provenant d’autres personnes peut survenir si le traitement des autres membres de la communauté n’est pas réalisé dans le même temps. Des agents topiques comme la tétracycline ont par le passé été des agents de choix à cause de l’absence d’effets secondaires systémiques chez les enfants (contrairement à la tétracycline par voie orale), ou à cause du prix élevé ou du manque de disponibilité d’érythromycine orale dans nombre de ces communautés éloignées.

Cependant, pour être efficace, la tétracycline topique doit être utilisée quotidiennement pendant quatre à six semaines. Elle pique, est difficile à utiliser et sa base huileuse gêne la vision. L’observance du traitement (utilisation régulière d’un médicament prescrit) utilisant des agents topiques est généralement assez faible.

Azithromycine

En revanche, il a été démontré qu’une dose unique d’azithromycine administrée par voie orale est efficace contre le C. trachomatis.3,4 L’azithromycine fait partie des antibiotiques azalides, mais les modifications chimiques qui lui ont été apportées la rende plus stable en acides que l’érythromycine, dont elle est dérivée. Ses propriétés pharmacocinétiques uniques la rendent idéale pour le traitement du trachome, bonne biodisponibilité par voie orale et bonne distribution tissulaire, niveaux de concentration tissulaire élevés de manière prolongée avec faible fixation aux protéines, enfin, concentration intracellulaire élevée, importante dans le traitement du Chlamydia Trachomatis.5 Les échantillons de sérum, aqueux et lacrymaux collectés quatre jours après l’administration d’azithromycine ont montré des concentrations pharmacologiques actives et les spécimens conjonctivaux ont maintenu leurs niveaux élevés de concentration 14 jours après l’administration.6 La sûreté d’utilisation d’un schéma posologique en trois doses (une fois par semaine pendant trois semaines) ou en monodose, a été démontrée lors d’essais cliniques. 3,4,7 Les effets secondaires possibles sont de légers troubles gastro-intestinaux, survenant de façon occasionnelle, ainsi qu’une possibilité de nausées, vomissements et diarrhées. Cependant, peu d’effets secondaires ont été rapportés lors des grands essais cliniques réalisés ces dernières années. Les rapports réalisés après l’utilisation massive d’azithromycine dans les régions touchées de manière endémique par le trachome ont montré une excellente tolérance et aucun effet indésirable.

Examen d’un enfant porteur de trachome.  Danny Haddad
Examen d’un enfant porteur de trachome. Danny Haddad

Traitement du trachome par l’azithromycine dans les communautés

Un large essai clinique randomisé a été réalisé au niveau communautaire dans trois pays différents, afin de comparer l’effet à long terme d’un traitement de masse du trachome à l’azithromycine et à la tétracycline. 7 A un an après traitement, à la fois la maladie clinique et les signes biologiques d’infection dans la communauté avaient diminué dans les deux groupes, avec une réduction plus importante dans les villages traités à l’azithromycine. L’administration du médicament et le suivi de l’observance du traitement était bien plus faciles avec l’azithromycine qu’avec la pommade à la tétracycline. L’azithromycine représente une nouvelle arme thérapeutique importante pour le traitement antibiotique du trachome.

L’enthousiasme qu’a provoqué l’utilisation de ce médicament contre le trachome est très important mais il a soulevé de nombreuses questions épineuses. Tout d’abord, le médicament est très onéreux, trop pour ces pays où il est important de traiter le trachome. Les problèmes de rentabilité ont mené les directeurs de programme de Gambie à conclure que, pour leur pays où le trachome est peu présent, l’azithromycine ne devrait pas remplacer l’utilisation de la tétracycline topique.8 Àce jour, une dizaine de pays ont été sélectionnés pour un programme de don, laissant les autres inéligibles à recevoir les médicaments sans frais, si ce n’est pour la recherche. Alors que certains pays continuent à utiliser des antibiotiques topiques dans leurs programmes, les problèmes d’observance du traitement et de couverture précaire de l’ensemble des personnes à traiter reste un problème. La large utilisation de l’azithromycine orale a soulevé des inquiétudes concernant le développement potentiel d’une variété résistante de C. trachomatis, ainsi que d’autres organismes sensibles comme le S. pneumoniae. Bien que la survenue de résistance, fondée sur une dose annuelle unique, semble peu probable, cette éventualité doit être étudiée. Enfin, l’utilisation de l’azithromycine chez la femme enceinte n’a pas été approuvée par la FDA (Food and Drug Administration, ou Ministère de l’Alimentation et des Médicaments) aux Etats-Unis. Mais cette décision repose sur un manque d’études et non sur des craintes concernant la sécurité du produit. Les femmes sont davantage exposées au risque d’infection active à cause des « soins » qu’elles apportent aux jeunes enfants. Si l’observance du traitement est inadéquate avec les préparations topiques, les femmes peuvent devenir une source importante de réinfection pour la communauté, et un risque potentiel pour elles-mêmes.9 Chaque programme national doit actuellement évaluer le rapport bénéfice risque de l’utilisation de l’azithromycine pour le traitement de la maladie active chez la femme enceinte.

Projet de recherche

Les projets de recherche en cours en Tanzanie, au Népal, au Maroc et au Mali portent sur la question de l’effet, au sein des communautés, d’un traitement ciblé des individus ou des familles par rapport au traitement de masse. On estime qu’environ 30 % des infections en Gambie et en Egypte sont difficilement diagnostiquées lors de l’examen clinique. Or si le traitement est limité aux cas cliniques avérés et que les autres ne sont pas traités, l’impact à long terme sur le trachome dans la communauté est inconnu. Des études utilisant des techniques quantitatives permettront de mieux cerner l’importance de ces infections chez les adultes. D’autres stratégies destinées à mobiliser les communautés et à assurer des taux élevés de traitement des malades, sont actuellement en cours d’évaluation. De telles recherche sont urgentes pour orienter les programmes dans le choix des moyens permettant d’optimiser les ressources rares pour le traitement à long terme du trachome dans leurs communautés.

Références

1West SK, Munoz B, Turner V, Mmbaga BBO, Taylor HR. The epidemiology of trachoma in central Tanzania. Int J Epidemiol 1991; 20 : 1088-92.

2 Malaty R, Zaki S, Said ME, et al. Extraocular infections in children in areas with endemic trachoma. J Infect Dis 1981; 143 : 853.

3 Bailey RL, Arullendran P, Whittle HC, Mabey DC. Randomized controlled trial of single-dose azithromycin in treatment of trachoma. Lancet 1993; 342 : 453-6.

4 Tabbara KF, Abu-El-Asrar A, Al-Omar O, Choudhury AH, Al-Faisal ZE Single dose azithromycin in the treatment of trachoma. A randomized controlled study. Ophthalmology 1996; 103: 842-6.

5 Foulds G, Shepard RM, Johnson RB. The pharmacokinetics of azithromycin in human serum and tissues. J Antimicrob Chemother 1990; 25 : Suppl A: 73-82.

6 Tabbara KF, Al-Kharashi SA, Al-Mansouri SM, et al. Ocular levels of azithromycin. Arch Ophthalmol 1998; 116 : 1625-8.

7 Schachter J, West SK, Mabey DH et al. Azithromycin in control of trachoma. Lancet 1999; 354 : 630-5.

8 Bowman RJ, Sillah A., Van Dehn C., Gode VM, Muquit M., Johnson G., Milligan P., Rowley J., Faal H., Bailey RL. Operational comparison of single-dose azithromycin and topical tetracycline for trachoma. Investig. Invest Ophtalmol. Vis Sci 2000 ; 41 :4074-4079.

9 Smith A, Munoz B, Hsieh YH, Bobo L, Mkocha H, West S. OmpA genotypic evidence for persistent ocular Chlamydia trachomatis infection in Tanzanian village women. Ophtalmic Epidemiol 2001; 8 :127-135.

Note : Cet article a été précédemment publié dans Community Eye Health, n°32, Vol 12, 1999. Mis à jour en 2001.