RSOC Vol. 02 No. 01 2005 pp 14 - 15. Publié en ligne 01 août 2005.

Quoi de neuf en chirurgie du trichiasis ?

Matthew Burton et Anthony Solomon

Adresser toute correspondance à : Matthew Burton, International Centre for Eye Health, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Keppel Street, London WC1E 7HT, Royaume-Uni.

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Chirurgie du trichiasis. NIGER. John Buchan
Chirurgie du trichiasis. NIGER. John Buchan

Introduction

Environ 10 millions de personnes dans le monde sont atteintes de trichiasis trachomateux (TT). En l’absence de traitement, ces personnes sont à haut risque de développer une opacification de la cornée (OC) irréversible et cécitante. On estime que le traitement chirurgical du TT réduit le risque d’opacification progressive de la cornée et de cécité. Depuis la parution du dernier article consacré au trichiasis dans cette revue, il y a cinq ans, la chirurgie du trichiasis a connu plusieurs développements importants.

Qui a besoin d’une intervention ?

L’identification des cas de TT nécessitant une intervention chirurgicale varie d’un programme de lutte à l’autre. Certains recommandent la chirurgie à un stade précoce, dès qu’au moins un cil touche le globe oculaire, alors que d’autres pratiquent l’épilation jusqu’à ce qu’un TT plus grave se développe. Il n’existe pas d’étude comparative de ces deux approches. Cependant, des données sur l’histoire naturelle du TT en Gambie indiquent que la maladie peut évoluer très rapidement1. En un an, 33 % des cas de trichiasis mineur (moins de 5 cils en contact avec le globe oculaire) ont évolué vers un trichiasis majeur (au moins 5 cils en contact avec le globe oculaire). Par conséquent, lorsque les patients ne sont pas fréquemment en contact avec des services de santé oculaire, il est logique de recourir à la chirurgie pour des formes modérées de la maladie. Par ailleurs, l’opération sera techniquement plus facile et aura plus de chances de produire un meilleur résultat.

Chirurgie du trichiasis pratiquée dans une salle d’école primaire. TANZANIE. Anthony Solomon
Chirurgie du trichiasis pratiquée dans une salle d’école primaire. TANZANIE. Anthony Solomon

Qui doit pratiquer l’intervention ?

Dans la plupart des zones d’endémie trachomateuse, il n’y a pas assez d’ophtalmologistes pour pratiquer le nombre requis d’interventions en chirurgie du TT. Pour cette raison, beaucoup de programmes forment des infirmiers et d’autres membres du personnel paramédical en chirurgie des paupières. Un essai clinique aléatoire mené en Éthiopie a comparé le résultat d’opérations du TT pratiquées par des infirmiers formés et par des ophtalmologistes et n’a trouvé aucune différence au niveau des résultats2. Un bilan rétrospectif de la chirurgie du TT au Maroc a montré que 12,3 % des patients opérés par le personnel infirmier présentaient une récidive de la maladie au moment du suivi. Ce pourcentage est très inférieur au pourcentage obtenu dans le cas de patients opérés par des ophtalmologistes, peut-être parce que les ophtalmologistes ont tendance à opérer des cas plus difficiles3. Ces études confortent la décision pratique de former des non-ophtalmologistes à la chirurgie du TT.

Où pratiquer l’intervention ?

L’éloignement des services chirurgicaux est invariablement décrit comme un obstacle à l’adoption de la chirurgie du TT. On peut s’attendre à ce que la pratique d’interventions dans les villages améliore l’intérêt suscité par la chirurgie. Un essai clinique aléatoire mené dans une communauté en Gambie a montré que le taux d’acceptation de la chirurgie du TT, lorsqu’elle était basée dans le village, était supérieur de 45 % au taux d’acceptation lorsque cette chirurgie était basée dans des centre de santé (bien que la différence ne soit pas significative sur le plan statistique, p=0,15)4. En ce qui concerne le taux de récidives du trichiasis ou de survenue de complications, aucune différence n’a été observée entre la chirurgie pratiquée dans le village et la chirurgie pratiquée en centre de santé. Le coût pour le patient était considérablement plus faible lorsque l’opération était pratiquée dans le village.

Un chirurgien du trichiasis en train d’opérer. NIGER. John Buchan
Un chirurgien du trichiasis en train d’opérer. NIGER. John Buchan

Quelle technique utiliser ?

Il existe plusieurs variantes pour corriger un TT. Un essai clinique aléatoire dans le Sultanat d’Oman a comparé plusieurs de ces variantes ; la rotation bilamellaire du tarse (RBLT) a été identifiée comme ayant le plus faible taux de récidives du TT5. Par la suite, l’OMS a estimé que la RBLT était la meilleure technique chirurgicale pour les programmes de lutte contre le trachome6. Plusieurs pays emploient une technique similaire appelée la rotation tarsale postérieure (RTP). Un essai clinique aléatoire mené en Éthiopie a comparé ces deux techniques de façon formelle : aucune différence n’a été observée entre les deux techniques, dans le taux de récidives trois mois après l’opération. Il reste encore cependant à obtenir des données de suivi à plus long terme7.

Quel est le résultat de l’intervention ?

Le résultat de la chirurgie du trichiasis a été mesuré de différentes façons : taux de récidives du trichiasis, changement de la fonction visuelle, progression de l’opacification de la cornée et symptômes signalés par les patients. On pensait auparavant que le taux de récidives du trichiasis était d’environ 20 % un an après l’intervention5. Des études récentes indiquent cependant que le taux de récidives est souvent bien plus élevé et qu’il continue d’augmenter avec le temps écoulé depuis l’intervention. Un suivi de patients ayant subi une RBLT a montré que, trois ans après l’opération, le taux de récidives du TT était de 62 %8. Une étude menée en Gambie estime que la durée écoulée en moyenne après l’opération avant une récidive est de 10 ans9. Les seules données prospectives sur l’impact de la chirurgie du TT sur la fonction visuelle indiquent que, un an après l’opération, on peut observer une amélioration modeste, équivalant à la moitié d’une ligne sur un tableau d’optotypes d’acuité visuelle de Snellen5. Cela est probablement dû à un certain rétablissement de la surface de la cornée et à une réduction des sécrétions oculaires. Il n’existe pas à présent de données sur les résultats à long terme sur la fonction visuelle. L’étiologie de l’opacification trachomateuse de la cornée est multifactorielle. L’abrasion directe causée par les cils retournés est vraisemblablement le facteur le plus important, mais d’autres facteurs d’irritation de la cornée entrent en compte : sécheresse de l’œil, infection bactérienne de la cornée lésée et rugosité de la surface de la conjonctive tarsale. L’opacification de la cornée progresse en dépit d’un traitement chirurgical réussi du TT1. Malgré des taux de récidives très élevés, les patients perçoivent généralement la chirurgie de façon positive et une grande majorité signale une amélioration de la vision et une diminution de la douleur9.

Après l’opération du TT. VIETNAM. TIME Team
Après l’opération du TT. VIETNAM. TIME Team

Pourquoi observe-t-on des récidives du trichiasis après l’intervention ?

Il existe peu d’informations sur les causes des récidives de TT. Un certain nombre de facteurs jouent vraisemblablement un rôle, à différents stades après l’intervention. Le choix de la technique chirurgicale, que nous avons en partie abordé ci-dessus, est important. Le type de suture et le temps écoulé avant l’enlèvement des points sont peut-être également à prendre en compte. La variabilité d’un chirurgien à l’autre est rarement signalée, cependant elle a vraisemblablement un rôle très important. Des études récentes menées au Népal suggèrent que les patients ayant subi une RBLT et présentant une infection oculaire post-opératoire par C. trachomatis sont plus à risque d’une récidive de TT que des patients ne présentant pas d’infection10. Il est possible que des infections oculaires par d’autres bactéries jouent également un rôle11.

Comment améliorer les résultats de l’intervention ?

Au vu des taux de récidives quelque peu décevants signalés récemment, il est urgent de développer des stratégies pour améliorer la qualité et le résultat à long terme de la chirurgie du trichiasis. Le suivi continu des résultats est nécessaire, afin d’identifier les chirurgiens ayant besoin d’une formation et d’un soutien complémentaires. Dans les zones de faible prévalence de TT, il convient sans doute que les interventions soient pratiquées, en ambulatoire, par un nombre restreint de chirurgiens, afin que celles-ci soient toutes pratiquées par des opérateurs maîtrisant la technique. Des études sont en cours pour déterminer dans quelle mesure l’utilisation d’azithromycine en péri-opératoire, pour mieux lutter contre l’infection, influence le résultat de l’intervention. Le recours à la chirurgie reste rare dans beaucoup de zones endémiques. Divers obstacles à la chirurgie ont été identifiés, entre autres le coût, l’accessibilité, la crainte et le manque de temps12. Les groupes de recherche et les programmes de lutte se doivent d’aborder tous ces problèmes, afin que les services de chirurgie du trichiasis puissent diminuer le plus efficacement possible l’incidence de la cécité par trachome.

POINTS-CLÉS
Comment améliorer la chirurgie du trichiasis

  1. Encourager les patients à recourir à la chirurgie à un stade précoce du trichiasis, avant que les cicatrices ne soient trop importantes.
  2. L’intervention doit être pratiquée dans le village du patient. Ceci permet un recours à la chirurgie plus fréquent et réduit le coût pour le patient ; en outre, les résultats sont aussi bons que pour une intervention pratiquée en milieu hospitalier.
  3. Lorsque la chirurgie à base communautaire devient la norme, il y a peu de chances que celle-ci soit pratiquée par des ophtalmologistes. Il faut alors sélectionner et former un personnel non-médical à pratiquer l’intervention.
  4. Lorsque la prévalence du trichiasis est faible, de meilleurs résultats seront obtenus en ayant recours à nombre restreint de chirurgiens ambulatoires.
  5. Utiliser une technique chirurgicale efficace. Les interventions les plus efficaces requièrent toutes une incision profonde du tarse et de la conjonctive tarsale ainsi qu’une rotation vers l’extérieur du bord de la paupière.
  6. Avant l’intervention, il est impératif de stériliser avec soin les instruments et les fils de suture et de laver les paupières et le sac conjonctival avec une solution de povidone iodée à 2 %. En effet, des infections bactériennes sont souvent associées au trichiasis et augmentent le risque de récidive.
  7. Il faut prévenir tous les patients de la possibilité d’une récidive et leur conseiller de demander de l’aide en cas de réapparition des symptômes, car même les meilleurs chirurgiens ne peuvent empêcher un certain nombre de récidives.
  8. Consigner soigneusement, dans un registre de comptes-rendus opératoires, les données relatives à chaque patient, entre autres : adresse, acuité visuelle, type d’intervention, nom du chirurgien.
  9. Faire un audit des résultats de chaque chirurgien et proposer une formation complémentaire et un soutien à ceux/celles dont les résultats sont moins bons.

Points-clés rédigés par Matthew Burton et David Yorston

Références

1 R. J. Bowman, H. Faal, M. Myatt, R. Adegbola, A. Foster, G. J. Johnson et al., « Longitudinal study of trachomatous trichiasis in The Gambia », Br. J. Ophthalmology, 2002, 86, 339-43.

2 W. Alemayehu, M. Melese, A. Bejiga, A. Worku, W. Kebede, D. Fantaye, « Surgery for trichiasis by ophthalmologists versus integrated eye care workers : a randomized trial », Ophthalmology, 2004, 111, 578-84.

3 A. D. Negrel, Y. Chami-Khazraji, M. L. Arrache, S. Ottmani, J. Mahjour, « Qualité de la chirurgie du trichiasis au royaume du Maroc », Santé, 2000, 10, 81-92.

4 R. J. Bowman, O. S. Soma, N. Alexander, P. Milligan, J. Rowley, H. Faal et al., « Should trichiasis surgery be offered in the village ? A community randomised trial of village vs. health centre-based surgery », Trop. Med. Int. Health, 2000, 5, 528-33.

5 M. H. Reacher, B. Munoz, A. Alghassany, A. S. Daar, M. Elbualy, H. R. Taylor, « A controlled trial of surgery for trachomatous trichiasis of the upper lid », Arch. Ophthalmology, 1992, 110, 667-74.

6 M. H. Reacher, A. Foster, M. J. Huber, Trichiasis surgery for trachoma. The bilamellar tarsal rotation procedure, Genève, Organisation mondiale de la Santé, 1993.

7 Y. Adamu, W. Alemayehu, « A randomized clinical trial of the success rates of bilamellar tarsal rotation and tarsotomy for upper eyelid trachomatous trichiasis », Ethiop. Med . Journal, 2002, 40,107-14.

8 R. Khandekar, A. J. Mohammed, P. Courtright, « Recurrence of trichiasis : a long-term follow-up study in the Sultanate of Oman », Ophthalmic Epidemiol., 2001, 8, 155-61.

9 R. J.Bowman, B. Jatta, H. Faal, R. L. Bailey, A. Foster, G. J. Johnson, « Long-term follow-up of lid surgery for trichiasis in The Gambia : surgical success and patient perceptions », Eye, 2000, 14, 864-8.

10 H. Zhang, R. P. Kandel, B. Sharma, D. Dean, « Risk factors for recurrence of postoperative trichiasis : implications for trachoma blindness prevention », Arch. Ophthalmol., 2004, 122, 511-6.

11 M. J. Burton, R. J. Bowman, H. Faal, E. A. Aryee, U. Ikumapayi, N. D. Alexander et al., « The long-term outcome of trichiasis surgery in The Gambia », Br. J. Ophthalmol., 2005, 89, 575-579.

12 R. J. Bowman, H. Faal, B. Jatta, M. Myatt, A. Foster, G. J. Johnson et al., « Longitudinal study of trachomatous trichiasis in The Gambia : barriers to acceptance of surgery », Invest. Ophthalmol. Vis. Sci., 2002, 43, 936-40.

Glossaire

  • Trichiasis trachomateux (TT) – au moins un cil est en contact avec le globe oculaire, en raisons de cicatrices trachomateuses sur les paupières.
  • Opacification de la cornée (OC) – opacité de la cornée aisément observable, couvrant au moins une partie de la pupille, fréquemment responsable de déficience visuelle.
  • Variabilité d’un chirurgien à l’autre – variation du résultat de l’intervention entre des chirurgiens différents.
  • Péri-opératoire – période couvrant les préparatifs de l’intervention, l’intervention elle-même et la période post-opératoire précoce.
  • Données prospectives – données recueillies avec une visée à long terme, en déterminant à l’avance quelles observations devront être faites puis en effectuant ces observations pendant un certain temps.
  • Bilan rétrospectif – données recueillies après l’événement, en général à partir de dossiers médicaux.
  • Essai clinique aléatoire (randomisé) – la meilleure méthode pour apprécier l’efficacité d’une intervention. On attribue de façon aléatoire à chaque sujet un type de traitement ou le groupe témoin.