RSOC Vol. 04 No. 03 2007 pp 10 - 11. Publié en ligne 01 janvier 2007.

Comment prendre en charge un patient atteint de glaucome en Afrique

Richard JC Bowman

Ophtalmologiste pour CBMI, CCBRT Disability Hospital, Dar Es-Salaam, Tanzanie. Maître de conférence honoraire, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Royaume-Uni


Subramaniam Kirupananthan

Conseiller médical pour CBMI au Nigeria. Ophtalmologiste et directeur médical, ECWA Eye Hospital, Kano, Nigeria.

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Recherche des signes de glaucome chez l’enfant. TANZANIE. Richard Bowman
Recherche des signes de glaucome chez l’enfant. TANZANIE. Richard Bowman

Quelle est la conduite à tenir face à un patient atteint de glaucome en Afrique ? La réponse la plus simple est la suivante : poser dans un premier temps le diagnostic par l’évaluation de la papille optique et la mesure de la tension oculaire (les examens du champ visuel n’étant généralement pas réalisables et pas nécessaires) ; dans un deuxième temps, réaliser une trabéculectomie en utilisant un protocole globalement semblable à celui décrit par Ian Murdoch dans ce numéro (voir page 14). Notre article souhaite aborder les raisons qui soustendent cette approche thérapeutique très répandue. Nous nous consacrerons avant tout au glaucome primaire à angle ouvert, la forme dont sont affectés la grande majorité des patients sur le continent africain, mais nous évoquerons brièvement à la fin de cet article quelques principes de prise en charge d’autres types de glaucome diagnostiqués en Afrique.

Trouver le patient

L’un des principaux défis de la prise en charge du glaucome en Afrique consiste à dépister le patient quand il ou elle possède encore une fonction visuelle utile. Des évaluations conduites dans nos hôpitaux ont montré que 29 % des patients atteints de glaucome (Dar Es-Salaam)1 et 53 % des yeux (Kano) étaient déjà aveugles lorsqu’ils se présentaient à l’hôpital. À Dar Es-Salaam1, 70 % des patients avaient un ratio cup/disc supérieur à 0,8 et ceci était le cas pour 63 % des yeux à Kano. Comment améliorer cette situation ? Le dépistage du glaucome dans la population n’est pas recommandé, car il n’existe pas de test satisfaisant et le dépistage n’est pas facile à exécuter. Il existe toutefois de nombreux programmes de stratégies avancées qui ciblent les personnes atteintes de cécité et de déficience visuelle curables ; ces initiatives de proximité pourraient également servir à dépister les patients atteints de glaucome et à les adresser à l’hôpital plus précocément que lorsqu’ils s’y rendent spontanément. Les agents de santé impliqués dans les stratégies avancées peuvent également être formés à mesurer la pression intraoculaire (PIO) et à examiner la papille optique. Cependant, la mesure de la PIO et l’évaluation de la papille optique ne sont pas des outils de dépistage particulièrement spécifiques ou sensibles et, dans la mesure où les hôpitaux peuvent proposer des services de soins oculaires plus complets, elles ne sont peut-être pas nécessaires sur le terrain. Par exemple, si l’hôpital peut fournir des verres correcteurs pour les défauts de réfraction et offrir des opérations de haute qualité pour les cataractes immatures, on y enverra dans ce cas tous les patients dont l’acuité visuelle est inférieure à 3/10. Un examen complet à l’hôpital détectera alors certains cas de glaucome à un stade plus précoce qu’ils ne sont détectés à l’heure actuelle. Bien que la mesure de l’acuité visuelle ne soit pas généralement considérée comme un test permettant de dépister le glaucome, il se peut qu’elle se révèle être l’outil de dépistage le plus adapté en Afrique, où la maladie est souvent présente à un stade avancé, qui affecte l’acuité visuelle.

Les obstacles à la chirurgie

Un certain nombre d’études ont montré qu’en Afrique, les patients n’avaient pas souvent recours à la chirurgie du glaucome, même quand l’opération était proposée à titre gratuit1,2 . Ceci n’est pas surprenant. Du point de vue du patient, l’intervention souffre de la comparaison avec l’opération de la cataracte : au mieux, le patient ne peut qu’espérer conserver sa présente acuité visuelle. L’intervention présente en outre un risque modéré de détérioration visuelle ; cette dernière peut être à la fois aiguë (généralement passagère) et chronique (en cas de cataracte post-opératoire)2,4. Une évaluation menée dans notre hôpital (CCBRT Disability Hospital, Dar Es-Salaam) a montré que certains obstacles à la chirurgie sont liés au sexe : non seulement les femmes sont moins susceptibles de se présenter à l’hôpital lorsqu’elles ont un glaucome, mais elles ont aussi moins de chances d’être envoyées en chirurgie une fois qu’elles se sont présentées au service de soins. Cet état de fait doit être étudié plus avant.

Comment surmonter ces obstacles ?

  1. Fournir un suivi psychologique pour expliquer les raisons de l’opération, les résultats attendus et le risque très élevé de cécité en l’absence d’intervention chirurgicale. Il est préférable que le personnel fournissant le suivi psychologique soit dûment formé.
  2. Les programmes qui ont un système de recouvrement partiel des coûts devraient peut-être faire en sorte que le prix d’une trabéculectomie soit inférieur à celui d’une opération de la cataracte. Actuellement, nous exigeons la même somme pour les deux opérations, mais il est peut-être déraisonnable de s’attendre à ce que les patients payent la même somme pour une opération qui n’a aucune chance d’améliorer leur vision que pour une intervention qui a de grandes chances de l’améliorer. Les frais d’utilisation ne sont toutefois pas le seul obstacle : comme nous l’avons évoqué plus haut, les interventions gratuites en Tanzanie n’ont pas beaucoup de succès.
  3. Il faut faire très attention à la technique opératoire, afin d’augmenter au maximum les chances d’abaisser la PIO et de minimiser le risque de perte visuelle ultérieure (voir la section suivante et l’article de Ian Murdoch page 14).
  4. En Afrique, dans le cas de patients présentant un glaucome immature, il est peutêtre souhaitable de réaliser plus fréquemment une extraction de la cataracte et une trabéculectomie combinée. Cette intervention serait plus bénéfique pour le patient, car elle est susceptible éventuellement d’améliorer l’acuité visuelle post-opératoire et elle présente un moindre risque de détérioration visuelle par cataracte en postopératoire. Cette intervention combinée est toutefois plus difficile à réaliser qu’une trabéculectomie ou une extraction de la cataracte réalisée séparément. Elle présente un plus grand risque d’échec de drainage qu’une trabéculectomie non combinée à une extraction de la cataracte. Par ailleurs, ses résultats n’ont pas été étudiés systématiquement en Afrique.

Réaliser l’opération

Le choix de la technique opératoire doit prendre en considération le fait que l’on risque fort de ne pas revoir le patient après sa sortie de l’hôpital. En Afrique, une intervention chirurgicale est presque toujours la conduite thérapeutique la plus adéquate, car un traitement médical à vie ne serait pas pratique. Deux études, réalisées sur des patients se présentant à l’hôpital avec un glaucome, ont montré que les patients ayant subi une opération fistulisante antérieure présentaient une meilleure vision et une PIO inférieure à celle des patients ayant reçu un traitement médical antérieur.

Nous préconisons des techniques opératoires semblables ou identiques à celles que décrit Ian Murdoch dans ce numéro. Il faut bien veiller à réaliser une bulle de filtration postérieure diffuse. Il est tout aussi important d’éviter une hypotonie post-opératoire ou un effacement de la chambre antérieure, car il a été démontré que ceci augmente le risque de perte visuelle ultérieure.

L’utilisation de traitements anti-mitotiques en Afrique

Les patients d’origine africaine courent un plus grand risque d’échec de la trabéculectomie, en raison d’une cicatrisation fibreuse sousconjonctivale plus importante. Pour diminuer ce problème, on utilise fréquemment des agents anti-mitotiques en per-opératoire. Bien que l’on ait obtenu de bons résultats sur des patients africains et afro-américains sans utiliser d’agents anti-mitotiques, les études comparatives semblent montrer que l’utilisation de ces agents a un effet bénéfique. La mitomycine C (MMC) peut permettre d’obtenir des PIO plus basses que le 5-fluoro-uracile (5FU), mais elle peut entraîner beaucoup de complications5-8. En outre, la MMC est un produit plus toxique, plus coûteux et chimiquement moins stable que le 5FU. Par conséquent, certains considèrent qu’un usage de la MMC à grande échelle n’est pas souhaitable en Afrique. Pour conclure, si vous disposez d’agents anti-mitotiques, utilisez-les, mais n’oubliez pas que leur usage accentue les conséquences de toute erreur de technique chirurgicale (en particulier si vous utilisez de la MMC). Il faut prendre des précautions supplémentaires pour suturer solidement le lambeau scléral et le lambeau conjonctival (en particulier le lambeau antérieur) et appliquer l’agent anti-mitotique sur une grande surface, pour obtenir une bulle de filtration postérieure diffuse plutôt qu’une bulle antérieure enkystée.

Prendre en charge les complications post-opératoires

Complications aiguës

Chambre antérieure effacée

Ceci peut être dû à une fuite d’humeur aqueuse sous le lambeau conjonctival (test de Seidel positif) ; dans ce cas, il faut resuturer la conjonctive. L’effacement de la chambre antérieure peut aussi être dû à un drainage excessif par la bulle de filtration (grande bulle de filtration, test de Seidel négatif) ; il faut prendre d’abord les mesures habituelles (atropine, pansement et bande, traitement à court terme au Diamox), mais si ces mesures échouent il sera nécessaire de resuturer le lambeau scléral. Ces deux causes, fuite d’humeur aqueuse et drainage excessif, s’accompagnent d’une hypotonie. Toutefois, si la PIO est élevée et la chambre antérieure effacée, il faut penser à une anomalie de circulation de l’humeur aqueuse. Dans ce cas, essayez de traiter par collyre à l’atropine et Diamox. Si le traitement échoue, une extraction du cristallin et une vitrectomie seront peut-être nécessaires.

PIO élevée

Couper ou ajuster (si elles sont ajustables) les sutures sclérales postérieures et masser le bord postérieur du volet scléral pour encourager le drainage postérieur. Si ceci échoue, cela signifie éventuellement que la sclérotomie est bloquée et qu’il faudra l’explorer et l’améliorer si nécessaire.

Complications à long terme

Échec du contrôle de la PIO

Ceci est généralement dû à une fibrose du volet scléral et de la conjonctive ; la bulle de filtration apparaît souvent plate. On peut tenter d’améliorer la bulle à l’aide d’une aiguille. Nous procédons de la façon suivante au bloc opératoire : pénétrer avec une aiguille micro-vitréenne (MVR) dans l’espace sous-conjonctival audessus de la bulle de filtration ; avancer la lame en sous-conjonctival dans l’espace autour de la bulle de filtration pour disséquer tout tissu fibreux, puis pénétrer sous le volet scléral dans la chambre antérieure et soulever le volet en retirant la lame (en général, la bulle apparaît instantanément). Injecter ensuite du 5FU audessus de la bulle. Répéter cette manœuvre une deuxième fois, éventuellement. Si ceci échoue, on peut refaire une trabéculectomie ; celle-ci sera plus facile à réaliser à un autre emplacement, si vous avez la place. Une deuxième trabéculectomie comporte un risque élevé de fibrose et d’échec et il faut utiliser si possible de la MMC.

Cataracte

Enlever le cristallin cataracté en utilisant une voie d’abord éloignée de la bulle de filtration (cornéenne ou limbique temporale).

Faire tout votre possible pour suivre le patient

Un certain nombre d’études menées en Afrique ont constaté un mauvais suivi à long terme4,8. Ceci est l’une des raisons pour laquelle la technique chirurgicale doit être encore plus précise en Afrique que dans les pays industrialisés, où il existe généralement un bon suivi post-opératoire (seulement 7 % des patients à Kano ont bénéficié de plus de deux semaines de suivi post-opératoire). Il est important d’essayer d’améliorer cet état de fait, car il peut se produire en post-opératoire à long terme un échec de filtration ou une perte visuelle due à une cataracte, qui sont des complications que l’on peut traiter. Il est essentiel de conseiller les patients sur l’importance du suivi post-opératoire et il peut être de circonstance d’offrir des incitations financières, comme un remboursement partiel du coût de l’opération ou des frais de transport.

Autres types de glaucome

Glaucome à tension normale (GTN)

En Afrique, la difficulté est qu’il faut être sûr du diagnostic en l’absence de preuves d’une détérioration progressive du champ visuel. Les patients qui présentent une papille glaucomateuse, des antécédents de détérioration visuelle et une PIO normale devraient en principe être traités par une trabéculectomie. Il a été prouvé que cette intervention peut être bénéfique en cas de GTN.

Glaucome par fermeture de l’angle

Il est peu fréquent en Afrique, sauf dans les populations d’origine indopakistanaise. Par conséquent, ce glaucome échappe souvent au diagnostic.

Glaucome primaire congénital

Vous avez le choix entre goniotomie, trabéculotomie et trabéculectomie – réalisées de préférence par un glaucomatologue averti.

Glaucome dû à la rubéole

L’œil est généralement aveugle en raison d’une lésion cicatricielle de la rétine. Il faut se concentrer sur le confort du patient (corticoïdes en application locale, atropine, cyclophotocoagulation, injection rétrobulbaire d’alcool ou énucléation, si nécessaire).