RSOC Vol. 02 No. 01 2005 pp 06 - 08. Publié en ligne 01 août 2005.

Chirurgie de la cataracte sans suture : principes et étapes

John Sandford-Smith FRCS FRCOphth

14 Morland Avenue, Leicester, LE2 2PE, Royaume-Uni

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Rectificatif: Dans ce numéro de la Revue de Santé Oculaire Communautaire, une erreur s’est glissée en page 7, dans la contribution de John Sandford-Smith. À la 1ère colonne, il fallait lire : « Un œil ferme diminue également le risque de déchirure de l’endothélium cornéen – qui est une complication possible lorsqu’on perfore la cornée en oblique ». Nous prions nos lecteurs, ainsi que John Sandford-Smith, de bien vouloir nous en excuser.

Introduction

La cataracte est responsable d’environ 50 % des cas de cécité dans le monde. Il est peu probable qu’une prévention efficace se développe dans les prochaines années et la chirurgie restera encore le seul traitement disponible. Les autres causes importantes de cécité dans le monde, comme le trachome, la xérophtalmie et l’onchocercose, sont très souvent combattues par des activités à base communautaire plutôt qu’hospitalière et demandent plus de mesures préventives que curatives. Avec l’allongement de l’espérance de vie, la prévalence de la cécité due à la cataracte ne fera qu’augmenter et, par conséquent, celle-ci demeurera de loin la cause la plus importante de cécité évitable.

Techniques de chirurgie et chirurgiens de la cataracte

Au cours des dix dernières années, les techniques de chirurgie de la cataracte ont énormément évolué dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement et cette tendance ne fera sans doute que s’accentuer.

La phacoémulsification est pratiquement la seule procédure utilisée de façon standard dans les pays industrialisés. Pour diverses raisons, la plupart des experts des pays en développement ne considèrent pas la phacoémulsification comme LA solution à la cécité par cataracte dans le monde, même si quelques « passionnés de phaco » en sont convaincus.

Dans les pays en développement, un chirurgien de la cataracte efficace doit pratiquer une chirurgie intensive, à coût réduit et avec un faible taux de complications. De nos jours, bien souvent, son choix se porte sur l’extraction de la cataracte sans suture et sans phacoémulsification. Des ophtalmologistes se convertissent peu à peu à cette technique.

Cet article a pour but de décrire les principes de cette technique (il en existe plusieurs variantes), ses avantages et ses inconvénients, ainsi que les conseils pour éviter les erreurs et les complications.

Chirurgie de la cataracte sans suture et sans phacoémulsification

La chirurgie de la cataracte sans suture et sans phacoémulsification comporte trois étapes distinctes :

  • L’incision est pratiquée de telle façon qu’elle soit auto étanche et qu’elle évite le plus possible un astigmatisme induit. En même temps, l’incision doit être suffisamment grande pour que l’on puisse extraire le noyau du cristallin en entier.
  • Le noyau est ensuite mobilisé à l’intérieur du sac puis dans la chambre antérieure, afin de permettre son extraction.
  • Le noyau est ensuite extrait sans léser la cornée ou la capsule postérieure.
Figure 1 : Incision sclérale
Figure 1 : Incision sclérale

1. L’incision

Elle se fait en trois temps : incision de la sclère, dissection du tunnel et ouverture de la chambre antérieure.

(a) L’incision sclérale (Fig. 1)

Mettre en place un fil de traction sur le muscle droit supérieur et désinsérer la conjonctive au limbe. L’incision sclérale est d’une longueur de 8 mm environ et elle est généralement curviligne. Elle peut être légèrement plus petite (6-7 mm), en particulier si le noyau est de petite taille ou si le chirurgien est très habile. Elle peut aussi être plus grande et rester auto étanche. L’incision pénètre à mi-épaisseur dans la sclère et peut être faite au couteau ou avec un fragment de lame de rasoir. Elle passe près du limbe qui est assez vascularisé, par conséquent il faudra dans un premier temps recourir à une légère cautérisation ou diathermie des vaisseaux. Au point le plus proche, l’incision est à 2 mm du limbe. Elle peut également être linéaire plutôt que courbe. Il semble que l’incision courbe entraîne moins d’astigmatisme.

Il n’est pas nécessaire de suturer l’incision car l’éloignement entre les orifices interne et externe (au moins 4 mm) rend la plaie auto étanche lorsque la pression intraoculaire se rétablit. Par conséquent, la taille de l’incision n’a pas vraiment d’importance.

Figure 2 : Tunnel (coloré en rose). Notez sa forme et sa taille.
Figure 2 : Tunnel (coloré en rose). Notez sa forme et sa taille.

(b) La dissection du tunnel (Fig. 2)

Pour cette étape, la plus cruciale de l’incision, on utilise un couteau type Crescent standard. Ces couteaux sont aisément disponibles depuis le développement de la phacoémulsification et sont généralement à usage unique. Cependant, si l’on prend soin entre chaque patient de désinfecter la lame dans une solution de povidone iodée à 10 % ou de le stériliser à basse température (115°C), un couteau avec son manche reste suffisamment tranchant pour servir pour plusieurs patients, voire pour tout un programme opératoire.

Amorcer tout d’abord un plan de clivage à la moitié environ de l’épaisseur de la sclère, puis l’agrandir avec le Crescent par des mouvements circulaires à la fois vers le bas sur 2 mm en cornée claire et latéralement vers les bords de l’incision. Ceci crée un tunnel d’un bord limbique à l’autre, de 10 heures à 2 heures (Fig. 2). Le tunnel doit être assez long et cheminer en cornée claire pour être auto étanche et pour éviter un risque d’hernie de l’iris. Il doit être assez large pour permettre le passage de la totalité du noyau.

Figure 3 : Ouverture de la chambre
Figure 3 : Ouverture de la chambre

(c) L’ouverture de la chambre antérieure (Fig. 3)

On utilise un kératome que l’on peut re- stériliser de la même façon que le couteau Crescent. Dans la mesure où il est beaucoup plus facile et plus sûr d’inciser un œil ferme qu’un œil mou, il est souvent utile, après une première ouverture de la chambre antérieure, de remplir celle-ci avec une solution viscoélastique comme la méthylcellulose. Il est plus facile de pratiquer l’incision avec le côté tranchant du kératome au moment où il pénètre dans l’œil que lorsqu’il en ressort. Un œil ferme diminue également le risque de déchirure de l’épithélium cornéen – qui est une complication possible lorsqu’on perfore la cornée en oblique. Il faut veiller en particulier à ce que l’orifice interne de l’incision dans la chambre antérieure s’étende latéralement d’un bord limbique à l’autre.

Une fois l’orifice interne achevé, beaucoup de chirurgiens utilisent le même kératome pour pratiquer une incision au sommet de la capsule – c’est ce que l’on appelle la technique endocapsulaire. Une variante consiste à utiliser un kystitome mais, dans tous les cas, l’incision de la capsule du cristallin doit être faite d’un bord à l’autre de la pupille et doit être suffisamment grande pour permettre facilement l’extraction du noyau.

2. La mobilisation du noyau

Le noyau doit être mobilisé et amené partiellement ou complètement dans la chambre antérieure. Pour ce faire la pupille doit absolument être bien dilatée.

Quatre conseils pour obtenir une pupille bien dilatée :

  1. Utiliser à la fois un parasympatholytique (cyclopentolate par ex.) et un sympathomimétique (phénylépinéphrine à 2,5 % – 10 % par ex.).
  2. Instiller le collyre environ une heure avant l’opération. Si la mydriase commence deux ou trois heures avant l’opération, elle risque de se dissiper et la pupille pourrait être moins réactive à un ajout de collyre. Si les gouttes sont instillées seulement quelques minutes avant l’opération, le collyre pourrait ne pas avoir le temps d’agir.
  3. Instiller si possible en pré-opératoire un inhibiteur des prostaglandines (kétorolac par ex.). Il ne dilate pas la pupille, mais permet de maintenir la dilatation pendant la durée de l’intervention.
  4. Ajouter de l’adrénaline diluée (1 ml d’adrénaline à 1/1 000 dans 500 ml de soluté de Ringer lactate) qui aide également à maintenir la pupille dilatée. Ce mélange est ajouté au liquide de perfusion et au liquide d’irrigation lors de la mobilisation du noyau.
Figure 4 : Hydro dissection du cristallin
Figure 4 : Hydro dissection du cristallin

Le noyau cristallinien est mobilisé par hydro dissection ; celle-ci libère le contenu du cristallin de la capsule, de façon à pouvoir passer un instrument sous le noyau sans risque de léser la capsule postérieure. Le mieux est de pousser la canule à travers l’incision de la capsule antérieure, assez profondément dans le cortex et légèrement sur le côté, pour que la pression répande le liquide tout autour du noyau à la fois vers le haut et vers le bas, séparant celui-ci de sa couche externe (Fig. 4). Le noyau doit être mobilisé complètement ou partiellement dans la chambre antérieure, c’est pourquoi il est essentiel que la pupille soit complètement dilatée et que la capsulotomie antérieure ait une taille suffisante.

Lorsque le patient présente un cortex cristallinien assez ferme, de nombreux ophtalmologistes pratiquent une hydro dissection en injectant du liquide immédiatement sous la capsule antérieure afin de séparer le cortex de la capsule. Cela permet de l’enlever plus facilement à un stade ultérieur.

3. L’extraction du noyau

C’est l’étape la plus difficile et la plus cruciale de l’opération, mais si l’incision a été faite correctement, si la pupille est bien dilatée, si le noyau du cristallin est mobile et s’il n’est pas excessivement gros, il ne devrait pas y avoir de problème. Il existe divers instruments pour extraire le noyau. Le plus simple à utiliser est sans doute l’anse d’irrigation.

Il est utile d’injecter au préalable une solution viscoélastique, d’une part entre le noyau et l’endothélium cornéen pour protéger ce dernier et, d’autre part, juste en arrière du pôle supérieur du noyau pour aider l’insertion de l’anse en arrière du noyau sans endommager la capsule postérieure. L’œil est ensuite basculé fermement vers le bas par traction sur le fil passé dans le muscle droit supérieur ou à l’aide d’une bonne pince (de type Paufique ou Pierce). Cela permet à l’anse d’être dans la meilleure position pour ouvrir le tunnel et faciliter la sortie du noyau. L’anse d’irrigation, montée sur une seringue de 5 ml, est alors introduite dans l’œil au travers de l’incision.

L’anse est ensuite avancée de façon à ce que son extrémité soit située juste en dessous du pôle supérieur du noyau (c’est pourquoi il est utile d’injecter au préalable une solution viscoélastique) puis il faut la pousser plus profondément dans l’œil, en arrière du noyau cristallinien. Il peut être utile à ce stade d’injecter très doucement du liquide dans l’anse pour maintenir celle-ci à distance de la capsule postérieure. Une fois que l’extrémité de l’anse a atteint le pôle inférieur du noyau du cristallin, celui-ci peut alors être extrait.

Figure 5 : Extraction du noyau
Figure 5 : Extraction du noyau

Il est particulièrement important de bien positionner l’anse. Elle doit appuyer vers le bas (Fig. 5) sur le bord postérieur de l’incision (comme le montrent les flèches A). Ceci aide à ouvrir le tunnel. L’anse doit rester juste en arrière du noyau. Il est toujours très tentant de relever le bout de l’anse vers la cornée pour « cueillir » le noyau, mais il faut résister à cette tentation. Ce geste entraînerait en effet un frottement du noyau contre l’endothélium cornéen qui endommagerait irrémédiablement ce dernier. Au contraire, le noyau sortira doucement de l’œil en raison de la pression hydrostatique provoquée par une pression plus forte sur le piston de la seringue (B dans la Fig. 5). Cette action augmente la pression dans la chambre antérieure et pousse le noyau dans le tunnel (flèche C). Une fois que le noyau est entré dans le tunnel, on retire doucement l’anse tout en maintenant la pression hydrostatique de l’injection (B dans la Fig. 5) ainsi qu’une légère pression vers le bas sur la partie postérieure de l’incision (A dans la Fig. 5). En retirant l’anse doucement, on facilite le passage du noyau dans le tunnel et sa sortie de l’œil. Lorsque le noyau est dans le tunnel et n’est plus dans la chambre antérieure, on peut bien entendu utiliser l’anse pour « cueillir » celui-ci car la pression vers le haut ne peut plus alors endommager l’endothélium cornéen.

Une fois le noyau extrait, l’épinoyau et le cortex sont enlevés par irrigation et aspiration à l’aide d’une canule à double courant de Simcoe.

Figure 6 : Une ligne d’irrigation est insérée dans la partie inférieure de la cornée, afin de maintenir la chambre antérieure. Une canule d’aspiration est également insérée dans la chambre antérieure.
Figure 6 : Une ligne d’irrigation est insérée dans la partie inférieure de la cornée, afin de maintenir la chambre antérieure. Une canule d’aspiration est également insérée dans la chambre antérieure.

Variantes

Il existe diverses autres méthodes pour extraire le noyau cristallinien. La technique introduite par le docteur Hennig au Népal utilise un petit crochet plutôt qu’une anse pour enlever le noyau (Fig. 1 p. 5 dans ce numéro).

Dans la technique lancée par le professeur Blumenthal en Israël, une ligne d’irrigation (Fig. 6) est insérée dans la partie inférieure de la cornée afin de maintenir la pression hydrostatique pendant l’opération. Une rampe en plastique est utilisée pour ouvrir le tunnel et extraire le noyau. L’installation d’une ligne d’irrigation pour maintenir la chambre antérieure est particulièrement utile dans le cas de jeunes patients présentant une cataracte congénitale ou traumatique. Il est très difficile, chez un patient jeune, de maintenir une chambre antérieure formée et d’empêcher le bombement de la capsule postérieure et du vitré. L’utilisation d’une ligne d’irrigation permet à la chambre antérieure de garder sa profondeur et de maintenir la capsule postérieure et le corps vitré en arrière pendant toute la durée de l’intervention. Ceci rend beaucoup plus facile l’extraction de ce type de cataracte sans endommager la capsule postérieure.

Fermeture de l’incision

Il n’est pas nécessaire de suturer la sclère. Certains chirurgiens ferment la conjonctive par un point de suture au coin du volet conjonctival.

Problèmes et solutions

  1. Le tunnel pénètre dans la chambre antérieure trop près de l’angle irido- cornéen, entraînant une hernie de l’iris à travers l’incision.
  2. Le noyau reste en arrière de l’iris ou alors il ne peut absolument pas être mobilisé dans la chambre antérieure.
  3. Le noyau est particulièrement gros et dur.

La meilleure solution, dans tous ces cas, est de passer à une extraction extra capsulaire standard avec suture. Il faut élargir l’incision sclérale le long de la zone colorée en rose dans la Figure 2 et la Figure 3. Si nécessaire, élargir l’incision plus encore à l’aide de micro ciseaux ou d’une lame.

Certains chirurgiens habiles segmentent un noyau particulièrement gros en deux ou trois fragments ce qui leur permet d’extraire les gros noyaux en utilisant la technique d’incision sans suture.

Lorsqu’un noyau entre complètement dans le tunnel puis y reste bloqué, on peut employer la manœuvre simple suivante : faire passer un crochet à implant dans le tunnel en avant du noyau puis tourner la pointe du crochet vers le bas dans le corps du noyau. Ceci permet de créer un « sandwich » avec l’anse restée en arrière du noyau et de tirer celui-ci dans le tunnel.

Pour un chirurgien expérimenté, la chirurgie de la cataracte sans suture est une opération rapide et efficace, pouvant être pratiquée sur presque n’importe quel patient. Pour un débutant, cette opération est sans aucun doute plus difficile à pratiquer que l’extraction extra capsulaire standard. Il est préférable d’attendre d’être entièrement sûr de soi en ce qui concerne la chirurgie extra capsulaire de routine, puis de sélectionner les cas où le noyau est assez petit et la pupille bien dilatée. Il est également essentiel d’utiliser un couteau de type Crescent et un kératome très tranchants pour pratiquer l’incision, ainsi qu’une anse d’irrigation de bonne fabrication – de préférence avec plus d’un trou d’irrigation à son extrémité.